L’administrateur salarié : cet élu qui siège dans les hautes sphères
23 juillet 2018 | SocialVisages du syndicalisme
Le projet de loi Pacte, qui doit être examiné en septembre 2018 au Parlement, prévoit d’augmenter le nombre d’administrateurs salariés. Figure peu connue, l’administrateur salarié n’en est pas moins un représentant des salariés. Pour mieux comprendre le rôle de cet élu qui siège dans les conseils d’administration, là où se décide la stratégie des entreprises, nous avons posé 3 questions à Geoffroy de Vienne, ancien administrateur salarié chez SFR et aujourd’hui conseiller auprès du président de la CFTC.
“L’influence de l’administrateur salarié peut être tout à fait déterminante”, Geoffroy de Vienne
Le projet de loi Pacte, qui doit être examiné en septembre 2018 au Parlement, prévoit d’augmenter le nombre d’administrateurs salariés. Figure peu connue, l’administrateur salarié n’en est pas moins un représentant des salariés. Pour mieux comprendre le rôle de cet élu qui siège dans les conseils d’administration, là où se décide la stratégie des entreprises, nous avons posé quelques questions à Geoffroy de Vienne, ancien administrateur salarié chez SFR et aujourd’hui conseiller auprès du président de la CFTC.
Qu’est-ce qu’un conseil d’administration, et qu’y décide-t-on ?
Un conseil d’administration fixe la stratégie d’une entreprise et veille à sa mise en œuvre. Instance prévue par la loi, elle est présidée… par un président ! élu par les administrateurs (on l’appelle “P-DG” lorsqu’il est également le directeur général, Ndlr). Ce dernier peut être assisté par un ou plusieurs directeurs délégués. Le conseil au complet est composé de 3 à 18 administrateurs, généralement élus pour une durée de 3 ans par l’assemblée générale des actionnaires. Dans les grandes entreprises, en principe, une partie des administrateurs n’occupent pas de fonctions opérationnelles dans l’entreprise, afin de garantir l’indépendance du conseil par rapport aux dirigeants.
Le conseil d’administration se veut donc distinct et indépendant de la direction générale, qui, elle, gère l’entreprise au quotidien, sur le plan opérationnel. Il se réunit au minimum une fois par an, pour examiner les comptes. Le président du conseil d’administration fournit alors à tous les administrateurs, avant la séance, un ordre du jour, ainsi que les documents et informations dont ils ont besoin pour accomplir leur mission – à savoir prendre des décisions engageant la stratégie de l’entreprise. L’administrateur salarié y bénéficie du même droit de parole que les autres administrateurs.
Quels sont le rôle et l’influence de l’administrateur salarié au sein du conseil d’administration ?
L’administrateur salarié représente les salariés, c’est-à-dire qu’il va porter la voix du corps social au sein du conseil d’administration – dans le cadre du fonctionnement de l’entreprise. Il ne s’agit pas, pour lui, de parler du social en général, mais de l’entreprise dans sa dimension sociale, comme “corps social”.
En pratique, au cours d’une séance, la direction générale présente différents sujets, l’un après l’autre, et l’administrateur salarié peut, à chaque fois, avant la prise de décision, commenter, donner son appréciation, livrer son analyse, ses propositions… mais aussi porter la contradiction, ou apporter des précisions !
En effet, la plupart des administrateurs autour de la table ne connaissent pas l’entreprise “de l’intérieur”. La direction générale a également cette vision “de l’intérieur”, mais celle-ci peut être partielle, voire faussée – péchant par volontarisme, ou en raison d’un angle mort, par exemple.
De fait, l’administrateur salarié détient des informations sur le fonctionnement de l’entreprise, dont ne disposent pas les autres administrateurs. Des informations qui lui sont exclusives. En ce sens, il a véritablement une carte à jouer, une carte stratégique. Il incarne une autre façon d’analyser ce qui se passe dans l’entreprise, et son influence peut être tout à fait déterminante.
Qu’est-ce qui fait un bon administrateur salarié ?
Une bonne connaissance de l’entreprise, de la curiosité et du travail ! L’idéal est d’avoir déjà eu des responsabilités d’élu dans l’entreprise, en prise avec les différents niveaux du droit du travail, de la vie économique de l’entreprise, bref, d’avoir acquis une visibilité sur la globalité de l’entreprise, avec les problématiques propres à chaque service, chaque produit, chaque segment de clientèle, chaque catégorie de fournisseur.
Et puis, évidemment, il faut savoir lire un bilan et un compte d’exploitation, et comprendre les équilibres entre les différentes parties prenantes. Il y a des séminaires de formation à ce sujet, qui sont très utiles. Mais, surtout, il faut être curieux, pour essayer, de soi-même, de creuser les sujets. Quand on reçoit l’ordre du jour d’un conseil d’administration, on peut être pris au dépourvu, par des points avec lesquels on n’est pas familier. Dans ces cas-là, il faut aiguiser sa curiosité, s’appuyer sur son réseau, et avec un peu de volonté, travailler ces points, afin d’avoir quelque chose de pertinent à dire ou à proposer. C’est du travail, d’être acteur d’un conseil d’administration !
Quel conseil donneriez-vous à un administrateur salarié ?
De ne pas se laisser intimider par les dirigeants ! Autour de la question de la confidentialité, par exemple, il peut y avoir un peu de pression. On peut s’entendre dire que rien ne doit sortir, que rien ne doit filtrer. Mais c’est un peu simpliste, de présenter les choses comme ça !
C’est à l’administrateur salarié de sentir ce qu’il peut dire ou ne pas dire. On peut, c’est vrai, nuire à l’entreprise, et au final aux salariés, en divulguant certaines informations, prématurément, ou maladroitement. Il suffit néanmoins d’être prudent, et de lire la presse économique. Ce qui paraît dans la presse peut être répété, voire interprété. Il y a très peu de secrets absolus. Disons que tout cela demande une certaine habileté.
Cela concerne-t-il les relations avec les autres instances représentatives du personnel ?
Oui, c’est bien de cela que je parlais ! L’exercice est délicat pour l’administrateur salarié, qui évidemment collabore avec les instances et rend compte des déroulés d’un conseil. Une lourde responsabilité pèse sur ses épaules, quand il décide de transmettre des informations stratégiques.
Inversement, les représentants du personnel font part à l’administrateur salarié des problèmes de la vie courante dans l’entreprise. Celui-ci doit alors garder à l’esprit que le conseil d’administration ne traite que de stratégie et de mise en oeuvre. Il opère donc un tri dans ces informations, et ne porte que les cas les plus graves au conseil, concernant les conditions de travail, la sécurité, la corruption, des dysfonctionnements importants de l’outil de production, de l’informatique, etc. Tout ce qui peut sévèrement affecter le destin de l’entreprise !
A quelle logique répond l’augmentation du nombre d’administrateurs salariés, voulue par la loi PACTE ?
L’idée directrice de cette loi, c’est que l’entreprise n’est pas uniquement au service de ses actionnaires – ce qui est pourtant sa définition actuelle dans le Code civil. L’entreprise agit dans un contexte, qui est économique, certes, mais aussi social, territorial, environnemental, voire culturel ! Ce contexte engage des personnes et groupes de personnes, que l’on appelle les parties prenantes.
L’entreprise doit agir en conséquence, en responsabilité, dans le respect de ces différentes parties prenantes. Or, les salariés sont la première et la plus importante des parties prenantes. C’est pourquoi le nombre des administrateurs qui les représentent va être augmenté.
Le rapport Notat-Sénard, qui a inspiré la loi PACTE, insiste également sur la création de structures de concertation avec les autres parties prenantes, qui ne sont pas à négliger : ce sont, comme je le disais, les territoires (les élus ou les services locaux), mais aussi les fournisseurs, les clients, les riverains ou les défenseurs de l’environnement. Il n’est pas prévu, par la loi Pacte, qu’ils entrent au conseil d’administration. Reste que l’augmentation du nombre d’administrateurs salariés participe de cette logique d’ouverture du conseil d’administration. D’ouverture à la réalité, pour ainsi dire.
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