Dialogue social : le bilan de la CFTC sur les ordonnances Travail
14 janvier 2022 | Social
Le 16 décembre 2021, le comité d’évaluation des ordonnances Travail de 2017 rendait public son 4e rapport. Si les objectifs quantitatifs* semblent atteints, il n’en va pas forcément de même pour les objectifs qualitatifs, au regard de l’ambition affichée de développer le dialogue social, conclut le rapport. Un constat partagé par la CFTC.
Le 23 septembre 2017 marquait la mise en vigueur des cinq ordonnances dites « ordonnances Travail ». L’objectif : réformer le dialogue social et sécuriser le marché du travail.
Le Gouvernement, qui a fait le pari d’ouvrir les champs de la négociation en entreprise, souhaitait renforcer l’efficacité de la négociation collective, en « simplifiant » les trois instances représentatives du personnel (IRP) : délégué du personnel, comité d’entreprise et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), remplacées par une instance unique, le Comité social et économique (CSE).
Aux origines de la réforme, la CFTC n’était pas opposée au principe de décentraliser le dialogue social et ses acteurs au niveau de l’entreprise. Toutefois, près de quatre ans après et une pandémie mondiale de Covid-19, le constat est clair.
Au-delà des difficultés d’appropriation des nouveaux dispositifs, le dialogue social est encore beaucoup trop souvent vécu dans les entreprises comme une contrainte et non une opportunité. La réforme aurait-elle étriqué ce qu’elle tentait d’ouvrir ?
Ordonnances Travail : entre centralisation du dialogue social et concentration des espaces de discussion
Concernant le déploiement des CSE, la crise sanitaire a mis en avant de manière flagrante les faiblesses des ordonnances, faiblesses déjà relevées avant la crise. Cette réforme visait pourtant à améliorer le dialogue social de proximité en adaptant ses conditions aux réalités du « terrain ». Mais bien loin des réalités concrètes de l’entreprise, la mise en place des premiers CSE montre une tendance à la centralisation et à l’uniformisation des instances de dialogue social.
Quand ils existent, les CSE d’établissement se sont retrouvés affaiblis par rapport au CSE central de l’entreprise [auquel revient le rôle de redéfinir la stratégie globale de l’entreprise, Ndlr], qui, lui, s’est retrouvé exposé au risque d’une sur-sollicitation par des dossiers précédemment traités au niveau de l’établissement, notamment sur toutes les questions relatives aux conditions de travail. En réduisant le nombre d’instances et de mandats, le dialogue social de proximité a donc été fortement affaibli.
Ajoutons à cela le fait qu’en termes de moyens des instances, les entreprises ont opté pour le minimum légal. Peu de représentants de proximité ont été mis en place et la disparition des CHSCT a eu des conséquences sur la manière dont les sujets de santé et sécurité au travail sont abordés dans le CSE, faute d’une instance dédiée.
Les multiples compétences nécessaires et multiples sujets traités par le CSE font qu’il est difficile pour les élus de donner, à chacun des sujets relevant de son champ de compétences, le temps et l’expertise nécessaire pour mener à bien l’ensemble des missions.
Cette tendance s’accentue avec les nouvelles prérogatives ajoutées au CSE depuis 2017 (référent handicap, réfèrent harcèlement, référent Covid, nouvelles compétences sur les questions environnementales, etc.). La question de la non-présence des suppléants aux réunions du comité pose également un problème concernant le bon fonctionnement du CSE.
Les ordonnances Travail auraient pu offrir une opportunité de créer un dialogue social sur mesure, adapté aux besoins de chaque entreprise. C’est au final un rendez-vous manqué tant pour les représentants des salariés que pour les directions d’entreprise faute d’avoir pu mettre en place un CSE sur mesure.
Nous devons tirer les enseignements de cette première mise en place des CSE, à la lumière des insuffisances accentuées par la crise, pour procéder aux corrections indispensables lors de leur renouvellement, qui a déjà commencé, précise Cyril Chabanier, président de la CFTC.
Négociations sans syndicat, le pendant des ordonnances Travail
Autre aspect notable des ordonnances : la négociation sans présence syndicale. Notons que les possibilités de négociation dérogatoire à la branche ont été considérablement élargies, y compris pour les entreprises de moins de 50 salariés.
En 2017, la CFTC invitait à prendre la mesure avec beaucoup de pragmatisme, appelant la partie patronale au plus grand sens des responsabilités afin que cette distinction d’effectifs (+ et – de 50 salariés) ne conduise pas, en toute légalité donc sans moyens de recours, à une distinction des droits et autres protections pour les salariés
La production de normes en entreprise doit relever d’acteurs formés au dialogue social tels que les délégués syndicaux ou, du moins, les représentants du personnel. Au regard des possibilités de déroger à la branche et du risque de dérégulation sociale importante, il est primordial de s’assurer que ces accords apportent des avancées pour les salariés dans ces entreprises de moins de 50 salariés où le nombre d’accords conclus ne cesse de progresser.
D’ailleurs, rappelons que plus d’un tiers des accords conclus le sont dans des entreprises de moins de 50 salariés. Les données quantitatives montrent, par exemple, que les petites entreprises se saisissent progressivement du dispositif des accords de performance collective (APC). Ces accords permettent de déroger à la fois à la branche, au contrat de travail mais aussi à toutes les clauses contraires présentes dans les autres accords en vigueur dans l’entreprise.
Ces accords peuvent donc être un outil de dérégulation massive, si aucun garde-fous – tels que la clause de retour à meilleure fortune ou la garantie d’emploi – n’est apporté. Or ces dernières font défaut en l’état actuel des textes alors même que le recours aux APC s’est accéléré depuis la crise du Covid-19. Il est donc nécessaire de sécuriser les droits des salariés dans ce dispositif en faisant évoluer le cadre légal afin qu’il soit plus protecteur.
L’analyse qualitative et les pistes de correction, nécessitant de redéfinir le cadre législatif constitueront le principal objectif de la CFTC pour la suite de la mise en œuvre.
*Au 31 décembre 2020, on dénombrait près de 90 000 CSE créés et un nombre croissant d’accords dans les entreprises de moins de 20 salariés.