Sapeurs-pompiers : « notre corps n’a pas évolué depuis 20 ans ! »
28 septembre 2022 | Fonction publiqueSocial
Incendies, « méga-feu » et intempéries… Nombreux sont les sapeurs-pompiers à avoir été mis à rude épreuve cet été. Quelles sont les conséquences ? Comment solutionner ? La CFTC s’est entretenue avec Anthony Chauveau, adjudant, sous-officier de garde et président du syndicat national CFTC SAPSDIS.
Avez-vous été mobilisé cet été ?
Non, l’Indre-et-Loire ne fait pas partie des départements qui se sont déplacés dans les territoires victimes de « méga-feu », tels que la Gironde ou le Gard.
Comment cela se fait-il ?
Cela s’explique principalement par l’obsolescence de notre parc de camions-citernes feux de forêt qui ne nous permet pas, aujourd’hui, de participer aux renforts nationaux, puisqu’il ne répond plus aux normes de sécurité attendues.
N’est-ce pas contradictoire quand on sait que des pompiers de Polynésie française, voire de certains pays européens, l’ont été ?
On peut voir ça comme ça, même si nous avons tout de même été mobilisés sur le département voisin du Maine-et-Loire.
Il semble que la couverture nationale ne soit pas optimum…
Le problème vient de l’organisation : notre corps de métier est composé à 80 % de sapeurs-pompiers volontaires et seulement à 20 % de professionnels, comme moi. Malgré ce ratio déséquilibré, on demande aux professionnels d’être en congés ou en repos pour pouvoir participer au renfort dans les départements voisins.
Pour l’opération dans le Maine-et-Loire, les collègues professionnels de garde ont pu participer. Par contre, pour les relèves, il fallait absolument qu’ils soient en repos. Dans le cas contraire, ils ne pouvaient pas participer à l’effort, car il fallait continuer à assurer la gestion en caserne.
Et comment avez-vous vécu cette période intense ?
Nous avons vécu la période comme nous l’avions annoncé. Lorsque l’ensemble des syndicats de la profession a été reçu au ministère de l’Intérieur au mois de mai, nous avons prévenu sur l’été qui arrivait et sur les difficultés que nous allions rencontrer, aussi bien en moyen humain que matériel.
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Concernant, par exemple, les camions-citernes feux de forêt, nous avons perdu un peu plus de 1 000 engins sur l’ensemble du territoire en l’espace de quinze ans. Donc, d’un côté, le gouvernement nous assure prendre en considération l’augmentation du risque et, de l’autre, les moyens diminuent.
Vous parlez avec la casquette d’élu syndical, et sur le plan personnel ?
Ça a été dur. Et je sais que c’est également le cas de collègues dans d’autres départements, car nous savons que la ressource nationale n’a pas été exploitée dans son entièreté…
Quelles sont les conséquences ?
Premièrement, en baissant les moyens, nous diminuons notre capacité de frappe. Ensuite, la composition déséquilibrée des effectifs fait que notre activité repose en grande partie sur de la bonne volonté.
Sauf qu’avec la crise sanitaire du Covid-19, et les conditions de travail qui s’intensifient, les volontaires n’arrivent plus à lier vie professionnelle et personnelle, ont l’impression d’ « échouer » dans les deux et perdent petit à petit leur intérêt pour le métier. Ils donnent de leur temps, mais acceptent de moins en moins les contraintes.
Nous avons entendu cet été Gérald Darmanin appeler les entreprises à les « libérer ». Mais leur chiffre baisse : de 204 000 en 2005 à 197 000 en 2020. Peut-on parler de crise de l’engagement ?
Oui, tout à fait ! Concernant le volontariat, nous avons concrètement remarqué une réduction du temps d’engagement des agents. Lorsque qu’un volontaire est recruté, il s’engage sur 5 ans. Il s’agit d’un engagement quinquennal renouvelable. Mais nous constatons que les sapeurs-pompiers volontaires ne restent plus 30 ou 40 ans, comme c’était le cas avant.
Nous faisons malheureusement face à un turn-over important qui pose problème, puisque chaque départ nécessite le recrutement d’un nouvel agent, qu’il faut à nouveau former, équiper, accompagner, etc. Aussi, et surtout, le taux de recrutement des nouveaux agents n’arrive plus à couvrir le taux des départs.
Le 20 juillet dernier, Geoffroy Casu, porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, plaidait devant Emmanuel Macron pour « une remise à plat de l’organisation afin d’éviter le point de rupture ». Êtes-vous d’accord ? Faut-il réformer ?
Je pense, en effet, que la réforme est nécessaire. Nous sommes le seul service public en France à fonctionner avec 80 % de bonne volonté. Aucun autre service, que ce soit gendarmerie, police ou hôpital, ne repose sur un tel système. Comprenez-bien que nous n’avons rien contre les volontaires, tout au contraire. J’ai moi-même commencé par là. Mais nous devons refonder le modèle de sécurité civile.
Et que réclamez-vous au gouvernement ?
Une vraie réforme !
Qu’entez-vous par là ?
Une réforme sur le financement du service. Il faut savoir que notre modèle est financé par les départements, puisque les sapeurs-pompiers sont organisés au niveau départemental, les communes et par une taxe spéciale de convention des assurances versée par l’État.
Mais là où le bât blesse c’est que cette taxe est d’abord versée aux conseils départementaux avant de l’être aux services, et je suis désolé de dire que certains conseils « ne jouent pas le jeu ». Par conséquent, nous militons pour que la somme versée le soit directement à chaque service départemental ou territorial d’incendie et de secours.
Nous demandons également un rééquilibrage des effectifs et, notamment, l’augmentation du nombre de sapeur-pompier professionnel. Le ratio 80 %/20 % n’est plus tenable.
On nous dit que nous sommes la colonne vertébrale de la nation, mais notre corps n’a pas évolué depuis 20 ans !
En quelques mots, nous attendons du gouvernement un meilleur financement et une meilleure gestion du modèle, sachant que les épisodes de l’été risquent de gagner en intensité.
Justement, pensez-vous que « la guerre du feu est aussi la guerre de l’eau », à savoir de la crise climatique ?
Sans aucun doute ! Est-ce que la sécheresse qu’on a connue est intimement liée au climat ? Oui. Est-ce que cela est inquiétant ? Oui. Nous avons déjà connu des phénomènes de sécheresse importants dans le passé, mais ce qui change à présent est leur caractère répétitif. Il ne s’agira plus de simples épiphénomènes, comme la canicule de 2013. La preuve en est que la Gironde fait actuellement face à des reprises de feu.
Et c’est parce que nous, sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, assurons la protection des personnes, des animaux, dans la mesure du possible, et de l’environnement que notre modèle mérite d’être amélioré pour gérer au mieux les défis à venir.
[MAJ du 02/11/2022]
Emmanuel Macron a reçu des pompiers à l’Élysée le vendredi 28 octobre pour une cérémonie de décoration. Le président de la République a également annoncé un plan de 400 millions d’euros pour lutter contre les feux de forêt. Itw d’Anthony Chauveau, pompier président du syndicat SpasSdis-CFTC, sur BFMTV.