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« Je ne veux pas que nous soyons sacrifiés sur l’autel de l’économie », Arnaud, enseignant et militant CFTC

20 avril 2020 | Visages du syndicalisme

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Arnaud est enseignant dans un lycée professionnel privé dans le Nord. Responsable de deux classes de 2de et 1re, il dresse un bilan acéré sur la fermeture des écoles, la continuité pédagogique et l’éventuelle prochaine rentrée des classes.

Comment vivez-vous ce confinement ?

Il a fallu prendre ses marques pour organiser la vie de famille ‒ j’ai deux enfants en bas âge scolarisés ‒, organiser l’école à la maison, occuper les enfants une fois les devoirs finis, tout en assurant le suivi pédagogique de mes deux classes, soit 76 élèves quand même ! Et je souhaite bien préciser que contrairement à ce que le Président avait dit lors de la fermeture des écoles, l’Éducation nationale n’était absolument pas prête pour gérer cette situation inédite. Oui, nous avons quelques outils, qui fonctionnent plus ou moins bien ‒ plus moins que bien au début, il y a eu de nombreux bugs techniques, les plateformes n’étaient pas prévues pour accueillir autant de flux en même temps. Mais les enseignants n’étaient pas tous prêts !

Comment vous êtes-vous organisé ?

Petit à petit. J’ai la chance de maîtriser les nouvelles technologies et les outils informatiques, contrairement à certains collègues. Il a fallu trouver les supports et les logiciels appropriés pour diffuser les cours. J’ai fait quelques pastilles vidéo pour répondre aux questions, dans un premier temps, puis expliquer la trame globale de la séquence en cours. Mais j’ai décidé de ne pas multiplier les supports en visioconférence.

Je ne pense pas qu’exiger des élèves de rester quatre ou cinq heures par jour ‒ si tous les profs utilisent cette méthode ‒ devant un écran soit à la fois productif et recommandé. Ça va à l’encontre de toutes les consignes en matière d’éducation. Il a aussi fallu s’adapter aux familles qui n’ont qu’un ou pas d’ordinateur à la maison, pas de connexion internet. On a pallié ces inégalités en mode système D ; le lycée a prêté les quelques machines portables qu’il avait, on a fonctionné avec des photocopies… Mais ce n’est tout simplement pas tenable sur la durée. La preuve, on a perdu des élèves en route. Et bien plus que les 8 % annoncés par le ministre Blanquer. On a beau y mettre toute notre énergie, du temps, de la volonté, ce n’est pas suffisant. Et puis on a déjà un gros surcroît de travail pour adapter nos cours en présentiel, pour passer les consignes… on ne peut appeler 40 élèves pour un suivi particulier. Ce système crée des inégalités face auxquelles on est impuissants.

Pensez-vous pouvoir les « récupérer » à partir du 11 mai, lors de la rentrée des classes annoncée par le Président Macron ?

Que les choses soient claires, je n’ai qu’une hâte, c’est de retrouver mes élèves. Eux aussi d’ailleurs manifestent leur envie de revenir en classe. Certains me disent que l’école leur manque ! J’en suis le premier surpris, et c’est très agréable. Néanmoins, cette annonce ne fait que soulever des questions qui sont pour le moment sans réponse. On les attend d’ailleurs, ces précisions. Franchement, comment et pourquoi allez-vous remettre 40 élèves dans une salle, dire qu’il est possible de respecter les gestes barrière et les distances de sécurité alors que vous n’autorisez pas la réouverture des restaurants ? Comment fait-on pour organiser la cantine ? Les récréations ? Et je ne suis concerné que par des « grands » qui sont conscients de la gravité de la situation ! Imaginez en maternelle !

Lire aussi : « Certains précautions sont préconisées mais leur application est impensable », Annie Toudic, président du SNEC-CFTC

Avez-vous peur de cette reprise ?

Bien sûr. Aura-t-on du matériel de protection, du gel hydroalcoolique ? Que faire si une personne est infectée ? Les autres élèves seront-ils isolés ? Je n’ai que des questions, inquiétantes, sur ce 11 mai. Je nourris de vraies craintes sur le « comment ». Quid des personnes à risque ? Les femmes enceintes qui enseignent ? Les personnes qui ont une maladie chronique, donc fragilisées, mais qui ne sont pas tenues d’en informer l’employeur ? Je ne vois pas comment on pourrait rouvrir les écoles le 11 mai. Même si je comprends les raisons.

Quelles raisons ?

Il faut libérer les parents et remettre les entreprises, l’économie en route. Je peux entendre cet argument, mais à moitié seulement. Il s’agit de faire le choix entre la sécurité sanitaire des enfants et enseignants, et la reprise de l’économie. C’est l’économie qui est ici privilégiée. Rappelons que le premier décès en France était un enseignant. Je ne veux pas que nous soyons sacrifiés sur l’autel de l’économie.

Quelle est la solution ?

On veut des précisions, des garanties et assez rapidement, pour reprendre le chemin de l’école, d’autant que la continuité pédagogique a clairement des limites, et que la vie professionnelle a tendance à grignoter la vie privée. Oui, nous travaillons ! Mais je veux ajouter qu’en tant que grand optimiste, voire utopiste, on tirera des leçons à la fin de cette crise sanitaire, sur nos modes de vie, nos rapports aux autres, notre rapport au travail. Je pense que beaucoup de lignes peuvent bouger favorablement.

 

Crédit photographique : Pixabay / Markus Spiske
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