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Didier Moguelet : « Toute la difficulté, quand on est en situation de handicap au travail, c’est de l’exprimer »

27 novembre 2023 | Social

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Du 20 au 26 novembre, c’est la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées. L’occasion de faire un point avec Didier Moguelet, membre de de la commission Handicap CFTC. Il évoque ici comment l’action syndicale peut participer à radicalement changer le regard sur le handicap, comme à favoriser l’accès à l’emploi des travailleurs handicapés.

Didier, en premier lieu, pouvez-vous nous faire un tour d’horizon des changements que le dialogue social a participé à amorcer en 2023, en vue d’améliorer la situation des travailleurs handicapés ?

Sur les évolutions récentes, on peut à mon sens citer trois éléments majeurs : en premier lieu, il faut souligner l’adoption de la fin de conjugalisation de l’Allocation aux adultes handicapés (AAH). La CFTC a toujours prôné cette déconjugalisation, qui était fondamentalement inéquitable : cette aide financière – qui s’adresse aux personnes en situation de handicap éloignées de l’emploi – dépendait du niveau de ressources du conjoint de l’allocataire. À la CFTC nous défendons l’humain, le respect de sa dignité et de son autonomie. Nous avons donc toujours milité pour la fin de la conjugalisation de cette prestation, qui a été finalement actée ce 1er octobre. Ensuite, rappelons que la CFTC a continué de solidifier son réseau d’adhérents ressources sur le handicap, qui compte aujourd’hui 112 référents, répartis sur tout le territoire et tous les secteurs professionnels. Ils informent, conseillent et orientent tous les salariés ou militants confrontés à un problème de santé, d’inaptitude ou de handicap.

Enfin, il me faut mentionner le dernier projet de loi plein emploi – actuellement en fin de navette parlementaire examiné par le conseil constitutionnel – qui vise notamment à permettre de fluidifier et simplifier l’accès à l’emploi des travailleurs handicapés. La CFTC salue la pérennisation de certaines des mesures expérimentales qui sont prolongées par ce texte. On peut penser au dispositif d’entreprises adaptées de travail temporaire (EATT), qui permet un premier contact entre employeurs et travailleurs handicapés en interim et ainsi de lutter contre les préjugés et les réticences réciproques. Enfin, il existe aussi les CDD dit « tremplin » : ces contrats de deux ans sont conclus entre une entreprise et une personne en situation de handicap, afin que celle-ci puisse y acquérir une expérience professionnelle, et bénéficier d’une formation, pour ensuite accéder au milieu ordinaire.

Aujourd’hui, à quels difficultés et besoins majeurs les syndicats doivent-ils plus précisément répondre, pour faciliter l’emploi des personnes handicapées en entreprise ?

Le cœur, la matrice du problème, est en réalité très identifié : toute la difficulté, quand on est en situation de handicap, c’est de l’exprimer. Ce n’est pas toujours simple: 80% des personnes en situation de handicap ont des handicaps invisibles. Beaucoup de salariés ont donc souvent peur de déclarer leur handicap à leur employeur: ils se disent que le patron pourra se servir de leur handicap contre eux, pour les fragiliser. On observe même chez certains de ces salariés un phénomène de sur-compensation: ils démultiplient leurs efforts au travail, pour masquer leur invalidité. Cela accentue l’inéquité dont ils sont victimes : non seulement ils ont un handicap, mais ils doivent en faire plus pour le dissimuler.

Comment la CFTC peut-elle aider à visibiliser et à verbaliser le handicap en entreprise ?

Il y a un gros travail d’information à délivrer et vulgariser. Par exemple, des organismes comme l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) proposent des solutions aux personnes en situation de handicap, pour faciliter des aménagements de poste qui leurs sont plus adaptés. Pourtant, beaucoup de petits employeurs ne savent même pas que ce genre de dispositif existe. Aujourd’hui, via les commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), les syndicats comme la CFTC peuvent sensibiliser à l’existence de ces initiatives, ou encore négocier avec l’employeur des conditions de travail modulables, favorisant l’épanouissement des travailleurs handicapés.

Néanmoins, si ces CSSCT ne sont pas sans mérite, la CFTC milite pour un rétablissement des CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), supprimés en 2017 par les ordonnances Macron : aujourd’hui, les entreprises n’ont souvent plus qu’une seule commission compétente sur les sujets liés aux handicap, quand auparavant, les CHSCT étaient plus nombreux, au plus proche du terrain et des travailleurs. Comment voulez-vous libérer la parole d’un salarié, l’encourager à parler de son handicap en entreprise, s’il doit s’adresser à un référent de la maison mère de sa société, qui officie à 300 kilomètres de son lieu de travail?

Ces référents handicap, justement, sont aujourd’hui nommés par l’entreprise. Cela désincite-il certains salariés à déclarer leur handicap à l’employeur ?

Absolument. De plus, ces référents handicap ne sont obligatoires que dans les entreprises de plus de 250 salariés. Pourtant, le cœur des enjeux est bien là : il faut libérer la parole des salariés en situation de handicap. Or, ceux-ci ont souvent peur – à tort ou à raison – d’assumer vis-à-vis de leur employeur ce qui pourrait être considéré comme une faiblesse, avec en toile de fond un risque important de licenciement pour inaptitude. Pour la CFTC, on pourrait donc songer à créer un mandat social et syndical en entreprise, spécifiquement dédié au handicap : cet élu pourrait travailler avec les CSSCT, dans l’optique de permettre aux salariés de s’exprimer, de connaître vraiment leurs droits, de leur expliquer que ce n’est pas parce qu’on est en situation de handicap qu’on se met en marge de l’entreprise. Son rôle serait donc réellement préventif, quand les référents employeurs ont tendance à être davantage dans la réaction à une problématique donnée, que dans son anticipation et son traitement en amont. La CFTC va militer dans ce sens.

Plus globalement, comment les syndicats peuvent-ils contribuer à changer le regard sur le handicap en entreprise ?

D’abord, en donnant au handicap une visibilité totale, qui participe à le présenter comme une richesse, pas comme un tabou. En réalité, on observe que chercher des solutions qui valorisent les compétences des personnes handicapées permet de repenser de manière efficiente les organisations, d’inventer des technologies et procédés qui vont ensuite se diluer dans le groupe, bénéficiant ainsi à l’ensemble de la collectivité. Les exemples sont légion, mais en voici deux pour illustrer ce processus : les télécommandes des téléviseurs ont à l’origine été conçues pour les personnes qui ne pouvaient pas se déplacer pour tourner les boutons, afin de changer de chaîne. Idem pour le sms : à l’origine, ça avait été inventé pour les personnes qui avaient un portable mais étaient malentendantes. Pourtant, ces innovations importantes se sont ensuite globalisées et ont bénéficié à tous.

Les travailleurs handicapés ne représentent en moyenne que 3,4 % des effectifs salariés dans le privé, au lieu des 6 % que les sociétés de 20 salariés et plus sont légalement tenues d’employer. Comment y remédier ?

Pour atteindre cet objectif, on entend souvent : « les entreprises doivent recruter. » C’est vrai mais, préalablement, il faut accompagner les personnes qui travaillent déjà au sein de l’entreprise, mais n’ont pas fait connaître leur handicap. On en revient à cette notion cardinale de libération de la parole. Ensuite, ces 6% ne doivent pas être considérés comme un plafond, mais plutôt comme un plancher : il ne faut pas se limiter au respect de cet objectif, mais viser à le dépasser. Pour la CFTC, le handicap ne doit de toute façon pas être pondéré comme une variable comptable, mais envisagé d’un point de vue humain : à partir du moment où les conditions de travail lui sont adaptées, un salarié handicapé exprime ses compétences autant qu’un salarié non handicapé. Parfois, les salariés handicapés ont même des qualités qui leur sont propres, justement du fait de leur singularité : on peut, par exemple, penser aux kinésithérapeutes aveugles, qui peuvent bénéficier d’un sens plus aiguisé du toucher.

Par ailleurs, on observe quasi invariablement que, lorsqu’un salarié déclare son handicap, le collectif de travail change, se mobilise pour lui permettre de s’épanouir dans son travail. Le handicap, ça peut aussi être un formidable vecteur d’esprit de groupe, de soutien mutuel et de rapprochement en entreprise. En somme, je pense qu’il faut normaliser la vision qu’on a du handicap. En entreprise, personne n’est mieux armé pour le faire que les syndicats.

Le gouvernement va prochainement débuter avec les partenaires sociaux une négociation sur une réforme de l’emploi des séniors. La CFTC en profitera-t-elle pour défendre des dispositifs favorisant l’emploi des séniors handicapés ?

Ce sera l’un de ses axes de travail, évidemment. Les séniors handicapés subissent ce que l’on pourrait assimiler à une double peine : un taux d’employabilité plus bas et un handicap. Par ailleurs, plus on vieillit, plus on est susceptible d’être en situation de handicap. La CFTC aura donc à cœur de dégager des solutions pouvant permettre à cette catégorie de salariés de se maintenir ou de réintégrer plus aisément le marché de l’emploi, comme de bénéficier de normes et conditions de travail qui leur sont favorables et adaptées.

AC

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