Aidons-nous les uns les autres : plaidoyer pour une protection universelle
7 décembre 2017 | Social
Depuis 2014, il est possible de donner des RTT à des collègues dont l’enfant de moins de 20 ans est atteint de pathologie lourde. Ce jeudi, l’Assemblée Nationale étudie un projet de loi du Député UDI du Nord, Paul Christophe. Il vise à permettre d’élargir le dispositif aux aidants familiaux.
Solidarité intergénérationnelle, solidarité dans l’entreprise, appui pour les familles, la CFTC soutient et salue cette initiative. Elle constitue un premier pas en direction d’un changement de prisme dans la réflexion autour du statut de l’aidant et plus globalement autour de notre système de protection sociale.
Un monde en bouleversement…
Pendant 50 ans et encore aujourd’hui, notre système social a indiscutablement répondu aux missions qui lui avaient été assignées avec une extension continue de la protection des personnes couvertes contre les risques sociaux (universalité des prestations familiales, couverture maladie universelle…).
Cependant, ce système a été conçu autour d’une norme : le fait que l’on pratique le même métier toute sa vie. Qu’elles soient voulues ou subies, les nouvelles trajectoires professionnelles sont davantage marquées par des périodes de ruptures, de transitions au caractère dynamique et incertain. Ce phénomène est accentué par la révolution numérique. L’ensemble de ces mutations fait émerger de nouveaux besoins qui sont insuffisamment, voire pas du tout, pris en compte par notre système.
Autrefois vecteur d’efficacité et de clarté, une protection sociale qui repose sur des bases exclusivement professionnelles ne parvient plus aujourd’hui à remplir ses missions. À ce titre, le concept du CPA en préfigure le renouveau.
Le creuset du CPA
Le Compte personnel d’activité (CPA), entré en vigueur ce 1er janvier 2017, créé par l’article 38 de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, le CPA est un compte qui rassemble, pour chaque personne, « les droits sociaux personnels utiles pour sécuriser son parcours professionnel ». Ouvert à partir de 16 ans, le CPA se double d’une interface en ligne qui permet d’avoir un accès direct à ses droits. Son contenu exact est cependant reporté à une négociation des partenaires sociaux ainsi qu’à un rapport du gouvernement.
Mais si l’on décide de rattacher des droits à l’activité, il convient de définir ce qui découle ou non de l’activité ! Puisqu’une personne en recherche d’emploi est un actif, on peut élargir cette notion. L’activité au sens large, comme la pense la CFTC, prendrait en compte des moments de vie auxquels nous sommes tous confrontés et qui peuvent rendre discontinue l’activité professionnelle : formation, réorientation, chômage, parentalité, aide à un parent dépendant.
L’éthique de la sollicitude
L’allongement de la durée de vie et le vieillissement de la population modifient en profondeur notre société. Aujourd’hui la France compte entre 8 et 11 millions d’aidants (selon les études), et chacun dans son parcours peut devenir un aidant puis un aidé. De cette mutation propre aux états occidentaux est née une nouvelle forme de solidarité : l’éthique de la sollicitude ou care en anglais.
Alors que les activités d’aides, de soins ou de liens sociaux sont peu valorisées dans nos sociétés, l’éthique de la sollicitude pense l’être humain comme un être relationnel, qui est à la fois un accompagnant et un accompagnateur, un aidant et un aidé.
Pour la CFTC, les interactions suscitées par le développement des services à la personne et de l’économie collaborative peuvent constituer un cadre de pensée, parmi d’autres, pour analyser et encourager la réforme de la protection sociale française.
De nouvelles formes de solidarité
À cet égard, l’intégration par la loi du 8 août 2016 du compte d’engagement citoyen, qui enregistre les actions bénévoles d’un individu en faveur de la société dans le calcul de ses droits professionnels, reconnaît officiellement de nouvelles formes de solidarité, de bénévolat et de soin, du travail des aidants professionnels, en passant par l’engagement dans une association.
A l’heure actuelle, le CPA rassemble uniquement le compte personnel de formation, le compte pénibilité et le compte d’engagement citoyen.
Pour la CFTC, ce dispositif doit être construit avec plus d’ambition ce qui suppose d’aller au-delà du périmètre actuellement défini (intégrer le compte épargne temps, les droits rechargeables à l’assurance chômage, etc.).
Ainsi il pourrait recueillir à terme l’ensemble des droits sociaux de telle façon qu’en plus de faciliter les transitions professionnelles, et d’intégrer plus pleinement les parcours de vie et leurs accidents.
Une ambitieuse réforme sociale pourrait ainsi être menée à partir du CPA, qui amènerait à la création d’un Régime Sociale unique d’activité (RSUA). Ce régime constituerait une troisième voie entre le système bismarckien, fondé sur les régimes professionnels, et une couverture beveridgienne, caractérisée par son unité, son universalité et son uniformité où les prestations s’apparentent parfois à des filets de sécurité.
1 réforme, 3 questions
Cependant, une telle adaptation de la protection sociale au XXIe siècle nécessite de lever 3 questions.
La question du financement
Il sera nécessaire de repenser le financement de notre protection sociale puisque la portabilité des droits implique que les cotisants des droits n’en seront pas forcément les bénéficiaires : un compte de formation abondé par une entreprise sera peut-être activé au sein d’une autre entreprise lorsque son titulaire changera de poste.
Il nous apparait opportun d’envisager un financement qui repense l’articulation entre fiscalité et cotisation.
La question politique
Les organisations professionnelles et les syndicats proches du terrain et des acteurs auraient toute leur place dans la conception et l’évolution du futur Régime sociale Universel d’activité (RSUA).
On peut imaginer le financement par des caisses interprofessionnelles mutualisées et des abondements de l’Etat de droits nouveaux non couverts par les régimes de base et complémentaires (exemple : la formation professionnelle des aidants).
Concernant la gouvernance, la méthode innovante fondée sur un nouveau « dialogue social » élargi sous une forme quadripartite (Etat, Régions, organisations syndicales d’employeurs et de salariés) a déjà porté ses fruits. Elle a donné lieu à l’instauration de lieux de gouvernance de l’emploi et de la formation professionnelle : CNEFOP et CREFOP.
Nous proposons de conserver pour la construction du RSUA et du CPA qui l’accompagne, cette méthode qui a fait ses preuves et de créer, une nouvelle quadripartite dédiée à cet objet.
La question sociale
Les politiques publiques doivent améliorer autant la qualité de vie des aidés que celle des aidants*. La proposition de loi votée ce jeudi 7 décembre rentre pleinement dans ce cadre. Cette démarche témoigne d’une volonté politique mais surtout, sociétale d’aller vers plus de solidarité aussi bien dans la sphère privée que professionnelle.
Cette aspiration collective, certains l’appellent « avènement de la société du care » d’autres, et c’est notre cas à la CFTC, y voient l’expression de la doctrine sociale chrétienne.
Mais pour être pleinement efficace, cette transformation doit s’accompagner d’une politique d’investissement qui améliore l’accès aux biens et services sociaux (les soins, le logement, les transports collectifs, les services d’aide à la personne) tout en créant des emplois qualifiés et qualifiants, avec des personnes formées.
De fait, la création du RSUA permettrait de donner corps à ce nouveau modèle social, flexible et protecteur, qui permettra de répondre efficacement aux enjeux de ce début de XXIe siècle.
*Des besoins spécifiques (source : La Croix)
- Les 2/3 des salariés aidants déclarent que leur situation a un impact sur leur vie professionnelle, selon l’étude « Qualité de vie au travail 2017 » menée par Malakoff Médéric, auprès d’un échantillon représentatif de 3 500 salariés et 500 dirigeants du secteur privé.
- Pour les dirigeants, l’aide apportée par un salarié à un proche se traduit par de l’absentéisme (59 % des personnes interrogées) et une perte de productivité (41 %).
- La majorité des salariés concernés (64 %) souhaitent être informés sur les aides disponibles ; 38 % sont également en attente de formations spécifiques (mieux accompagner son proche, comprendre sa pathologie).