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Surendettement,rachat éventuel: à SFR, comment protéger les salariés des transformations à venir?

27 octobre 2025 | Emploi & MobilitéSocial

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Mi-octobre, Bouygues Telecom, Iliad – maison mère de l’opérateur Free – et Orange avaient déposé une offre de 17 milliards d’euros, en vue d’acquérir et de se partager la plupart des actifs de l’opérateur SFR. Une proposition rejetée, mais qui inquiète légitimement les salariés de SFR. Le géant français des télécommunications est notamment sous le menace d’une vente de son propriétaire, Patrick Drahi, dont la gestion a considérablement creusé l’endettement du groupe. Décryptage avec Franck Guédé, délégué central CFTC de SFR.

Franck, mi-octobre, 3 des 4 opérateurs français des Télécoms – Free, Bouygues et Orange – ont fait une offre de rachat de SFR, finalement rejetée par le groupe. Comment les salariés de SFR ont-ils vécu cette séquence?

Forcément, il y a des inquiétudes. Néanmoins, elles ne datent pas de cet épisode : le climat à SFR est très anxiogène depuis février 2025. Neuf mois plus tôt, Altice, la maison mère de SFR, avait en effet annoncé déployer un plan de sauvegarde de l’entreprise, via une restructuration massive de sa dette. Altice a pu alors reporter de 2030 à 2033 le remboursement de plusieurs milliards d’euros que le groupe doit à ses créanciers. Le groupe a pu également baisser sa dette, redescendue à 15,5 milliards d’euros, moyennant la cession de 45% du capital de l’entreprise. Ça repousse le problème, certes, mais ça ne le règle pas : à terme, il faut toujours rembourser ces sommes. Et pour ça, il n’y a malheureusement pas 36 solutions.

C’est à dire ?

Le PDG d’Altice, Patrick Drahi (toujours actionnaire majoritaire du groupe, NDLR) ne s’en cache pas : il veut vendre une partie des actifs – SFR est le plus important d’entre eux –  du groupe. En réalité, c’est un processus qui a déjà commencé à plus petite échelle, depuis quelques années : il y a plus d’un an, SFR avait par exemple vendu une partie de ses data centers à la société UltraEdge. Une centaine de salariés y étaient transférés, mais les syndicats, dont la CFTC, avaient pu négocier des modalités avantageuses de reclassement : les salariés ont ainsi eu le choix de conserver leur emploi chez UltraEdge, ou d’être redéployer au sein de SFR. D’autres petites cessions analogues ont été effectuées, mais nous avons jusqu’alors globalement pu veiller à la préservation des emplois concernés.

Néanmoins, en cas de cession de SFR – qui emploie 9000 employés en France – le processus sera probablement plus tendu et complexe. Surtout en cas de vente au trio Free-Bouygues-Orange, qui pourrait formuler une nouvelle offre d’achat dans les mois à venir.

C’est ce scénario qui inquiète le plus les salariés des SFR ?

Oui, et à raison. Par exemple, la première proposition de rachat par nos concurrents n’incluait pas Intelcia, Rhone’T, les sites des DOM-TOM ou encore ATS: ce sont les sociétés techniques du groupe, qui s’occupent du déploiement, du raccordement, du SAV, etc… Nos réseaux de distribution – qui emploient 2200 collaborateurs en interne et un nombre important de salariés prestataires dans des boutiques partenaires – ont aussi été exclus de cette offre d’achat. Tout simplement parce que nos concurrents ont déjà leurs propres magasins. Le gros du risque est là : si l’entreprise est vendue morceau par morceau, il y aura des doublons au niveau des emplois, et donc des suppressions de postes. Ce risque pourrait concerner d’abord les fonctions supports – finance comptabilité, RH – mais pas seulement : à terme, les postes plus techniques pourraient aussi être impactés.

Le navire amiral d’Altice, SFR, est pourtant rentable. Comment en est-on arrivé là ?

Le cœur du problème, c’est la modalité de rachat de SFR par Patrick Drahi, en 2014. Il a acquis l’entreprise pour près de 14 milliards d’euros avec de l’argent emprunté, cette dette devant ensuite être remboursée avec les bénéfices de SFR et des autres sociétés du groupe. Cette modalité de rachat d’entreprise par l’endettement, appelée LBO, n’est pas sans risques. Même si SFR est rentable, le groupe se traine ainsi une dette très conséquente, dont le remboursement a été reporté, année après année. Parallèlement, les syndicats ont pu observer que 4 à 5 milliards d’euros avaient été redistribués aux actionnaires en dividendes : nous aurions préféré qu’une partie de cette somme soit en partie allouée au désendettement… Pour ne rien arranger, certaines erreurs gestionnaires ont aussi été faites.

Altice a notamment multiplié les rachats dans la presse et l’audiovisuel (Libération, L’Express, BFM-TV et RMC, tous revendus depuis), ainsi que dans les droits du sport, pour créer une convergence entre les télécoms et les médias. Ça n’a pas fonctionné ?

Pas vraiment. S’agissant des droits du sport, le groupe avait par exemple déboursé 1.2 milliards d’euros pour acquérir les droits de la Ligue des champions et de la Ligue Europa, de 2018 à 2021. L’idée, c’était de proposer un contenu premium, en contrepartie d’un prix à l’abonnement plus élevé. Sauf que, parallèlement, Free proposait des offres à 19.90 euros pour sa box internet, Bouygues et Orange ont aussi baissé leurs tarifs… SFR s’est donc retrouvé en décalage avec les tendances du marché. Idem sur le segment de la téléphonie mobile : quand nous proposions des abonnements à 19.90 euros, nos concurrents pouvaient s’aligner sur des tarifs plus réduits. Nous avons ensuite baissé nos prix pour rectifier le tir, mais, entre-temps, SFR a quand même perdu une partie significative de sa clientèle.

Quelles actions peut déployer la CFTC, pour protéger les salariés de SFR?

La CFTC a bien entendu des exigences en terme de maintien d’emploi. Nous militons notamment pour la préservation des acquis sociaux et des contrats de travail, sans dégradation des conditions actuelles. A titre d’illustration, en 2014, quand Drahi avait racheté SFR, nous avions obtenu que le nouveau propriétaire ne procède à aucun licenciement économique avant 3 ans. En cas de nouveau rachat, nous défendrons donc une mesure analogue. Maintenant, soyons clair : si une acquisition par nos concurrents historiques nous préoccupe, d’autres profils d’acheteurs pourraient aussi se manifester et se révéler plus en phase avec les intérêts des salariés. De nouveaux arrivants sur le marché – qui auraient à cœur de s’y implanter solidement – pourraient éventuellement nous permettre de conserver une très grande majorité de nos effectifs.

AC

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