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Julien Damon : « L’ambition est celle d’une protection sociale personnalisée et préventive »

4 novembre 2021 | Social

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Personnalisation, prévention et partage des données forment l’horizon de notre système de protection sociale, sur fond de révolution numérique. C’est ce que nous explique le sociologue Julien Damon, enseignant à Sciences Po et HEC, et conseiller scientifique de l’École nationale supérieure de sécurité sociale (En3s).

protection sociale

Notre système de protection sociale tend vers une personnalisation des services. Comment s’opère cette évolution ?

On présente souvent le système de protection sociale issu de 1945 avec trois ambitions commençant par U : unité, uniformité, universalité. L’unité, c’était l’ambition d’un seul système et non une myriade de risques et de branches. Cela n’a jamais fonctionné, le système a toujours été divers. Avec l’uniformité, chacun devait être traité exactement de la même façon. Elle ne s’impose absolument plus parce que chacun entend être traité en fonction de ses particularités.

En revanche, ce qui a bien fonctionné, c’est l’universalité : la protection sociale s’est généralisée à l’ensemble de la population. En effet, auparavant, n’étaient couverts que les gens qui cotisaient par leur travail. Or, aujourd’hui, tout le monde, notamment en matière d’assurance-maladie, est couvert sur la seule base de sa présence sur le territoire.

Mais depuis 1945, les ambitions ont changé…

Oui. On s’est orienté vers ce que j’appelle les trois P. À rebours de l’idée d’uniformité, il y a d’abord la personnalisation, c’est-à-dire l’aspiration à être traité en fonction de ses spécificités. Mais cela complexifie le système. Le deuxième P, c’est la prévention. De plus en plus, on souhaite investir dans la prévention des risques : mieux vaut prévenir que guérir, et ça coûte moins cher. Enfin, le troisième P, c’est le partage des données. L’ambition est celle d’une protection sociale personnalisée et préventive en fonction des données dont disposent les opérateurs de la protection sociale.

Le numérique permettrait-il d’unifier le système de protection sociale ?

Absolument. Les organismes de protection sociale gèrent la relation de service. Et le numérique simplifie cette gestion. Mais 17 % de la population ne peuvent pas bénéficier de cette productivité accrue, parce qu’ils ne maîtrisent pas les outils numériques, ou n’en disposent pas. Alors, d’un côté, il est important de densifier et améliorer la relation numérique pour les 83 % restants, qui sont de plus en plus nombreux. Mais d’un autre côté, la situation ne cesse de s’aggraver pour les personnes en situation d’illectronisme. Cela légitime les organismes de protection sociale à leur proposer des accueils physiques et téléphoniques de qualité, à les former, à les assister, y compris à leur domicile.

Peut-on imaginer, à l’avenir, un point d’entrée unique pour l’usager de la protection sociale ?

Cela fait entre vingt et quarante ans que l’on brandit le « guichet unique » comme réponse à un système trop compliqué et trop dispersé. Mais le numérique le rend désormais possible, à moyen terme. Concrètement, vous pourriez gérer l’ensemble de vos dossiers depuis un seul site internet, que ce soit l’assurance-maladie, l’assurance-chômage, les prestations familiales, ou encore votre retraite. L’intérêt serait le partage des données, l’efficacité immédiate, la personnalisation et l’adaptation intégrales… Et vous ne fourniriez qu’une seule fois un même document. Cela pourrait même aider au traitement des situations les plus difficiles.

Et ce ne serait pas coûteux ! C’est pourquoi l’État y voit immédiatement un intérêt.

Il pourrait d’ailleurs être tenté par une digitalisation intégrale qui ne prendrait pas en compte ceux qui passent à travers les mailles du filet numérique. Mais l’un des intérêts du paritarisme, c’est que les partenaires sociaux calment les ardeurs axées sur la seule quête d’économies, afin que le système de protection sociale soit à la fois universel et adapté aux spécificités de chacun.

Quel a été l’effet du Covid sur la numérisation de la protection sociale ?

Il a fallu accélérer encore la dématérialisation de la protection sociale. En effet, des guichets physiques ont fermé et des guichets numériques ont été déployés. En mars 2020, il a fallu complètement revoir, en quelques jours, la façon dont ces gigantesques machines fonctionnent. Avec, notamment, le télétravail de l’ensemble des personnels de ces organismes. Et cela a marché ! Ce qui a démontré les capacités de résistance et d’adaptation du système. Par rapport à d’autres services publics et privés, les organismes de protection sociale s’en sortent la tête haute.

Mais maintenant, il va falloir trouver des financements pour faire face aux dettes et aux déficits considérables qui se sont creusés. Il a fallu dix ans au système de protection sociale pour digérer la crise économique de 2007-2008. Or, le déficit de fin 2020 est presque deux fois plus élevé !

« Le Covid a démontré les capacités de résistance et d’adaptation des organismes de protection sociale »

Y a-t-il un risque d’aboutir à terme à une gestion purement budgétaire de la protection sociale ?

L’un des risques, c’est en effet que la protection sociale soit vue comme un morceau du budget de l’État. Et que, lorsqu’il faut faire des efforts pour la police, l’armée ou l’Éducation nationale, on pioche dans le budget de la protection sociale.

Mais nous avons d’un côté une loi de finances pour l’État et de l’autre une loi de financement de la Sécurité sociale. Ce sont deux sphères bien distinctes, et cela nous prémunit, dans une certaine mesure, contre une étatisation de la protection sociale. Mais je ne dis pas que cela prévaudra encore longtemps.

Quelles sont les nouvelles frontières de la protection sociale, en termes de publics, de nouveaux risques, de modalités d’intervention ?

Il y a des risques moins bien couverts que d’autres. C’est le cas, d’abord, de la dépendance, parce que personne n’avait prévu, lorsqu’on a créé le risque retraite, que l’on vivrait si longtemps. Il faut donc trouver des financements pour les services d’accompagnement des personnes âgées.

C’est le cas, ensuite, de la pauvreté. Ce risque, comme le chômage d’ailleurs, n’avait pas été prévu par la Sécurité sociale. La pauvreté, et singulièrement celle des enfants, atteint un niveau élevé en France. Notre politique familiale est pensée pour les familles nombreuses et ne traite qu’imparfaitement le sujet des familles monoparentales. Même si beaucoup a été fait, on devrait pouvoir réformer et améliorer.

Concernant les modalités d’intervention, le grand enjeu est d’arriver à mettre en place des services et de l’accompagnement, à côté des prestations monétaires. Les aides financières ne suffisent pas forcément, certains ont besoin d’être aidés humainement au quotidien.

Propos recueillis par Laurent Barberon

Photo : DR

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