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Croissance économique & écologie : rebattre les cartes des temps sociaux

11 mai 2022 | Social

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Si tout le monde est plus ou moins conscient de l’urgence de la transition énergétique et des besoins immédiats de croissance économique pour le pouvoir d’achat des plus précaires mais aussi des classes moyennes, le principal problème politique, économique, écologique et social d’aujourd’hui n’est pas tant dans une différence d’opinion sur les objectifs à atteindre, que dans la contradiction du temps long et du temps court.

Écologie & croissance économique : rebattre les cartes des temps sociaux

Pourquoi les revendications légitimes et les décisions démocratiques privilégient-elles les relances de la croissance, gourmande d’énergies disponibles, à échéances brèves (temps court, la fin du mois) au détriment de la mise en place de nouvelles énergies propres (temps long, la fin du monde) ? Le temps (pas si) long de la sauvegarde de la planète donne l’impression de pouvoir remettre l’action à plus tard, alors que le temps court de la croissance en route semble à portée de main.

Dans les entreprises, par exemple, l’avidité du profit à court terme hypothèque la mise en place nécessaire de projets à long terme. Alors que la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) rappelle que le projet environnemental à long terme nous oblige à des décisions maintenant, à court terme, la Négociation annuelle obligatoire (NAO) négocie surtout sur les salaires immédiats.

C’est pourquoi la CFTC s’emploie à trouver un équilibre et une complémentarité entre le court et le long terme. C’est ainsi qu’elle revendique, sur l’étiquetage des produits et services vendus, les traces sociales et écologiques de la fabrication jusqu’à leur distribution. Le but serait donc de trouver dans le temps court du présent des points d’actions qui visent l’épanouissement du temps long. Cette pratique existe, mais sans la prise en compte de tout le processus d’amont en aval, ni avec des critères écologiques et sociaux précis et contrôlés. 

Les entreprises ont, aujourd’hui, également tendance instinctive à opposer progrès social (emploi, salaires, conditions de travail, etc…) et progrès écologique à la production de bénéfices. Mais la traçabilité sociale et écologique des produits et services fait de la politique sociale et environnementale un atout de vente important, même si seulement 10 % des consommateurs y accordaient une importance. On ne néglige pas 10 % du marché ! Dès lors, il s’agirait de transformer le temps court de l’acheteur en temps long du progrès social, économique et environnemental.

Il y a des cas où c’est le temps long qui peut être transformé en temps court : l’égalité femme / homme semblait être un problème à long terme, mais une volonté politique peut, à marche forcée, la décider à court terme, par exemple par l’instauration de quotas.

D’autres questions sociales présentent une confusion du temps court et du temps long : l’impact de la robotisation sur les conditions de travail et l’emploi est difficile à cerner et à corriger, tant la vitesse du développement robotique occulte tout discernement. La solution serait l’utilisation du principe de précaution pour freiner le mouvement et prendre le temps d’états généraux du numérique afin de savoir ce que l’on vise (temps long) et ce que l’on fait (temps court). Aussi, les questions de formation et de jeunes sans emploi doivent transformer, elles, le temps court des formations en temps long de l’employabilité : le revenu d’engagement s’oriente plus vers l’avenir qu’un RSA-jeunes qui en reste au temps court du présent, par exemple.

Quant à la dette publique et la création monétaire, elles tendent à annuler la perspective du temps long (le remboursement quasi impossible) pour ne s’investir que dans le temps court des sauvetages pécuniaires et financiers. Mais même là, le temps long se fait entendre par la confiance en l’avenir de l’économie d’un pays, dont témoignent les taux bas des emprunts. Nous ne cherchons pas à développer ici la politique économique et sociale, mais à attirer l’attention des décideurs et des corps intermédiaires sur l’importance majeure de la conciliation des temps longs et courts.

La CFTC cherche l’équilibre mais a le souci prioritaire du temps long, car c’est lui qui indique une direction et donne du sens. Il implique une morale de conviction. Cependant, à juste titre, le temps court est celui du pragmatisme, celui d’une morale de la responsabilité[1].

La mondialisation, elle, semble ne concerner que l’espace, à savoir celui de toute la planète. Mais quand on fait appel aujourd’hui au circuit court, on ne restreint pas seulement l’espace, mais surtout le temps. En effet, la mondialisation nous fait dépendre des temporalités de l’Asie, de l’Afrique, de l’Amérique. Le grand espace des circuits mondiaux des marchandises se paient en temps de trajet, en l’occurrence en dépense d’énergie pour réduire l’espace et le temps. Mais en rester aux seuls échanges de proximité, c’est se fermer à l’altérité et à la diversité du monde et des humains, pour revenir au temps court et autarcique de la tribu. On perd ainsi le souci du bien commun de la maison commune.

Le temps court est à la mode, c’est celui du « tout, tout de suite », de l’immédiateté, de l’impatience. C’est le temps zapping d’un présent sans but, où se télescopent, dans le stress, le travail, les enfants, les courses, les loisirs, les engagements, etc… Tandis que le temps long, pour beaucoup, c’est l’enfermement dans la trilogie bloquée des temps de la jeunesse, de la maturité et de la vieillesse : formation, carrière, retraite.

Nous devons rebattre les cartes des temps sociaux dans la formation continue, les années sabbatiques et les retraites utiles. Le temps long que veut la CFTC est celui qui donne du sens et non celui des temps sociaux bloqués, tandis que le temps court serait celui du pragmatisme afin de tendre vers le temps long sans se perdre dans les tribulations du quotidien.

[1] Terminologie de Max WEBER en 1920

Bernard Ibal

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