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Une protection sociale crédible pour les travailleurs des plateformes

21 octobre 2020 | Social

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L’essor des plateformes numériques a signé l’avènement de nouvelles formes d’emploi. La création du statut d’auto-entrepreneur (aujourd’hui micro-entrepreneur, exemple des travailleurs des plateformes), en 2008, a opportunément accompagné cette mutation sur le plan juridique.

Une protection sociale crédible pour les travailleurs des plateformes

On connaît la suite de l’histoire : une multitude de travailleurs, trouvant là un moyen d’insertion professionnelle, rêvant parfois d’une carrière d’entrepreneur, se sont rapidement trouvés dans la nécessité de formuler et défendre des revendications nouvelles, portant notamment sur leurs conditions de travail et leur rémunération.

Les organisations syndicales, qui peuvent se targuer d’une certaine expérience en la matière, n’ont pas tardé à s’emparer des questions soulevées par cette situation inédite. La CFTC, aiguillée en cela par la conviction que toute contribution à la création de valeur doit trouver sa contrepartie dans l’ouverture de droits sociaux, propose aujourd’hui une solution pour financer une protection sociale crédible pour les travailleurs des plateformes. L’enjeu ? Leur fournir un socle minimal de protection sociale, tout en préservant l’attractivité spécifique du salariat, que la CFTC ne souhaite pas voir menacé par ces nécessaires évolutions.

La requalification en CDI..  seulement quand c’est pertinent !

Inutile de le nier : une majeure partie des travailleurs des plateformes est amenée à choisir le statut de micro-entrepreneur dans un élan pour sortir de la précarité. Leurs conditions de travail ne sont pas faciles, en ce qu’elles tendent à cumuler les contraintes du salariat (respect des consignes, contraintes horaires) et de l’entreprenariat (démarches administratives, protection sociale faible, notamment). Face à ce constat, une première stratégie syndicale, portée par certaines centrales, a été de chercher à obtenir une “requalification en CDI” systématique et collective des contrats présumés commerciaux, liant chaque travailleur à une plateforme.

Mais, dans le droit actuel, la requalification en CDI est une démarche individuelle, qui procède au cas par cas, selon l’appréciation d’un magistrat. Et, pour la CFTC, il est très important que les juges gardent toute la latitude requise pour décider de l’existence de fait d’un lien de subordination. Ceci, afin de lutter avec la plus grande efficacité possible contre les détournements avérés du statut d’indépendant.

Toutefois, la requalification collective et systématique n’est pas représentative des aspirations de tous les travailleurs de plateforme. En effet, des enquêtes ont montré que les travailleurs de plateforme se déclaraient attachés à leur statut d’indépendant. Tous n’idéalisent pas le salariat, et, pour certains, leur mode d’activité est une possible entrée dans le monde de l’entreprenariat. Pour la CFTC, il importe d’être attentif à ces déclarations, et de respecter le choix de ces travailleurs. L’enjeu, dès lors, est d’améliorer la protection sociale de ces derniers, en jouant sur des leviers existant et en mettant à contribution les plateformes, tout en préservant le statut d’indépendant, lorsque celui-ci n’est pas l’objet d’un détournement relevant de la requalification en CDI.

Créer un socle minimal de protection sociale distincte de celle attachée au salariat

Le lien de subordination juridique qui définit le salariat et fonde le contrat de travail, doit rester la condition nécessaire d’accès au niveau de protection sociale des salariés, fruit de longues années de lutte et de négociations. Le salariat doit garder un attrait spécifique, dont l’une des contreparties les plus essentielles – si ce n’est la plus essentielle – est le fort niveau de protection sociale.

Toutefois, il apparaît indispensable, pour que l’idée même d’un contrat social garde tout son sens, que toute participation à la création de richesse donne lieu à l’ouverture de droits sociaux. Dans la mesure où le travailleur de plateforme contribue à la création de valeur, il doit obtenir, en contrepartie, des droits sociaux. D’autant plus que les plateformes génèrent des chiffres d’affaires très importants et affichent des profits en constante progression, face à une demande qui ne faiblit pas. Alors que le “partage de la valeur” figure à l’agenda des concertations sociales, la CFTC propose, en un sens, d’en explorer les modalités en ce qui concerne les plateformes.

La CFTC suggère de concentrer ces droits dans un socle minimal qui viserait prioritairement à :

  • créer une véritable couverture des risques “accidents du travail” et “maladie professionnelle”. En effet, à ce jour les accidents du travail des indépendants sont couverts a minima, et au prorata de leur chiffre d’affaires, à des niveaux nettement moindres que ceux des salariés. Toutefois, une transposition simple et directe des définitions de l’accident du travail et de la maladie professionnelle utilisées pour les salariés ne serait pas pertinente.

Une nomenclature ad hoc s’impose, comme le montre le cas d’école de l’accident du trajet, à revoir de fond en comble pour rendre compte des situations rencontrées par les livreurs, qui ne sont pas tenus de respecter des horaires réguliers. Pour rappel, aujourd’hui les travailleurs de plateforme peuvent s’assurer, de manière facultative, soit en souscrivant à l’assurance volontaire de la sécurité sociale (régime trop peu connu!) soit par contrat individuel privé, soit par un contrat collectif proposé par la plateforme. Des solutions qui couvrent mal et dont les tarifs peuvent être dissuasifs.

  • améliorer la couverture existante du risque maladie. La couverture du risque maladie est si faible pour les travailleurs des plateformes qu’elle incite à continuer le travail avec une santé dégradée, ou à renoncer aux soins, ce qui à terme aggrave les risques, pour le travailleur, et pour notre système de protection sociale. Un niveau plus élevé de couverture maladie permettrait de réduire cet effet pervers.

La CFTC propose que la réflexion envisage, non seulement une amélioration de l’indemnisation en cas d’arrêt, mais aussi l’accès à une complémentaire santé individuelle pour le remboursement des soins (les seuils actuels d’éligibilité à la complémentaire santé solidaire, constituent un frein pour les micro-entrepreneurs).

  • Ouvrir l’horizon professionnel des travailleurs des plateformes, en finançant leurs droits à la formation. La Loi El Khomri a créé des droits à la formation pour les travailleurs des plateformes, mais leur constitution repose sur deux conditions cumulatives : des minima de durée de travail, ce qui est compréhensible, et un chiffre d’affaires seuil, qui s’apprécie “par plateforme”, ce qui s’avère problématique. En effet, le critère “par plateforme” implique que le seuil déclencheur soit atteint pour chacune des plateformes avec lesquelles contractualise le travailleur.

Dans la mesure où ces travailleurs opèrent très souvent auprès de plusieurs plateformes, la CFTC recommande que le montant du chiffre d’affaires soit apprécié de manière transversale, directement par les revenus déclarés à l’URSSAF dans un même secteur d’activité. En plus d’aider le travailleur concerné à se constituer des droits au titre de la valeur qu’il a créée, cela le protège d’un effet pervers du dispositif actuel : l’incitation à ne travailler qu’avec une seule plateforme, pour être sûr d’atteindre les seuils déclencheurs de droits à formation professionnelle.

Un tel socle, couvrant les besoins essentiels des travailleurs des plateformes, permettrait d’améliorer considérablement leurs conditions de travail, tout en facilitant une projection de la personne dans un avenir professionnel désirable. De quoi, pour la CFTC, pallier l’urgence, avec un budget maîtrisé, et sans menacer la protection sociale des salariés. Reste à formaliser un circuit de financement, ce qui se révèle possible en s’appuyant sur les organismes de sécurité sociale en place.

Un financement contributif basé sur le chiffre d’affaires des plateformes

La création de valeur par les micro-entrepreneurs génère directement du chiffre d’affaires pour les plateformes. C’est sur ce chiffre d’affaires que la CFTC propose de prélever une contribution, dont le taux resterait à déterminer, servant à abonder le socle minimal de protection sociale des travailleurs de plateforme.

Soucieuse de ne pas élaborer seule des solutions sans tester leur pertinence auprès des travailleurs directement concernés, la CFTC a échangé [Voir vidéo en dessous] dans le cadre de son dernier Congrès confédéral (Marseille, novembre 2019) avec Jean-Daniel Zamor, Président du CLAP (Collectif des livreurs autonomes de Paris).

Ce nouveau dispositif s’inspirant de mécanismes de couverture sociale assez peu connus (comme le régime des artistes-auteurs) et d’une technique de financement consistant à flécher directement des ressources vers un poste de dépense. En l’occurrence, ces nouvelles ressources, assises sur le chiffre d’affaires des plateformes, permettraient d’alimenter un fonds de solidarité. Fonds qui viendrait ainsi compléter la somme des cotisations versées par les travailleurs des plateformes, afin d’assurer le financement du socle minimal de protection sociale des travailleurs de plateforme. Cette solution, imaginée par la CFTC et défendue à diverses occasions, a depuis été suggérée par le Haut conseil du financement de la protection sociale.

Extrait

Extrait du rapport du HCFIPS du 24 septembre 2020, sur la protection sociale des travailleurs indépendants, chapitre relatif aux NFE :

« Pourrait être également imaginée la création d’une contribution forfaitaire à la charge des plateformes (qui pourrait être déterminée en pourcentage de leur chiffre d’affaires ou des sommes reversées aux travailleurs de la plateforme) ; sur le modèle de la contribution des diffuseurs pour le régime des artistes auteurs (ces populations, qui sont de fait des travailleurs non-salariés, sont toutefois rattachées au régime général par l’article L. 382-1, et non par l’article L. 311-3), celle-ci n’aurait pas nécessairement vocation à être associée à un risque. On peut noter que, si cette contribution forfaitaire était fixée à un haut niveau, elle comporterait peu d’intérêt par rapport au régime de droit commun ; inversement, si elle était fixée à un niveau bas, elle comporterait un risque concurrentiel notamment par rapport aux entreprises classiques du secteur ou aux travailleurs indépendants intervenant hors plateformes. »

La mise en place d’une protection sociale revue et améliorée, pour les travailleurs indépendants doit être rapide. En effet, on peut redouter, dans le sillon de la crise économique qui prolonge la crise sanitaire, une nouvelle montée en puissance des plateformes, et un recrutement plus massif de ces travailleurs. Si la contribution est bien pensée, elle pourrait générer des recettes conséquentes pour la protection sociale des travailleurs.

Pour un observatoire des plateformes

Afin de mieux appréhender ces questions de protection sociale des travailleurs de plateforme, mais aussi afin de dégager des problématiques transversales concernant les plateformes et leurs travailleurs, la CFTC plaide pour la création d’un observatoire des plateformes. Lieu d’information, d’étude et d’échanges entre acteurs concernés par les nouvelles formes d’emploi, cet observatoire viserait :

  • à proposer un nouveau cadre légal, ou l’adaptation de celui existant,
  • à encourager l’émergence d’un véritable dialogue social sectoriel,
  • à cerner le fonctionnement des plateformes et les besoins de travailleurs,
  • à identifier les forces et les manques de ce modèle économique,
  • à définir les besoins de régulation.

Donnant corps à la multitude dispersée des parties prenantes (plateformes, travailleurs de plateformes, représentants des organisations patronales et syndicales, consommateurs, territoires, État, etc.), l’observatoire constituerait l’ébauche institutionnelle d’un dialogue social, ou, à tout le moins, d’un dialogue professionnel, entre travailleurs, plateformes et puissance publique.

Dans la mesure où l’émergence des plateformes tend à déstabiliser des secteurs entiers (on l’a vu avec les chauffeurs de taxi, puis les services de livraison à domicile), l’observatoire pourrait s’appuyer sur le tissu institutionnel, déjà existant et opérationnel, des branches professionnelles, pour, à terme, encadrer l’activité et participer à sa régulation économique et sociale.

Enfin, l’observatoire pourrait se donner pour mission, avec l’accord des parties concernées, de faciliter la résolution de conflits individuels ou collectifs, n’ayant pas donné lieu à la saisine d’une juridiction.

Exemple d’intervention de l’observatoire

En matière de complémentaire santé par exemple, l’observatoire peut contribuer à l’émergence de propositions. Il pourrait favoriser la rencontre d’organismes d’assurance maladie complémentaire (OCAM) – notamment paritaires – et des plateformes, afin de jeter les bases d’une couverture santé complémentaire financièrement accessible pour les micro-entrepreneurs.

En effet, actuellement, la souscription d’une complémentaire santé pour les indépendants n’est pas obligatoire. Trois situations en découlent :

  • le travailleur indépendant souscrit individuellement sa propre complémentaire santé;
  • il en bénéficie en qualité d’ayant-droit d’un(e) assuré(e) couvert(e);
  • il ne se couvre pas, et s’expose au paiement du ticket modérateur (partie non-remboursée par l’assurance maladie), ce qui le conduit à renoncer, la plupart du temps, à se soigner.

Rapprocher assureurs complémentaires paritaires et plateformes pourrait inciter les travailleurs de ces dernières à s’affilier, d’autant plus que le dispositif “100% santé” permet désormais une absence de reste à charge sur les soins dentaires, audiologiques et ophtalmologiques.

Crédit photographique : Peter Heeling / Skitterphoto

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