La société Maisons Phénix ferme les portes : rencontre avec Fernando Cabete Neves
9 septembre 2022 | Social
Mise en liquidation le 28 juin, la société Maisons Phénix du groupe Geoxia s’est effondrée en un rien de temps. Un coup dur pour les emplois directs et indirects, comme pour l’accession à la propriété des foyers aux revenus modestes, nous explique le délégué syndical Fernando Cabete Neves.
Personne ne comprend que Maisons Phénix puisse disparaître comme ça
Pouvez-vous nous rappeler qui sont les Maisons Phénix ?
C’est le spécialiste de la maison individuelle à bas coût. La qualité y était, mais on ne faisait pas de chichis. On était plutôt une Dacia, avec un bon rapport qualité-prix et des matériaux d’origine française, mais sans luxe et sans les dernières technologies à la mode. Maisons Phénix visait des couples primo-accédants qui gagnent en moyenne entre 3000 et 3500 € par mois.
En 2015, nous étions leader du marché, nous construisions entre 8 500 et 10 000 pavillons par an. Cette année, nous étions tombés à 4 000 pavillons.
Tous les salariés ont été licenciés dès la liquidation ?
Pas tout à fait. Sur les 1 156 salariés, 1 000 se sont retrouvés sur le carreau du jour au lendemain. Ceux qui travaillent dans les usines du groupe ont obtenu un sursis de trois mois, afin de produire les éléments nécessaires aux 1 536 maisons en chantier. Mais à cela, il faut ajouter les pertes en emplois indirects. Nous travaillions avec plus de 7 000 sous-traitants, certes pas tous les jours, mais il va y avoir de la casse sociale.
Quelles sont les raisons de cet effondrement d’activité ?
Ce qui a posé problème, c’est d’abord une décision du gouvernement. En 2017, il a réduit la voilure sur le prêt à taux 0, qui permettait aux ménages les plus modestes d’accéder à la propriété. Malheureusement, cette réforme a fait chuter notre clientèle de 70 %. Le coup a été brutal. Aujourd’hui, un couple aux revenus modestes ne peut plus faire construire une maison individuelle.
Nous étions en train de nous réorganiser pour monter en gamme quand est arrivé le Covid, qui a provoqué un gros coup d’arrêt de notre activité pendant trois ou quatre mois. À cela s’est récemment ajoutée l’augmentation du prix du bois, de l’acier et du béton. Avant la crise, le prix d’une maison individuelle tournait autour de 120 000 €. Aujourd’hui, il faut plutôt compter 150 ou 160 000. Nos marges étant assez faibles, chaque augmentation de tarif est compliquée à gérer.
La crise concerne-t-elle également les autres entreprises du secteur ?
Oui, le secteur du bâtiment est très impacté par l’augmentation de la facture des matières premières. Tous les groupes s’attendent à une grosse crise en septembre. Il va falloir aller chercher une clientèle très haut dans le panier, qui gagne de 4 à 5 000 euros par mois. Pour les revenus modestes, cela signifie la fin du rêve du petit pavillon avec jardin.
Comment a réagi la direction, a-t-elle fait des erreurs stratégiques ?
Oui, il y a eu des erreurs de management, avec un PDG qui ne voyait que les chiffres et pas la réalité du terrain. La direction n’a pas tiré la sonnette d’alarme assez tôt. Nous avons été mis sous tutelle fin mai, cela aurait pu être fait avant. Les managers disaient de ne pas nous inquiéter, que le prêt d’État allait arriver, que nous allions traverser cette crise et nous restructurer.
Nous pensions qu’un groupe de notre dimension ne pouvait pas disparaître comme ça, en deux mois.
Cependant, il faut savoir que Geoxia était sous la coupe d’un fonds d’investissement, LBO France, qui avait un auditeur permanent chez nous. Donc, ils connaissaient très bien la situation. Quand on s’est retrouvés en difficulté, LBO n’a jamais voulu réinjecter d’argent, malgré les nombreux profits engrangés pendant des années. Ils portent une grande responsabilité dans nos déboires.
L’entreprise n’a pas bénéficié d’aides de l’État ?
Nous avons rempli un dossier pour obtenir un prêt garanti par l’État, nous étions éligibles à un prêt à hauteur de 109 millions d’euros, mais aucune banque n’a voulu nous suivre. L’actionnaire ne mettant rien sur la table… Et puis la volonté du gouvernement est de réduire l’accession à la maison individuelle, qui ne serait pas un modèle viable car énergivore, comme l’a déclaré en 2021 l’ancienne ministre du Logement Emmanuelle Wargon.
Comment avez-vous réagi à l’annonce subite de la mise sous tutelle ?
Dès le premier jour, j’ai demandé au CSE de nous octroyer l’aide d’un cabinet extérieur et d’un avocat. L’ensemble des syndicats a fait front, nous avons travaillé main dans la main. Nous avons obtenu une visioconférence avec le ministre de l’Économie Bruno Lemaire, qui ne nous a pas été d’une grande aide.
C’est un immense gâchis. Personne ne comprend comment Maisons Phénix, qui existe depuis 1946, puisse finir dans l’indifférence totale.
Une alternative à la liquidation judiciaire était-elle possible ?
Oui, nous avons travaillé sur une restructuration interne, avec un projet porté par nos dirigeants et appuyé par notre liquidataire. On demandait 70 millions à l’État, 35 pour éponger nos dettes et finir les chantiers, 35 pour redévelopper notre concept, qui pouvait être très rentable. Ce projet de réorientation n’a pas suffi pour convaincre. Aujourd’hui, il n’y a plus rien à faire pour sauver l’entreprise.
Que va-t-il se passer pour les clients ayant commandé une maison ?
Ceux dont les travaux ont commencé, pour lesquels il manque par exemple un toit et des fenêtres, devraient voir leur chantier de maison achevé. Mais dans quel délai ? Ceux dont les travaux sont en phase de démarrage, pour lesquels on allait faire les fondations, vont davantage souffrir. Les assureurs ne vont pas délivrer les garanties de livraison, et donc le contrat de construction est caduc. Les propriétaires de terrain devront trouver un autre constructeur, et assumer la forte hausse des prix.
Propos recueillis par GM
Crédit photo : DR