Fortes chaleurs au travail : les salariés sont-ils suffisamment protégés ?
20 juin 2025 | Conditions de travailSocial
Alors que les morts au travail ont tendance à augmenter depuis quelques années, la hausse globale des températures présente plus spécifiquement un risque croissant pour les salariés. A cet effet, un nouveau décret entrera en vigueur ce 1er juillet, afin de préciser et de renforcer les obligations des employeurs en cas de fortes chaleurs. Si ce texte a le mérite de clarifier les impératifs qui s’imposent aux entreprises, la CFTC rappelle que la prévention des risques liés à la chaleur reste encore trop parcellaire et inégale, en particulier dans les secteurs d’activité où les salariés sont le plus exposés au soleil et aux températures élevées.
Face au double effet d’une population vieillissante et d’une hausse globale des températures en France et dans le monde, les acteurs du monde du travail doivent impérativement s’adapter. Dès lors, s’impose notamment la nécessite de mettre en œuvre de nouvelles mesures qui permettent de mieux protéger les salariés les plus exposés aux fortes chaleurs. Le risque que ces derniers courent ne doit pas être sous-estimé et minoré : selon des chiffres publiés l’année dernière par la Direction Générale du Travail (DGT), au moins 48 travailleurs sont en effet morts dans des accidents du travail lié aux fortes chaleurs, depuis 2018. Si le risque de subir un accident mortel lié à la chaleur touche tous les âges, l’âge moyen des victimes – 47 ans – indique par ailleurs que le danger est exacerbé pour les travailleur séniors.
Le BTP, premier concerné
Dans un récent rapport, la DGT relevait ainsi l’existence de situations de travail « parfois très dégradées et alarmantes. » Elles concernent plus particulièrement les secteurs où les travailleurs sont employés en extérieur : le BTP, l’agriculture, le spectacle de plein air…Les travailleurs y effectuent la plupart du temps de travaux physiques, sous des températures très élevées. Les manques constatés ont trait à l’absence ou à l’insuffisance d’eau potable, d’ombre et d’aménagement des horaires ou encore à la non-conformité des installations sanitaires et de restauration. En cas de très fortes chaleurs, la loi a cependant au moins le mérite d’être très claire dans le secteur du BTP : en cas d’alertes vigilance orange ou rouge de Météo-France, le travail doit en effet cesser pour les ouvriers concernés. La DGT souligne en outre que les travailleurs employés en intérieur (commerce, restauration, boulangerie…) peuvent aussi être impactés par la chaleur : par exemple, souffrir de dysfonctionnements du système de renouvellement mécanique de l’air et/ou de la climatisation, voire d’un accès à l’eau insuffisant.
Des mesures de prévention approfondies
Malgré ces dysfonctionnements pointés par la DGT, les employeurs sont théoriquement déjà tenus d’évaluer les risques liés à la chaleur avec le comité social et économique (CSE), de les transcrire dans le document unique d’évaluation des risques (DUER), puis de mettre en œuvre des actions de prévention de ces risques. Un décret relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à la chaleur – qui entre en vigueur ce 1er juillet 2025 – va cependant un cran plus loin en précisant et en spécifiant les obligations imposées à l’employeur. Ces obligations seront déterminées et modulées en fonction du déclenchement des seuils de vigilance météorologique du dispositif développé par Météo-France. Ces seuils sont au nombre de trois : jaune (pic de chaleur), orange (canicule) et rouge (canicule extrême). Ce texte spécifie notamment que l’employeur est tenu de :
• Mettre en œuvre des procédés de travail ne nécessitant pas ou peu d’exposition à la chaleur
• Adapter l’organisation du travail, notamment les horaires, pour limiter l’exposition et prévoir des périodes de repos
• Mobiliser des moyens techniques pour réduire le rayonnement solaire ou prévenir l’accumulation de chaleur
• Augmenter la quantité d’eau potable fraîche mise à disposition des travailleurs et veiller à ce qu’elle reste fraîche
• Opter pour des équipements de travail appropriés permettant de maintenir une température corporelle stable
Cette liste n’est pas exhaustive. L’employeur devra par ailleurs veiller à adapter et renforcer ces mesures en cas d’intensification de la chaleur.
Des imperfections réglementaires demeurent
Si le Décret va dans le sens d’une meilleure prévention des risques en cas de grande chaleur, la CFTC note que certains versants du texte peuvent cependant sembler insuffisamment coercitifs. À compter du 1er juillet 2025, il va notamment permettre à l’Inspection du travail de mettre en demeure sous 8 jours (avant un éventuel procès-verbal) les entreprises qui n’ont pas encore suffisamment défini des mesures de prévention des risques liés aux épisodes de chaleur intense. Elles devront donc le faire dans ce laps de temps imparti. Néanmoins, le texte ne confère pas encore aux services de l’Etat la possibilité d’immédiatement prononcer l’arrêt de travaux dangereux en cas de fortes chaleurs, un outil de régulation réclamé de longue date par la CFTC et les syndicats. Ce décret crée aussi une obligation explicite de rafraîchissement des locaux de travail en cas d’épisode de chaleur, qui devront être « maintenus à une température adaptée. »
Le terme « adapté » reste cependant très vague et ne spécifie notamment pas le niveau de température des locaux que l’employeur sera tenu de ne pas dépasser. Evaluer le risque lié à la chaleur sur la seule base des alertes de Météo France peut aussi interroger : si cette méthodologie est opérationnelle pour suspendre si nécessaire le travail des ouvriers du BTP, elle ne couvre pas l’intégralité des risques liés à la chaleur. Ceux-ci doivent bien souvent être évalués sur le terrain, puisqu’ils sont aussi modulés par les conditions d’exercice du travail (intensité physique, nature des équipements de protection individuelle fournis etc…). Enfin, notons que le dispositif alerte canicule de Météo France concerne seulement la France hexagonale et la Corse: les territoires ultra-marins n’y sont pas soumis. A ce sujet, un flou législatif existe encore, qu’il s’agirait de prochainement dissiper, afin d’assurer aussi aux travailleurs des DROM-COM une meilleure protection contre ces risques professionnels.
AC