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Témoignage : « Du jour où j’étais enceinte, je ne les intéressais plus »

4 mars 2020 | Social

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Marianne, enceinte, responsable de développement produit dans un groupe, rare femme dans un monde d’hommes, redoutait d’annoncer sa grossesse à son manager. É tort, car son manager, qui venait lui-même d’être père pour la seconde fois, l’a félicitée. C’est quand elle a commencé à évoquer le télétravail et l’aménagement des horaires que les choses ont tourné au vinaigre…

« Être enceinte n’est pas une maladie… »

« J’ai annoncé que j’étais enceinte à trois mois de grossesse. A l’époque je prenais les transports en commun pour me rendre au travail. Une heure le matin, une heure le soir. J’ai vite arrêté, parce que c’était fatiguant. J’ai pris la voiture. Mais pour une femme enceinte, deux heures de conduite par jour, ça devient également rapidement pesant, puis simplement épuisant. Donc j’ai demandé à télétravailler. Je me suis heurtée à un refus. On m’a répondu : « Être enceinte ce n’est pas une maladie… » Cette phrase, je ne l’oublierai jamais, elle restera toujours gravée. C’était le début de la fin.

Mon manager connaissait forcément les difficultés de la grossesse, il avait dû vivre cela avec sa femme… Mais ça ne changeait pas son attitude. J’ai finalement été arrêtée quelques jours par mon médecin parce que j’avais de grosses crampes au ventre.

« OK tu télétravailles, mais tu bosses vraiment, tu fais pas ton ménage ». 

A l’issue de ce premier arrêt, il s’est mis à neiger ! C’était ce fameux mois de février où ça ne s’arrêtait plus. Les camions étaient obligés de se garer au bord des routes, c’était très dangereux. Alors j’ai demandé, à nouveau, un peu de télétravail. Cette fois mon manager me l’a accordé : « OK tu télétravailles, mais tu bosses vraiment, tu fais pas ton ménage ». Ça m’a fait halluciner, au vu de la quantité de travail que j’abats dans une journée…

Sur la fin de ma grossesse, le médecin m’a arrêtée : congé pathologique. Mon manager l’a appris alors qu’il était en déplacement. Il m’a immédiatement appelée : – Comment ça tu arrêtes ?! Je lui ai expliqué que je n’y arrivais plus, que j’étais trop fatiguée physiquement. Une semaine plus tard, il est revenu vers moi, avec un SMS : « D’accord tu es fatiguée. Repose-toi.» Puis plus rien.

« Si tu le fais quand même je t’oblige à venir de 9h à 18h » 

J’ai accouché et tout s’est bien passé, j’ai une belle petite fille. Moins de trois mois plus tard, je suis retournée au travail, et là… L’entretien de reprise a été tendu. Mon manager m’a fait comprendre qu’il faudrait que je fasse à nouveau mes preuves. Tout ce que j’avais fait pendant quatre ans ne comptait plus. J’ai dû rappeler mes réussites, et démontrer la valeur des apports, des décisions. Je partais de zéro.
Au cours de l’entrevue, j’ai demandé si c’était possible de venir plus tôt le matin, pour partir plus tôt le soir vers 17h, à durée égale. Il a répondu : « Non, je ne veux pas, et si tu le fais quand même je t’oblige à venir de 9h à 18h ». Tout en sachant que j’étais cadre, libre de faire les horaires que je voulais. J’en suis restée bouche-bée.

Je suis revenue au bureau. J’ai été obligée de me remettre à niveau sur les dossiers auprès du collègue qui m’a remplacée pendant mon congé. Et tout ce qu’ils ont trouvé pour me mettre à côté de lui, c’était un petit bureau à roulettes, dans un coin. Un bureau de la taille d’un écran d’ordinateur, qui servait précisément à y installer un moniteur à l’époque des gros écrans. C’était humiliant. Des collègues venaient le constater de leurs propres yeux : ils étaient choqués. A chaque fois que je m’appuyais sur le bureau, il se mettait à rouler. C’était ridicule.

Et, juste à côté de moi, une intérimaire avait un grand bureau, elle. Je l’ai très mal vécu. Dans le bureau où j’avais été réintégrée il y avait trois autres femmes. L’une d’elle m’a dit : « Tu comprends, ça a été le rush, on n’a pas eu le temps s’organiser ». Je n’ai senti aucune solidarité féminine.  

« Pars, je n’en ai rien à faire »

Malgré tout on reste attaché à une entreprise. On reste attaché aux gens. Même quand ça se passe mal. C’est ça qui est malheureux. Pourtant après 2 semaines, j’ai annoncé mon départ. J’étais finalement moins stressée en donnant ma lettre de démission qu’en annonçant ma grossesse. J’ai demandé à mon manager s’il avait quelque chose à me dire. « Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? » Ça a été sa réponse. Je me sentais reconnue à une époque dans cette entreprise. Quelque chose avait changé. Son attitude, ça voulait dire « Pars, j’en n’ai rien à faire ». Du jour où j’étais enceinte, je ne les intéressais plus. Mon manager a vécu ma grossesse comme un caprice, ma fatigue comme une faiblesse. Si les hommes vivaient un tiers de ce qu’on vit en étant enceinte…

J’ai été mise sur la touche pendant trois mois. Pourquoi me faire venir au bureau pour ne rien faire ? Ils auraient pu finir les choses proprement et me laisser négocier mon préavis. C’était une vengeance. Je n’ai toujours pas bien compris de quoi ils se vengeaient. C’était dur émotionnellement. On vient d’avoir un bébé, on est fragile, et on vous embête jusqu’au bout.

Aujourd’hui, je suis dans une nouvelle entreprise, qui emploie 80 % de femmes. Et tout est différent. C’est une marque, qui doit donc soigner son image de marque. Mais ce n’est pas seulement ça. Le fait qu’il y ait une prédominance de femmes, ça change les relations d’entreprise. Et les dispositions mises en place pour les femmes enceintes et mères sont formidables. C’est une autre logique. On vous comprend ».

 

 

Propos recueillis par Gilles Bindi

Crédit photographique : Sergiu Vălenaș / Unsplash
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