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Retraites: « Pour négocier, il faut être deux. Nous, on a fait le job. Le patronat, non »

27 juin 2025 | RetraiteSocial

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Les tractations sur les retraites, censées améliorer la dernière réforme du système, se sont finalement conclues sur une absence d’accord ce lundi 23 juin. Résolue à permettre à ceux qui exercent des métiers pénibles de partir à la retraite plus tôt ou encore à améliorer les pensions des mères de famille, la CFTC s’est bien souvent heurtée à un patronat inflexible sur plusieurs points clés de cette négociation. Explications avec Pascale Coton, vice-présidente de la CFTC et cheffe de file de notre organisation lors de ces pourparlers.

Pascale, après 4 mois de concertations, cette négociation sur les retraites se termine par une absence d’accord. Quel est votre sentiment général et celui de la CFTC, à la sortie de ce cycle de concertations ?

Il y a malheureusement beaucoup de déception, de la colère aussi. Une part de fierté, également: la CFTC avait promis qu’elle se battrait jusqu’au bout pour les millions de français qui sont sortis dans la rue pour manifester contre la dernière réforme des retraites et c’est ce qu’on a fait. A cet égard, les syndicats qui sont restés à la table des négociations ont d’ailleurs fait des concessions, cherché des solutions médianes. Malheureusement, pour négocier, il faut être deux. Nous, on a fait le job. Le patronat, non.

Ces syndicats, dont la CFTC, avaient pourtant accepté de mettre au moins temporairement de côté la question de l’âge légal de départ en retraite à 64 ans, auxquels ils sont pourtant opposés.

Oui, et ce n’est pas rien. Entendons-nous bien: la CFTC reste opposée à l’âge légal de départ en retraite a 64 ans. Notre optique, lors de cette négociation, c’était néanmoins d’améliorer autant que possible la dernière réforme des retraites, pour qu’elle protège davantage les salariés. En particulier ceux qui effectuent des métiers pénibles et ceux dont les carrières sont les plus hachées, comme les mères de famille par exemple.

On en arrive à l’un des sujets phares de cette négociation sur les retraites : mieux prendre en compte la pénibilité, afin que les travailleurs les plus exposés puissent partir en retraite anticipée.

C’était une des avancées majeures défendues et attendues par la CFTC, lors de ces discussions. Pour faire simple, nous voulions que les salariés exerçant des métiers comprenant certaines contraintes physiques (NDLR : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l’exposition à des agents chimiques dangereux) accumulent des droits, qu’ils puissent mobiliser dans une optique de formation/reconversion, mais aussi pour partir à la retraite plus tôt. Je rappelle que beaucoup de ces salariés, dont l’activité n’est pas télé-travaillable, ont constitué ce qu’on appelait les travailleurs de première ligne durant le COVID. La CFTC avait à cœur de les défendre au maximum de ses possibilités. 

Le patronat voulait, cependant, que ces métiers pénibles ne génèrent que des droits à la formation et la reconversion, pas à la retraite. Leur proposition vidait donc cette mesure d’une grande partie de son sens et de son impact. Nous étions bien sûr prêts à faire des concessions, mais il y a des lignes rouges que nous ne pouvions pas franchir. Ça en faisait partie.

L’autre pilier thématique de cette négociation, c’était la retraite des femmes, plus spécifiquement des mères de famille. Pouvez-vous nous expliquer ce qui était précisément en jeu ici ?

A ce sujet, le CFTC défendait un abaissement à 66 ans – contre 67 actuellement – de l’âge de suppression de la décote pour un départ en retraite à taux plein. Rappelons, d’abord, en quoi consiste cette décote : le taux plein de la retraite est de 50% du salaire (sur une moyenne des 25 meilleures années). Une personne qui part en retraite sans tous ses trimestres et avant 67 ans voit sa pension diminuée et ne plus être calculée sur la base de ces 50%. C’est ce qu’on appelle la décote. Après 67 ans, cette décote est annulée et les personnes peuvent toucher une retraite à taux plein.

Les néo-retraités qui sont le plus soumis à cette décote sont donc ceux qui ont une carrière hachée. On peut prioritairement penser aux mères de famille par exemple. Ce système pénalise en effet davantage les femmes qui ont eu des enfants, puisqu’elles ont dû bien souvent temporairement arrêter ou freiner leur activité professionnelle. La CFTC voulait donc avancer d’un an l’âge de supression de cette décote, à 66 ans. Ça n’aurait pas été une avancée minime ou marginale : ce gain d’une année aurait pu concerner pas moins de 120.000 personnes par an, dont une majorité de femmes.

Cette mesure n’a donc pas eu l’aval du patronat.

Effectivement. Pourtant, dans une logique d’équité et de justice sociale, il était fondamental pour la CFTC que les femmes – dont les carrières sont plus hachées parce qu’elles ont dû s’occuper de leurs enfants – puissent bénéficier plus tôt d’une retraite à taux plein. A cet égard, le dispositif actuel (à 67 ans) nous semble vraiment injuste. Alors qu’il avait la possibilité d’améliorer concrètement la dernière réforme des retraites avec une mesure d’âge, le patronat n’a pas voulu céder.

De plus, les organisations patronales ont souhaité, à l’avenir, prendre en compte d’autres facteurs comme l’évolution de l’espérance de vie et le niveau des pensions pour la fixation des règles du départ en retraites. Tout cela n’était pas acceptable. Ça ressemblait davantage à une régression qu’à une progression pour les salariés concernés.

Pour améliorer le niveau de pensions des femmes, les syndicats et le patronat s’étaient toutefois mis d’accord pour revoir le mode de calcul de la retraite des mères de famille.

Oui. L’idée, c’était que le salaire annuel moyen qui sert au calcul de la retraite de base des femmes ayant eu des enfants ne soit plus calculé sur leurs 25, mais plutôt sur leurs 23 ou 24 meilleures années de rémunération. Le principe est simple : moins on inclut d’années où elles ont touché de faibles revenus dans le calcul de leur retraite, plus leur pension augmente mécaniquement. Sur ce point là, nous avions trouvé un accord. Le problème, c’est que le patronat a parallèlement rétrogradé sur d’autres mesures favorables aux femmes, lors de la dernière journée de négociations.

De quelles mesures s’agit-il ?

On peut, par exemple, citer le cas de la majoration de durée d’assurance (MDA). Je m’explique : aujourd’hui, grâce à ce dispositif, chaque naissance ou adoption permet à une mère de bénéficier jusqu’à 8 trimestres supplémentaires, qui sont intégrés au calcul de sa retraite. La CFTC voulait que 2 de ces 8 trimestres puissent être pris en compte dans le dispositif carrière longue. En somme, cela devrait permettre aux mères de famille qui avaient commencé à travailler tôt de bénéficier plus aisément d’une retraite anticipée. Les organisations d’employeurs n’ont pas retenu cette proposition.

François Bayrou avait donné comme mission aux partenaires sociaux de dégager des solutions, pour que le système de retraite soit à l’équilibre à l’horizon 2030. Cet objectif était-il seulement réalisable ?

Oui, mais pour éviter que le système soit déficitaire de 6,5 milliards d’euros en 2030, il aurait fallu que tout le monde accepte de contribuer un peu plus. La CFTC avait ainsi proposé une légère hausse des cotisations patronales et salariales – en l’occurrence, une moyenne d’une douzaine d’euros par mois et par travailleur – pour assainir les finances du système de retraites. Dans un contexte de vieillissement global de la population, la CFTC est parfaitement consciente qu’il faut trouver de nouvelles sources de financement. Mais il ne faut pas que l’intégralité de ces efforts budgétaires repose sur les salariés et les retraités seuls. Il aurait aussi fallu que les employeurs prennent substantiellement leur part, ce qu’ils se sont refusés à faire.

Ce qui est aussi frustrant ici, c’est que la méthodologie de cette négociation était pour partie intéressante : nous avons échangé dans un lieu neutre, un médiateur – nommé par le gouvernement – tenait la plume pour faire la synthèse des mesures de l’ensemble des acteurs, des services techniques étaient à notre disposition pour chiffrer nos propositions, etc… Tout ça m’évoque la proposition de création d’un comité permanent du dialogue social, portée de longue date par la CFTC. Ceci étant dit, j’en reviens à mon propos initial: pour réussir une négociation, il faut que les deux camps aient envie de parvenir à un accord. On a bien souvent eu le sentiment que ce n’était pas le cas du patronat ici.

Propos recueillis par AC

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