Liquidation de Brandt : « On était un peu le dernier village gaulois, qui résiste à l’envahisseur »
19 décembre 2025 | Emploi & MobilitéSocial
Mis en redressement début octobre, Brandt a vu sa liquidation confirmée par le tribunal des activités économiques de Nanterre ce 11 décembre. Un coup très dur pour les près de 700 salariés du dernier fabricant de gros électroménager en France, qui avaient pourtant proposé un projet de reprise de l’entreprise en SCOP. Explications avec Cyril Aubert – secrétaire CFTC du CSE de Brandt, – qui revient aussi ici sur la trajectoire descendante empruntée par le groupe, depuis de trop nombreuses années.

Cyril, ce 11 novembre le tribunal des activités économiques de Nanterre a confirmé la liquidation de Brandt. Les salariés avaient pourtant bon espoir que leur projet de reprise de l’entreprise en SCOP soit validé. Comment vivent-ils cette décision ?
Beaucoup de salariés travaillaient chez Brandt depuis plus de 20 ans, étaient très attachés à l’entreprise, donc c’est forcément une grosse déception…Maintenant, ce n’est pas totalement une surprise non plus. Fin novembre, on se disait d’ailleurs qu’il y avait peu de chances que l’entreprise soit sauvée. Cependant, au fur et à mesure des semaines, les prises de position médiatiques et engagements des élus et ministres se sont succédées, pour soutenir l’entreprise. On a un temps eu l’impression d’avoir inversé le rapport de force. Malheureusement, en bout de course, ça n’a pas suffi.
L’ultime recours des salariés pour tenter de sauver Brandt, c’était de transformer l’entreprise en Société coopérative et participative (SCOP). Comment en êtes-vous venu à proposer ce projet de reprise ?
C’est l’aboutissement d’un processus qui a commencé en juin. Cevital, le groupe algérien qui détient Brandt depuis 2014, s’était alors mis en recherche d’un partenaire pour refinancer l’entreprise. Ils avaient missionné une banque d’affaires à cet effet, mais ça n’a pas abouti. La Direction avait donc indiqué aux syndicats que l’entreprise serait mise en redressement début octobre.
A partir de là, plusieurs repreneurs ont fait savoir leur intérêt pour Brandt. Malheureusement, ils ont tous fini par retirer leur offre de reprise. Les investissements jugés nécessaires pour combler les retards de productivité de nos sites industriels étaient globalement jugés trop importants. Fin novembre, il n’y avait donc plus aucune solution sur la table.
C’est là qu’a émergé l’idée de proposer ce projet de reprise, sous forme de SCOP ?
Tout à fait. Il y a un repreneur potentiel que je n’ai volontairement pas mentionné plus tôt : Cédric Meston, le président du groupe Revive, une société qui reprend des entreprises et fait de la réindustrialisation. Son projet initial de reprise de Brandt n’avait pas pu prendre forme, car il n’avait pas su trouver d’industriel avec qui s’associer, pour donner du volume à nos sites de production.
Néanmoins, l’idée d’adosser la SCOP aux moyens de Revive lui semblait potentiellement viable et il s’y est associé. La CFTC et les autres syndicats ont sondé à cet égard les salariés : 70% soutenaient le projet, 50% d’entre eux affirmant vouloir investir dans des parts sociales de l’entreprise. Malgré tout, le tribunal de Nanterre a jugé que l’ensemble restait trop fragile : il y avait encore trop de doutes sur la pérennité du projet.
Comprenez-vous cette décision de justice?
C’est cruel, c’est dur, mais on savait que cette offre de reprise avait quelques faiblesses, en termes de financement. Il nous aurait fallu trouver 25-26 millions d’euros, pour apporter des garanties suffisantes. Nous avions seulement réussi à en rassembler 21, 17 étant issus de financements publics et 4 du privé. C’était trop limite.
Certains parlementaires et élus locaux – à l’image du sénateur PS du Loiret Christophe Chaillou – reprochent notamment aux banques de ne pas avoir soutenu ce projet de SCOP…
C’est un constat qui me semble sévère. Le Crédit Agricole s’était notamment engagé à nous prêter 1.5 millions d’euros. Ce n’est pas énorme, mais il faut souligner qu’ils avaient déjà participé à refinancer l’entreprise par le passé. En toute honnêteté, on peut aussi comprendre que les banques aient douté de la viabilité de notre projet, au regard des difficultés connues par Brandt, depuis un certain nombre d’années.
Vous évoquez les difficultés structurelles de l’entreprise. Comment Brandt a-t-il fini par se retrouver dans cette situation ?
La stratégie pilotée par Cevital, le grand groupe privé algérien, qui avait racheté Brandt en 2014, n’a pas fonctionné. Ils avaient pour ambition de devenir un grand acteur industriel de l’électroménager, en Europe et en Afrique du nord. Leur projet était simple, mais il nous paraissait théoriquement viable.
D’une part, ils voulaient continuer de faire fabriquer les produits de cuisson – plus hauts de gamme – qui étaient déjà produits dans nos 2 usines françaises et constituaient le cœur d’activité de Brandt. D’autre part, ils voulaient assembler et produire en Algérie ce qu’on appelle la pose libre, dans le secteur de l’électroménager : à savoir, les lave-linges, les réfrigérateurs etc…A cet égard, ils avaient notamment fait construire un site de production de 110 hectares en Algérie, à Sétif, qui visait une capacité de production de 5 millions d’appareils par an, ce qui est très conséquent.
Qu’est-ce qui n’a pas marché alors ?
Leur production n’est jamais arrivée à monter suffisamment à maturité, en terme de qualité. Ils ont pourtant beaucoup investi dans le site de Sétif, mais il me semble qu’ils n’ont jamais eu les équipes pour le faire tourner. Il y avait peut-être un manque d’ouvriers qualifiés, ou un déficit de compétence des équipes managériales.
Quoi qu’il en soit, nous avions énormément de mal à vendre leurs produits en France : ils avaient des gros problèmes de fiabilité, qui étaient rédhibitoires sur le marché européen. Financièrement, Cevital a quand même longtemps joué le jeu : ils ont financé tous les ans nos sites de production en France, pour les maintenir à l’équilibre. De toute façon, les raisons de l’échec de Brandt sont multifactorielles, on ne peut pas tout imputer au propriétaire.
Quels autres éléments ont pu précipiter la chute de l’entreprise ?
Nous n’avons surement pas assez investi dans la Recherche et développement. Brandt a, par exemple, loupé le créneau du marché de la table à induction aspirante, qu’une entreprise comme Bora a investi très en amont. Nous sommes arrivés sur ce créneau-là quatre ans après eux et c’était déjà trop tard : notre produit était à la fois trop cher, et pas assez performant.
Brandt n’a aussi pas pu composer avec la concurrence internationale, réputée féroce dans l’électroménager…
Oui, on était un peu le dernier village gaulois qui résiste à l’envahisseur, ça faisait aussi partie de notre identité…Cependant, l’entreprise avait probablement une taille critique trop faible par rapport à des groupes comme BSH et Electrolux, qui sont des mastodontes. Ensuite, on peut aussi se demander ce qu’a réellement mise en place la France, voire l’Europe, pour nous permettre de tenir le choc face à la concurrence des produits asiatiques et turcs, qui sont fabriqués dans des conditions socio-environnementales qu’on sait très éloignées des standards européens. A mon sens, pas grand-chose.
Vous regrettez l’absence d’introduction d’une dose de protectionnisme français, et ou européen ?
Il n’a pas échappé à la CFTC qu’il existe bien des plans de relances industriels comme France 2030, mais sont-ils exactement à la hauteur des enjeux ? S’agissant de Brandt, on n’a pas l’impression que nous avons été vraiment accompagnés, pour faire face à cette mondialisation agressive des échanges.
Désormais, que va-t-il se passer pour les salariés de Brandt qui vont perdre leur travail?
Les syndicats vont les rediriger vers des mesures d’accompagnement, comme le Contrat de Sécurisation Professionnelle (CSP) : il leur permettra notamment, pendant 12 mois, de continuer de bénéficier de leur salaire brut à 75%. Maintenant, nous ne sommes pas naïfs : près de 50% des salariés de l’entreprise ont entre 50 et 65 ans. Nous savons que la reprise en emploi sera difficile, pour certains d’entre eux.
Le CESER Centre Val-de-Loire a voté un vœu pour que le procureur de Nanterre fasse appel de la liquidation judiciaire de Brandt, quand le ministre délégué à l’industrie, Sébastien Martin, a affirmé « ne pas laisser tomber le sujet Brandt ». Est-ce qu’il y a encore un espoir de préserver l’entreprise, sous une forme ou une autre ?
Espérons le, même si la position de l’intersyndicale est que cet appel ne doit pas remettre en cause les mesures de protection et d’accompagnement liées à la mise en place du PSE. Quoi qu’il en soit, s’il y a une solution de reprise de site, quelle que soit la modalité, on fera tout pour qu’elle aboutisse, pour sauver le plus d’emplois possibles. C’est un combat que nous mènerons jusqu’au bout.
Tous propos recueillis par AC
