Transition énergétique : le tout électrique en 2035, c’est bien, mais protéger l’emploi, c’est encore mieux !
29 juillet 2022 | Social
Le 29 juin dernier, les 27 pays membres de l’Union européenne se sont mis d’accord sur la fin de la vente des véhicules thermiques en 2035. La CFTC en a discuté avec Franck Don, secrétaire général de la métallurgie et chef de file CFTC des discussions paritaires sur la transition écologique dans le cadre de l’agenda social autonome.
Pouvez-vous expliquer ce qu’est l’agenda social autonome, moins connue que l’agenda du gouvernement ?
L’agenda social autonome est un dispositif d’échange piloté par les partenaires sociaux (syndicats et patronat) sur des sujets qui nous paraissent essentiels à aborder. Il permet notamment de ne pas dépendre uniquement de l’agenda piloté par le gouvernement et de montrer que nous sommes force de propositions.
Et la transition écologique et énergétique dans tout ça ?
Pour l’heure, le périmètre d’action de ces discussions est très large puisque la transition « verte » touche un grand nombre de sujets : le transport, l’habitat, les habitudes de consommation, etc., avec des impacts aussi bien sur les entreprises que les salariés.
Qu’en est-il dans votre filière, celle de l’automobile, au regard, notamment, de la décision du Parlement européen d’accélérer la transition en passant au tout électrique à l’horizon 2035 ?
Les entreprises du secteur ont déjà commencé à anticiper la transition via, par exemple, la création d’usines de batteries ou de moteurs électriques à côté d’usines mécaniques. Elles ont également commencé à diminuer petit à petit la fabrication de pièces mécaniques thermiques et font monter en capacité toutes les pièces électriques dans des zones géographiques proches.
Le groupe Stellantis a même annoncé en mars dernier passer au tout électrique en Europe d’ici à 2030 ! Mais bien que tout ceci soit louable, nous ne devons pas oublier l’impact social de cette décision.
Que voulez-vous dire par là ?
Si personne ne peut nier le caractère vital de la transition écologique et énergétique, la problématique se situe sur le timing. Passer du 100 % thermique au 100 % électrique en l’espace d’une dizaine d’années est un objectif très difficile à tenir. C’est excessivement court en termes de « temps industriel ».
Est-ce pour cela que les organisations syndicales redoutent une casse industrielle et sociale ?
Oui, bien évidemment. Et la casse est déjà en marche : les constructeurs ont d’ores et déjà programmé l’externalisation de toutes leurs pièces mécaniques. Nous savons aussi que l’assemblage de véhicules électriques nécessite environ 40 % de salariés en moins et l’apprentissage de nouvelles connaissances. Comment allons-nous former et accompagner en si peu de temps et de façon pérenne ?
D’ailleurs, puisque l’accompagnement et/ou la reconversion concerne(nt) les salariés actuellement en poste, que faisons-nous de celles et ceux qui arriveront sur le marché de l’emploi à échéance 2035 ? Que faisons-nous des générations à venir ? Que faisons-nous également de tous les métiers qui vivent de l’automobile thermique aujourd’hui, tels que les garagistes ?
Comprenez-moi bien, l’objectif du Parlement européen en soi est bon, mais il me paraît difficile à tenir. Nous devons protéger l’emploi, protéger les salariés.
Que dit la CFTC face à ce risque ?
Nous disons : « Attention ! Il faut prendre le temps nécessaire pour que la transition se fasse sans casse sociale ». La transition vers des énergies renouvelables est possible et essentielle, mais nous devons le faire dans un laps de temps adapté.
13 ans n’est pas suffisant ! Ni pour former, ni pour accompagner correctement.
Nous devons d’abord dresser toutes les conséquences possibles. Lire les études réalisées, en mener de nouvelles. Déterminer quelles seraient les conséquences à dix ans, vingt, trente ans, etc. Quelles sont les prospectives, les expertises menées par l’État ?
Une fois tout ce chantier mené, on se rendra peut-être compte qu’il faut se donner plus de temps afin de prévenir tous les effets « néfastes » ou du moins un maximum d’entre eux. La CFTC est pour mesurer les impacts de ce revirement avant de s’engager « tous azimut ».
Avons-nous, par ailleurs, exploré toutes les solutions énergétiques ?
Pour la CFTC, l’électrification d’une grande partie de notre économie suppose de développer l’ensemble des énergies décarbonnées disponibles. Il s’agit là d’une politique de mix énergétique, valorisant à la fois les énergies renouvelables et le nucléaire, y compris de nouvelle génération.
Nous avons parlé des entreprises, des salariés, et les consommateurs ?
De nombreuses problématiques se posent à eux, notamment celles du prix des véhicules, de leur disponibilité et des bornes électriques.
Pour la 1re, certains groupes réfléchissent, à défaut, à des solutions afin de rendre la voiture électrique accessible à tous. Cela peut passer par de la location sur un certain nombre d’années, par exemple.
Notons que les usages sont en train de changer. La vision que les générations actuelles ont du sentiment de propriété évolue progressivement. Louer une voiture pour un déplacement ou un évènement puis une autre et ainsi de suite peut très bien devenir la norme.
Pour la 2e, la Commission européenne recommande l’installation d’une borne pour dix véhicules électriques et les spécialistes estiment qu’il en faudra entre 330 000 et 480 000 d’ici 2030, or fin 2021, le gouvernement a manqué son objectif de 100 000 bornes…
C’est pourquoi je le répète : nous devons prendre le temps, car nous faisons face à une révolution qui demande de changer intégralement de paradigme.