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Airbus : comment former les salariés, pour favoriser l’émergence d’une aviation moins carbonée ?

4 décembre 2025 | Social

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Ce 28 novembre, la CFTC Métallurgie organisait avec ses adhérents salariés au sein d’Airbus un grand colloque consacré à la transition écologique, axé autour d’une problématique fondamentale : la formation et la reformation des travailleurs, en vue de favoriser et accélérer la décarbonation de l’aviation. Si le défi est immense pour l’avionneur, ses salariés peuvent mobiliser de nombreux dispositifs individuels et collectifs pour repenser leurs métiers et parcours professionnels, dans une optique plus respectueuse des hommes et de l’environnement.

Ce 10 novembre, António Guterres avait coupé court à tout suspense en ouverture de la COP 30, au Brésil: le secrétaire général de l’ONU avait alors affirmé que les objectifs fixés en 2015 par l’accord de Paris – qui visait à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C ne seront pas atteints. Un constat qui interpelle. Surtout au sein de certaines industries, réputées fortement émettrices en CO2. C’est notamment le cas de l’aviation commerciale et d’un de ses plus illustres représentants, l’avionneur Airbus.

Pour ne pas dépasser la barre des 2 degrés de réchauffement – la limite haute fixée par les COP précédentes –  des centaines de métiers et de savoir-faire sont notamment à repenser, pour réduire le bilan carbone de pans entiers de l’économie. Mais comment mettre concrètement la formation et la transformation des emplois au service d’une industrie moins carbonée? C’est cette problématique qu’a voulu adresser la CFTC Métallurgie et ses militants salariés au sein du groupe Airbus, dans un grand colloque dédié à la transition écologique, ce 28 novembre.

Viser à une transformation globale des métiers de l’aviation

A Toulouse, siège historique de l’avionneur, ce sont un peu plus de 130 salariés de l’entreprise qui prennent place dans une longue salle de conférence, afin d’assister à l’évènement. Nicolas Gourdain, chercheur à l’Institut supérieur de l’aéronautique, se charge d’ouvrir le bal, en dimensionnant d’emblée le problème : « L’aviation a baissé de 80% sa consommation d’énergie par kilomètre passager, ces 50 dernières années. Aucun autre secteur n’est parvenu à faire ça. Néanmoins, en parallèle, le trafic aérien mondial a été multiplié par 13…Est-ce qu’on peut continuer de faire baisser les émissions de CO2 par appareil ? Très probablement, oui, mais pas suffisamment pour contrebalancer l’augmentation de la demande… »

Pour espérer être à la hauteur du défi climatique, Airbus ne pourrait-il pas dès lors mettre en œuvre une transformation globale des métiers, qui dépasserait la simple conception de l’avion décarboné ? C’est l’une des évolutions prônées par Marie-Pierre-Cassagne, salariée d’Airbus et adhérente CFTC. Cette experte en transition écologique dans le transport aérien a pu obtenir d’être détachée 3 ans par l’avionneur, pour œuvrer à la création d’un Master en aviation durable. Il devrait voir le jour en 2026, en partenariat avec l’école nationale de l’aviation civile et l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace : « Dans l’aviation, des métiers très différents sont en train de se transformer pour prendre en compte la transition écologique, explique cette ingénieure de formation. Bien entendu, le cœur du réacteur, c’est le bureau d’étude, pour construire un avion plus léger, des moteurs plus efficaces, etc…Mais ça concerne aussi de nombreux autres postes »

Les achats par exemple. « Quand vous achetez des pièces, vous pouvez choisir des équipements dont la conception est la moins carbonée possible. Favoriser les fournisseurs les plus vertueux écologiquement incite aussi leurs concurrents à décarboner leur production, pour rester en phase avec la demande du client… » D’autres progressions et mutations sont envisageable : « On peut aussi citer le cas de l’informatique, reprend Marie-Pierre-Cassagne. Dans l’aéronautique, l’IA va induire un surplus de consommation d’énergie, il faudra dès lors se demander comment construire des systèmes digitaux moins énergivores. »

« On ne peut pas se contenter de former les salariés de demain »

Cette transformation d’ampleur des métiers ne sera cependant possible que si elle s’accompagne de formations non seulement professionalisantes, mais aussi ouvertes au plus de travailleurs possibles. « Les problématiques écologiques sont déjà importantes là, maintenant. On ne peut donc pas se contenter de former les salariés de demain, pointe Pierre-Louis Vernhes, administrateur de l’association des Shifteurs, dont l’action consiste à éclairer et influencer le débat sur la transition énergétique. Si on veut y arriver, tous les emplois doivent être concernés par cette transformation, via une formation des actifs et des emplois déjà existants »

« L’avantage, c’est qu’en France, on ne manque pas d’outils et de dispositifs pour se former, rebondit Aline Mougenot, chef de file CFTC en matière de formation. Certaines sont directement à la main du salarié comme le Compte personnel de formation (CPF), qui est financé à hauteur de 500 euros par an. « C’est une formation à mener sur votre temps personnel, mais vous pouvez négocier avec votre employeur pour l’effectuer sur une partie de votre temps de travail. » D’autres dispositifs doivent être légalement mobilisés par les entreprises : « Par exemple, l’entretien professionnel, que l’employeur doit obligatoirement mener tous les quatre ans, reprend Aline Mougenot : il vise à accompagner le salarié dans ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi. »

Encore faut-il que l’entreprise propose des débouchés et alternatives convaincantes : « En tant que salarié, je ressens le besoin de faire remonter aux sphères dirigeantes qu’il y a besoin d’évolutions majeures, intervient Stéphane, ingénieur chez Airbus. Mais comment le faire, sans être convoqué tous les 2 jours par les RH ? « Seul, on ne peut pas arriver à grand-chose, concède Aline Mougenot. La solution ne peut être que collective et, pour ça, il y a un outil magique qui s’appelle le syndicat ! Il ne faut pas hésiter à mobiliser les élus, pour faire remonter les choses à sa direction. » A ce titre, les représentants des salariés peuvent par exemple signer avec le patronat des accords sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). «Ils peuvent notamment permettre la mise en œuvre des plans collectifs de formation, adaptés aux enjeux de la transition écologique », précise Florent Veletchy, le coordinateur CFTC du groupe Airbus.

Le projet de transition professionnelle, outil phare de la reconversion

Pour certains salariés, la reconversion est cependant la seule évolution de carrière possible. C’était notamment le cas de François Bommier. Cet ex ingénieur d’Airbus – aujourd’hui chauffagiste – co animait un atelier au colloque de la CFTC ce 28 novembre, afin de partager son parcours professionnel atypique. « J’avais un temps imaginé faire toute ma carrière chez Airbus, mais, à partir de 2011, je me suis demandé si j’avais vraiment envie de continuer au sein de l’entreprise… J’ai dû faire autour de 80 entretiens pour trouver des solutions de mobilité interne ou externe, mais rien ne fonctionnait…» Fin 2015, il est au bord de la rupture : « J’avais 53 ans, j’étais en grande détresse au travail. J’avais perdu tout sentiment de pouvoir être utile à un bureau d’étude… » Peu après, il dépose cependant un dossier de financement pour une formation de 9 mois comme technicien de maintenance d’équipements de chauffage, de climatisation et d’énergies renouvelables. Il est accepté.

« La formation était excellente. Aujourd’hui, j’ai ma propre entreprise d’installation de chauffage. Je suis très épanoui dans mon travail, ça fonctionne tellement bien qu’on doit refuser des clients. » Pour se reformer, François a pu bénéficier du dispositif PTP (projet de transition professionnelle), qui permet à un salarié de s’absenter 1 à 2 ans de son poste pour se former. « Le PTP vous assure 90 à 100% de votre rémunération initiale pendant la première année de formation (et au moins 60% la seconde) et prend en charge tous les couts d’apprentissage, détaille Aline Mougenot. Pour ce faire, le salarié doit auparavant déposer un dossier de reconversion professionnelle auprès de l’organisme Transitions Pro de sa région. « Si on a un projet qui fait sens, il ne faut pas hésiter : en région Occitanie, 72% des dossiers de reconversion sont acceptés en moyenne chaque année » appuie Michèle Arrighi, mandataire CFTC au sein de Transitions Pro.

Face à l’anxiété écologique, l’action reste le meilleur remède

Si des solutions de formation et de reformation existent donc, des craintes peuvent subsister – à Airbus ou ailleurs – sur l’insuffisance des transformations et de l’assainissement de notre modèle productif. « Ces peurs sont légitimes, conclut la praticienne en psychothérapie Charline Schmerber, qui animait ce 28 novembre un atelier dédié à gérer son éco-anxiété. Cependant, toutes les études démontrent que, pour faire face au défi écologique, la peur est parfaitement inefficace, car elle mène à la résignation. Pour arriver à se projeter, il faut au contraire se donner des perspectives d’évolution. A titre personnel, je pense que ce qu’on pourrait ici qualifier de système ne va pas changer. Mais je crois que nous pouvons effectivement l’assainir, participer par l’action à sa transformation.

AC

Crédits photos : romanb321 et New Visuals

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