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Covid-19. « Quand nous identifions une bonne pratique, elle est partagée », Jimmy, directeur d’école et militant CFTC

15 avril 2020 | Visages du syndicalisme

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Jimmy Carassou est directeur d’école à Saint-Joseph (la Réunion), président du syndicat national CFTC Enseignement public et Recherche, membre du bureau de la FAE (fédération des agents de l’Etat).

Comment vos conditions de travail ont été bouleversées depuis le confinement ?

Les écoles sont fermées, et l’on s’organise à distance, par téléphone, ou par email. Nous avons un double travail à effectuer : enseigner, évidemment, mais aussi gérer les enfants qui ne répondent plus présent. En tant que directeur d’école, je dois rechercher, et relancer, par tous les moyens possibles, les enfants qui décrochent…

Tous les moyens possibles, cela implique-t-il également des déplacements ?

Oui, pour les familles en rupture numérique, qui n’ont pas accès à Internet. Dans ces cas-là, nous convenons d’un rendez-vous, et, grâce à une autorisation de déplacement délivrée par le rectorat, nous procédons, typiquement le lundi, à une distribution des cours et devoirs, préparés en amont par les enseignants. Cela oblige les enseignants à préparer leurs cours une, ou deux semaines en avance – il ne nous est pas possible en effet, de nous déplacer plus d’une fois par semaine.

Pour les autres, vous avez suivi la procédure de cours à distance par Internet ?

Nous avons d’abord dû nous adapter, car nous n’étions pas prêts à basculer, du jour au lendemain, dans un univers 2.0., puis composer avec les informations qui nous sont parvenues au compte-gouttes. Le premier jour a ainsi été dédié à la mise en place des supports numériques, qui n’avaient pas été opérée dans toutes les écoles. Il nous a fallu envoyer les tutoriels à certains collègues qui n’étaient pas familiarisés avec l’outil informatique.

La seconde étape a été de contacter toutes les familles, une par une, sans toujours avoir une adresse email ou un numéro de portable ! Ce n’était pas dans la culture de l’Éducation nationale, surtout dans le premier degré, de collecter ces données numériques.

Du fait de cette crise, nous sommes subitement passés dans un nouvel univers.

Et depuis, comment ça se passe, aussi bien pour les professeurs que pour les élèves ?

Les professeurs essaient d’adapter leur pédagogie, en fonction de leurs connaissances informatiques. Nous nous sommes vite rendu compte qu’il était compliqué de proposer des journées de classe ordinaires, que cela demandait énormément de temps et d’investissement des parents. Dans un premier temps, nous avons donc pris le parti de miser sur la consolidation, c’est-à-dire la reprise de notions déjà acquises, au moyen de mises en situation particulières. On propose des “jeux défis”, réalisables avec le matériel disponible à la maison. Il faut que nous parvenions, en tant qu’enseignants, à trouver la bonne composition, que ce soit suffisamment ludique. Que les parents puissent réussir l’accompagnement, et que l’on ne perde pas les enfants.

Iriez-vous jusqu’à dire que cette situation a été l’occasion d’innovations pédagogiques ?

Oui, il y a eu des bonnes idées, que l’on a pu par la suite partager. Quand nous identifions une bonne pratique, elle est partagée avec l’ensemble des collègues. Cela permet de démultiplier les effets positifs. Et la solidarité numérique entre collègues s’en trouve accentuée. Nous nous envoyons des emails, et nous disposons de salles de réunion virtuelles. Nos réunions sont moins fréquentes, mais elles sont maintenues.

Vous avez évoqué la crainte de “perdre les enfants”. Qu’est-ce qui vous fait craindre cela ?

Au cours des premières semaines, parents et enseignants ont répondu favorablement à nos sollicitations. Les parents répondaient à chacun de nos emails, en nous faisant part de certaines difficultés, d’observations. Désormais c’est à nous de les relancer, ils ne nous rendent plus compte systématiquement. Cela ne veut pas dire qu’ils ne travaillent pas avec les enfants, mais on sent qu’il y a comme une prise de distance par rapport au dispositif. Une sorte de lassitude. Ce qui peut se comprendre dans la mesure où eux-mêmes ont sans doute des obligations professionnelles, que ce soit en télétravail ou pas, et ce n’est pas forcément facile de répondre aux demandes de l’école. L’enseignant doit donc activement maintenir le lien, en particulier avec les familles les plus fragiles.

Comment voyez-vous les semaines à venir ?

Ce qui pose aujourd’hui un peu problème, c’est le manque de visibilité. Tous les jours, nous recevons de nouvelles informations, des ordres et des contre-ordres. Par exemple, au départ nous étions encouragés à utiliser tous les moyens à notre disposition, et certains enseignants utilisaient donc des logiciels gratuits disponibles sur Internet, mais de plus en plus il nous est demandé de revenir dans le cadre légal, et d’utiliser les outils mis à disposition par l’Education nationale. Il nous manque une vision de long terme.

Un dernier mot ?

Je voudrais parler des enseignants volontaires, ceux qui, dans les écoles, enseignent aux enfants des soignants ou des agents la police. Certaines académies ont prévu une rotation des enseignants, pour alléger cette charge, mais, dans mon académie, dans certaines communes, ce sont les mêmes enseignants qui sont en place depuis le début du confinement. Ils doivent suivre des règles très strictes, c’est une charge mentale supplémentaire, et ce serait une bonne chose de pouvoir les remplacer, mais malheureusement nous n’avons pas d’enseignants volontaires. Il y a un vrai problème de conscience, et un manque patent de solidarité entre collègues, dans certaines régions.

 

Crédit photographique : Klim Kin / Pixabay
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