Polémique Shein, retards de paiement : au BHV, les salariés s’interrogent sur la suite
7 novembre 2025 | Emploi & MobilitéSocial
L’ouverture au sein du BHV de la première boutique physique du géant de la fast-fashion Shein a mis le grand magasin parisien sous le feu des projecteurs et des critiques. Si le modèle économique du groupe chinois interroge les salariés du BHV, certains y voient aussi une opportunité de relancer la fréquentation de l’enseigne, qui cumule les retards de paiement auprès de ses fournisseurs. Explications avec Stéphane Vincent, délégué syndical central CFTC.

Alors que l’ouverture au BHV de Paris de la première boutique physique du groupe chinois Shein polarise l’attention médiatique, la première préoccupation de Stéphane Vincent est ailleurs. Pour ce vendeur au rayon électricité du magasin – par ailleurs délégué syndical central CFTC – les polémiques suscitées par l’arrivée de la marque chinoise sont en effet loin de constituer la priorité des salariés qui officient au BHV : « Le vrai problème des magasins, ce sont les défauts de paiement accumulés auprès des fournisseurs, qui durent depuis un an et demi…En réaction, certains d’entre eux n’envoient plus de produits, des marques s’en vont, des rayons et des étages se vident…Ca a un impact sur le chiffre d’affaires, le moral et les primes des salariés… »
Des retards de paiement qui interrogent
Les difficultés du BHV (Bazar de l’Hôtel de Ville) ne datent en réalité pas d’hier. Il existait encore une grosse vingtaine de magasins du groupe un peu partout en France dans les années 90, acquis à l’époque par les Galeries Lafayette. « Mais, petit à petit, nous avons perdu des parts de marché, explique Stéphane Vincent. Quand je suis arrivé en 2018, nous n’avions plus que deux magasins à Paris (Marais et Parly 2, Ndlr). » En novembre 2023, c’est la Société des Grands Magasins (SGM, basée à Lyon) qui rachète les deux enseignes BHV restantes. Les premiers soucis arrivent cependant rapidement. « Dès 2024, des fournisseurs n’ont pas été payés, même si ça s’est réglé à la fin de l’année, resitue Stéphane Vincent. La direction a justifié ce contretemps en évoquant un problème de logiciel. La SGM n’avait alors pas la structure pour assumer un comptabilité plus complexe. Au BHV, il y a près de 1500 fournisseurs, imaginez le nombre de factures ! En 2025, nous avons encore eu des problèmes de facturation similaires, qui ont généré des millions d’euros de dettes. »
L’explication de la direction est toujours la même : un problème logiciel, des outils qui ne seraient pas au point. « Mais ce n’est sans doute pas la seule raison, décrypte Stéphane Vincent. Il y a probablement un problème de trésorerie, ou quelque chose d’autre. La direction ne nous en dit malheureusement pas plus. » Réunis en intersyndicale, les syndicats ont réagi en exerçant leur droit d’alerte l’année dernière. Un expert-comptable a alors été mandaté, afin d’obtenir des données sur la trésorerie et les dettes. « Le patron du BHV, Frédéric Merlin, a fini par réinjecter des fonds, mais ça a seulement temporairement réglé le problème, poursuit Stéphane Vincent. Cet automne, nous avons donc lancé un nouveau droit d’alerte. Mais aussi organisé deux grèves, en juillet et en octobre, car les salariés sont très affectés par cette mauvaise gestion. »
Shein, un cas qui divise
Les impayés ont entraîné le retrait de nombreuses marques ou l’arrêt de leurs livraisons. « Cela se traduit par de grands espaces vides dans le magasin, que nous essayons de combler comme nous le pouvons, avec un étalement de la marchandise existante, des panneaux… Quoi qu’il en soit, nous réalisons moins de ventes, ce qui signifie moins, ou plus du tout, de primes pour les vendeurs depuis un an…» C’est dans ce contexte compliqué que les salariés du BHV Marais apprennent par e-mail – le jour de l’annonce officielle – l’arrivée de la marque chinoise Shein au sein de leur magasin. Régulièrement critiqué pour les conditions de travail harassante de ses salariés, la qualité toute relative de ses produits et son modèle économique néfaste pour l’environnement, le géant de la fast fashion divise.
Mais la multinationale ne pourrait-elle pas aussi aider le BHV à attirer une nouvelle clientèle, pour faire repartir l’enseigne d’un meilleur pied ? « Le BHV doit se transformer et se réinventer, concède Stéphane Vincent. D’ailleurs, l’ensemble des salariés n’est pas contre Shein. Certains se disent que ça peut amener du monde et faire gonfler les ventes. Les opinions sont globalement partagées. Néanmoins, les syndicats ne peuvent pas approuver le modèle de production de l’entreprise chinoise. Nous regrettons également cette atteinte à l’image du BHV, car le magasin avait jusqu’à présent une certaine exigence de qualité. »
Une rupture de partenariat avec Disney
Fin octobre, à l’approche de cette arrivée de Shein au BHV Marais, une quinzaine de marques avaient déjà décidé de fermer leur stand au sein du magasin. Si l’implantation au BHV de la marque chinoise fait grincer les dents de certains enseignes, la plupart avaient probablement déjà choisi de partir en réaction aux retards de paiement du magasin.
Le coup le plus dur aura cependant été l’annonce de l’annulation d’un partenariat de Noël avec Disneyland Paris, lourd de conséquences : « Rater Disney en pleine période de fêtes, c’est vraiment un sale coup, confirme Stéphane Vincent. Nous devions accueillir un magasin éphémère, une parade et de belles vitrines étaient prévues, ça aurait attiré énormément de monde. Cela représente un manque à gagner de plusieurs millions. » La CFTC des deux BHV parisiens aura donc du grain à moudre en ce début d’année prochaine, que la crise soit dépassée ou pas. Dans l’intervalle, le cas particulier de Shein continuera sans aucun doute de diviser, à l’intérieur comme en dehors de l’enseigne.
Gaëtan Mortier
