Santé des salariés, pénibilité, retraite anticipée: à la Poste, la CFTC s’oppose à une « robotisation » du travail
17 septembre 2024 | Social
Du 9 au 14 octobre, la Poste tient ses élections professionnelles. Près de 170.000 salariés et fonctionnaires de l’entreprise pourront y voter, afin d’élire les représentants qui défendront leurs droits. Alors que la firme au sigle bleu et jaune doit faire face à une diminution structurelle du flux postal, la diversification de l’activité de l’entreprise et les transformations de son modèle productif exposent certains de ses salariés à une perte de sens, comme à une pénibilité exacerbée au travail. Chantal Bonhoure, la présidente de la CFTC la Poste, revient ici sur les mesures phares que le syndicat défendra lors de la votation à venir, en vue de préserver les conditions de travail et la santé des salariés.
Chantal, en premier lieu, ces élections professionnelles 2024 sont d’un genre nouveau à la Poste. Pouvez-vous nous expliquer ce qui change ?
Pour faire court, le mode de représentation des postiers ne sera plus celui de la fonction publique, comme c’était jusqu’ici le cas. Pour la première fois, les élus syndicaux vont donc intégrer des comités sociaux et économiques (CSE). Une organisation syndicale devra désormais rassembler 10% des voix pour être représentée dans ces instances et faire valoir la méthode et les thèmes du dialogue social qui lui semblent le mieux défendre les intérêts des salariés.
La Poste est une entreprise qui connait aujourd’hui des transformations importantes. Est-ce que ces mutations y accentuent l’importance du dialogue social ?
C’est une certitude et ça dit beaucoup de l’importance de l’élection à venir. Depuis des années – notamment du fait du recul continu de son service courrier – la Poste change énormément. L’entreprise a largement diversifié ses activités, suite aux lancements successifs de la Poste Mobile, de l’entreprise de transport Geo post, de la Banque Postale, de l’acquisitions de CNP assurances, etc…Cela a des conséquences énormes au quotidien, en particulier sur les 70.000 postiers que la CFTC et les autres partenaires sociaux représentent.
Comment ces postiers vivent-ils ces changements ?
Ils s’adaptent, mais les cadences – qui sont le reflet d’une commercialisation des pratiques au sein de l’entreprise – sont difficiles à suivre. Les Postiers sont très attachés à la préservation de leur mission de service public et au versant humain de leur métier. Je dirais que c’est même la chose la plus importante pour eux. Rappelons que l’actionnaire majoritaire de la Poste reste la Caisse des dépôts et consignations (66 %). En somme, il s’agit de l’Etat, ce qui en fait encore aujourd’hui une entreprise singulière. Nous pensons notamment que la Poste ne devrait pas avoir une dimension seulement économique, mais ce n’est pas vraiment la tendance actuelle.
C’est à dire ?
Globalement, les salariés se font l’écho d’une taylorisation des pratiques qui ne leur semble pas toujours compatible avec le sens qu’ils veulent donner à leur travail. La pénibilité des métiers – physique comme psychologique – augmente, quand les moyens mis par l’entreprise sur la préservation de la santé au travail sont parfois rognés. Comme syndicat, nous avions mandat ces dernières années pour être invités à la table des négociations pour tous les grands thèmes : les salaires, les accords sur la qualité de vie au travail, ceux ayant trait aux salariés aidants, au handicap etc…La CFTC y a fait tout son possible pour protéger au mieux les salariés. Maintenant, nous pensons aussi que la direction peut et doit aller plus loin, sur certains versants essentiels du dialogue social.
Comme le pouvoir d’achat par exemple ?
Oui, notamment car les dernières hausses salariales n’ont pas été à la hauteur de l’inflation. La CFTC demande donc à ce que les grilles de salaires soient revues. Par ailleurs, nous militons aussi pour l’instauration d’un 13e mois et d‘une prime d’ancienneté. Pas seulement pour des raisons financières, mais aussi de fidélisation des salariés. Les facteurs ont des salaires modestes et les récompenser de leur longévité au sein de l’entreprise serait une façon de les fidéliser.
En outre, la CFTC milite pour le maintien d’un dispositif de fin de carrière qui permettra aux postiers de partir plus tôt en retraite ou de cesser progressivement leur activité. La Poste en a les moyens : rappelons que le groupe reste bénéficiaire. A cet égard, nous ne comprenons pas que certains avantages extra salariaux soient revus à la baisse.
Pour ces élections professionnelles, la CFTC semble justement mettre l’emphase sur la nécessité de renforcer les mesures qui préservent la santé au travail des salariés.
Oui, c’est une priorité pour nous. Parce qu’on a observé une détérioration de certains dispositifs, qui permettaient de protéger les salariés. Par exemple, après la crise Covid, l’accord d’entreprise qui leur assurait un versement intégral de leur salaire pendant 90 jours en cas de maladie a été revu à 45 jours. Tous les autres partenaires sociaux réformistes – exception faite de la CFTC – ont signé cet accord – sous prétexte que, si on ne le paraphait pas, la direction reverrait encore davantage à la baisse sa proposition.
Mais, pour la CFTC, tout cela était beaucoup trop brutal. Nous pensions qu’il fallait d’abord se laisser du temps pour mettre en place des actions correctrices au niveau de la qualité de vie au travail, pour baisser le nombre d’arrêts maladie. Pour nous, l’employeur est aussi en partie responsable ici : le nombre d’arrêts maladie est quand même en partie lié aux conditions de travail. C’est pour cela que nous demandons la fin de cette perte de salaire dès 46 jours de maladie.
Vous évoquiez à l’instant une détérioration des conditions de travail. Très concrètement, comment s’est-elle manifestée ?
D’abord, il y a eu une redéfinition de la notion de pénibilité. Une liste de fonctions pénibles à la Poste avait été définie par les partenaires sociaux, mais la direction a unilatéralement revu cet index, en y enlevant certains de ces métiers. Ensuite, on assiste à ce qu’on peut assimiler à une forme croissante de robotisation et d’optimisation du travail : il a été informatiquement calculé qu’il fallait un temps précis pour envoyer un recommandé et l’entreprise attend à ce que le travailleur réponde à cette exigence.
Mais ça, c’est une moyenne, une prérequis qui déshumanise l’activité : à la Poste, vous pouvez vous trouver face à une personne en situation de handicap, qui ne parle pas français, à un client mécontent, à des personnes âgées etc…bref, à des gens qui nécessitent qu’on prenne davantage de temps pour traiter leur demande. Ça, ce n’est pas pris en compte par les logiciels qui mesurent l’activité des travailleurs : les salariés n’ont plus la souplesse qu’ils avaient avant et ça rajoute beaucoup de stress.
Cela génère davantage de pression psychologique au travail.
Absolument. Le problème, c’est que cette pression n’est pas officiellement considérée comme un facteur de pénibilité. A la Poste, un chargé de clientèle ou un conseiller bancaire qui vit pendant 10 ans une forme de pression commerciale, qui doit rendre des comptes encore et encore sur des chiffres, subit une forme de contrainte mentale. A cet égard, la CFTC demande à ce que la notion de pénibilité à la Poste prenne en compte les risques psychosociaux et la pression commerciale.
Plus globalement, quelle vision de la Poste la CFTC veut-elle s’attacher à défendre ?
Vous savez, je trouve que la Poste reflète bien la société française, de manière générale. On est 170.000, les effectifs vieillissent (l’âge moyen à la Poste est d’environ 47 ans, NDLR), mais les gens sont résilients. Ils sont prêts à s’adapter à certains changements de l’entreprise, mais pas à sacrifier le sens qu’ils veulent imprimer à leur travail. Pour la CFTC, la Poste fait de la relation humaine avant tout, et je crois que c’est cela qu’il nous faudra préserver à tout prix.
AC