Travail dissimulé, salaires impayés : en Ille-et-Vilaine, la CFTC défend un ex salarié d’un sous-traitant de Shein
26 novembre 2025 | Rémunération & Pouvoir d'achatSocial
En Bretagne, un ex salarié d’un sous-traitant de Shein a travaillé pendant deux mois sans contrat de travail et sans être rémunéré par son employeur. Décryptage avec François Macquaire- défenseur syndical de la CFTC d’Ille-et-Vilaine – qui vient de saisir le Conseil de prud’hommes pour défendre les intérêts du travailleur ici floué.

François, en préambule, comment vous êtes-vous retrouvé en charge de ce dossier ?
C’est très simple : je suis le défenseur syndical de la CFTC, en Ille-et-Vilaine. Or, un défenseur syndical a justement une spécialisation dans le droit du travail. C’est un peu le pendant des avocats, mais uniquement devant le conseil de prudhommes ou la Cour d’appel. Bien souvent, l’inspection du travail redirige les salariés vers nous, afin que nous puissions les défendre. C’est précisément ce qui s’est passé ici avec Youssef, un travailleur qui n’a pas été payé pendant 2 mois et qui est venu m’exposer son cas il y a quelques semaines.
De quoi ce travailleur a-t-il été précisément victime?
Il m’a expliqué qu’il avait effectué des livraisons pour un sous-traitant de Shein pendant 2 mois, mais sans toucher aucun salaire. On ne lui avait même pas fait signer de contrat de travail… Dans l’offre d’embauche, il était spécifié que son employeur l’aiderait à faire les démarches nécessaires pour qu’il obtienne le statut d’autoentrepreneur, mais rien n’a été fait. Tout était à ses frais, il effectuait ses livraisons avec son propre véhicule, en payant lui-même l’essence…
Youssef ne travaillait cependant pas directement pour Shein: il avait été recruté par le sous-traitant d’un sous-traitant. En gros, nous ne trouverons jamais Shein en face de nous dans cette affaire, ils ne peuvent pas être légalement inquiétés.
Comment un salarié peut-il se retrouver à travailler pendant 2 mois, sans être rémunéré ?
On parle ici d’une personne précaire, en relative situation de vulnérabilité. On lui a dit qu’il allait toucher 1.5 euros par colis. Il a livré 2600 colis en deux mois et bossait de 8 heures à 22 heures ! De plus, dans un premier temps, Youssef avait quelqu’un en face de lui, un interlocuteur. Il l’a joint à la fin de son premier mois de travail, pour lui demander pourquoi aucun salaire ne lui avait été versé. On lui a dit que ce serait bientôt fait. Sauf qu’à la fin de son second mois de travail, il n’avait toujours rien touché. Son contact ne lui répondait plus. Il a donc arrêté de travailler pour ce sous-traitant et a sollicité notre aide.
La CFTC pourra-t-elle obtenir réparation pour ce travailleur ?
Absolument. Quand on fait travailler quelqu’un sans contrat de travail, c’est juridiquement considéré comme du travail. L’infraction caractérisée ici, c’est donc le travail dissimulé. On a tous les éléments en notre possession pour le prouver. Nous avons déjà pris les choses en main : nous sommes allés directement au tribunal, un huissier de justice va intervenir. Je peux déjà vous dire comment ça va se terminer : nous allons certainement gagner et la CFTC demandera au tribunal de commerce de fermer l’entreprise concernée (qui ne doit probablement avoir aucun salarié sous contrat de travail, de toute façon).
Ensuite, Youssef sera in fine dédommagé par l’assurance de garantie des salaires (NDLR: ce dispositif, géré par l’Agence de garantie des salaires ou AGS, permet de garantir le paiement des sommes dues aux salariés, en cas de défaillance d’une entreprise). Il devrait pouvoir toucher jusqu’à 20.000 euros, pour ces 2 mois de travail impayés. Il lui faudra juste être patient : usuellement, aller au bout de ce type de procédure prend environ 1 an.
A vous entendre, vous allez l’air de régulièrement vous occuper de cas analogues…
Malheureusement, oui. C’est devenu assez commun. Pour vous citer un cas similaire, Deliveroo se fait pénaliser presque tous les ans pour des infractions du même ordre : ils ont pris pour habitude d’envoyer des offres de recrutement pour des livreurs, en demandant aux gens de créer leur auto-entreprise. Bien souvent, ces nouveaux livreurs ne le font pas, ils ne sont pas payés, et l’entreprise finit condamnée par les prudhommes. Tout cela résulte de « l’ubérisation » de certains pans de l’économie, un phénomène qui n’est manifestement pas – ou trop peu – cadré et régulé.
Tous propos recueillis par AC
