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Préjudice d’anxiété : virage historique en matière de prévention

7 octobre 2019 | Social

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Le préjudice d’anxiété, jusque-là réservé aux expositions à l’amiante, peut être invoqué pour toute substance nocive, en cas de manquement de l’employeur à ses obligations de sécurité vis-à-vis de ses salariés. Une décision qui va peser dans la santé au travail.

Le « préjudice d’anxiété » concerne non pas les travailleurs malades, mais ceux qui ont peur de le devenir, à la suite d’une exposition à des substances toxiques. Notion délicate s’il en est, car elle se rapporte à un risque – qu’il devienne effectif ou pas – et à l’état de santé qu’il génère, celui d’une « situation d’inquiétude permanente ».

L’amiante : la bataille originelle

Le terme s’est surtout fait connaître en 2010, dans l’affaire de l’amiante. Fibre dont l’inhalation se révèle extrêmement dangereuse, l’amiante agit comme une « bombe à retardement » en ce qu’elle est responsable, entre autres, de cancers qui se déclarent parfois des années après l’exposition des personnes à ce matériau. La souffrance des ex-travailleurs de l’amiante, condamnés à vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête, est reconnue par la Cour de cassation en 2010 : ils se voient indemnisés pour préjudice d’anxiété… Sauf que cette réparation est alors exclusivement réservée aux personnes ayant travaillé dans l’un des établissements inscrits sur les listes ouvrant droit à l’Acaata (Allocation des travailleurs de l’amiante), autrement dit la préretraite amiante. Il faut attendre le 5 avril dernier – soit neuf ans ! – pour qu’elle soit possiblement accordée à tous les salariés confrontés fautivement à l’amiante.

Le cas des mineurs de charbon

Maladie professionnelle différée, absence de seuil d’exposition acceptable, reconnaissance publique tardive de ses effets délétères sur la santé (il a fallu un demi-siècle entre la parution des premières études sur ce matériau et son interdiction en 1997)… Le cas de l’amiante s’avère très particulier, et il n’était pas simple de l’étendre aux autres substances toxiques ! C’est pourtant bien ce qui vient d’être fait, le 11 septembre dernier. La longue bataille judiciaire de 732 anciens mineurs des Charbonnages de France (Lorraine), entamée en juin 2013, trouve enfin son issue. Exposés à l’amiante comme à d’autres substances (la silice par exemple), alors non touchés par la maladie, ils demandaient une indemnisation au titre du préjudice d’anxiété – non sans raison, car, entre-temps, 40 d’entre eux sont décédés et 231 ont développé une maladie professionnelle. La Cour de cassation vient de la leur octroyer.

Outil incitatif

Cet arrêt signifie beaucoup. En employant les termes de « substances nocives ou toxiques avec des effets graves sur la santé », la Cour fait référence en priorité aux produits CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques), mais pas que. Elle veille à ne pas établir de listes limitatives.

Pour obtenir réparation, il s’agira de documenter la toxicité du produit, prouver l’exposition à cette substance et l’anxiété que cette situation a générée. Et il faudra bien sûr attester le manque de protection de la part de l’employeur (avis de l’inspection du travail, constats du CSE, négligences sur le document unique…). En ce sens, l’arrêt de la Cour de cassation constitue un outil incitatif auprès des employeurs, afin qu’ils fassent preuve de davantage de vigilance en matière de prévention, ouvrent des discussions avec les représentants du personnel et opèrent les investissements nécessaires. Cette décision arrive à point nommé, car elle coïncide presque avec la réédition de l’enquête Sumer, qui vient nous confirmer que l’exposition aux produits chimiques en France reste importante. Celle-ci concerne un tiers des salariés en 2017 (32,2 %), soit à peine moins qu’au début des années 1990 (33,8 %). Quant à l’exposition aux produits cancérigènes, elle affecte 10 % (soit 1,8 million) de salariés. Mais « une protection collective localisée existe dans 21 % de ces situations d’exposition » seulement, précise à ce sujet la Direction générale du travail.

Maud Vaillant

Sumer : quand le médecin du travail mène l’enquête

L’enquête Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels a déjà été réalisée à trois occasions, en 1994, 2002-2003, 2009-2010, et ce, par des médecins du travail. Leur expertise permet d’opérer un relevé très fin des expositions des travailleurs. S’agissant de cette édition, portant sur les années 2016-2017, on apprend que les contraintes physiques ont baissé ces 20 dernières années… mais restent toujours élevées et augmentent même dans l’agriculture. Les nuisances sonores touchent davantage de salariés, le tout dans un contexte organisationnel de travail intense.
Plus d’infos : www.inrs.fr, tapez « Sumer » dans la barre de recherche.

Crédit photographique : Gerd Altmann / Pixabay
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