Assurance chômage : un cadrage gouvernemental qui menace la réussite des négociations
25 septembre 2023 | Social
Les partenaires sociaux ont débuté mi-septembre les négociations sur les nouvelles règles de l’assurance chômage, qui visent à redéfinir les mécanismes d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Si la CFTC sera force de proposition lors de ces pourparlers, elle regrette de les voir restreints par une lettre de cadrage de l’Etat. Ce document limite en effet le champ d’action des représentants syndicaux et patronaux et ne facilite pas une éventuelle réussite des tractations.
Depuis 1958 – année de sa création – la mission de l’assurance chômage reste immuable : elle indemnise toute personne ayant perdu son emploi de manière involontaire, sécurisant ainsi les parcours professionnels des salariés. Les règles d’indemnisation du régime, sont, en revanche, plus évolutives : tous les 2 ou 3 ans, les partenaires sociaux réévaluent les conditions d’indemnisation des demandeurs d’emploi, en fonction de la situation du marché du travail. Néanmoins, depuis 2018, les représentants syndicaux et patronaux doivent parvenir à un accord en se conformant à une lettre de cadrage rédigée par le pouvoir en place, qui limite le périmètre des négociations.
Ce document avait ainsi largement réduit la marge de manœuvre des partenaires sociaux lors de la précédente négociation sur l’assurance chômage, en 2019. Faute de parvenir à un accord, ils avaient été contraints de s’effacer au profit du gouvernement. L’Etat avait donc pu définir seul les grandes orientations stratégiques du régime et durci les règles d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Quatre ans plus tard, mêmes causes, mêmes effets : ce mardi 12 septembre, les organisations syndicales et patronales ont débuté les pourparlers visant à redéfinir les règles de l’assurance chômage en devant composer avec une lettre de cadrage particulièrement restrictive. Ils ne peuvent notamment pas toucher aux acquis de la réforme de 2019.
Un champ de négociation trop restrictif
La CFTC regrette le caractère fermé et rigide de ce document de cadrage, qui laisse jusqu’à mi-novembre aux partenaires sociaux pour trouver un accord. Si les comptes de l’Unedic – l’organisme paritaire qui gère l’assurance chômage – sont redevenus excédentaires en 2022, ce redressement des finances est aussi le résultat de conditions et montants d’indemnisations souvent moins généreux à l’égard des allocataires, décidés en 2019 par le gouvernement. Par ailleurs, le cadrage imposé par le gouvernement lors des discussions en cours risque à contrario de fragiliser l’équilibre économique du régime, une problématique soulignée dans une déclaration commune par la quasi intégralité des partenaires sociaux*, le 28 septembre : l’Etat voudrait en effet consacrer « une part majoritaire » des excédents annuels du régime à son désendettement (avec pour objectif de diviser par deux la dette de l’assurance chômage d’ici 2026) et « une part minoritaire » au financement de la politique de l’emploi.
*Seule la CGT manque ici à l’appel. Si elle partage globalement la position exprimée dans ce communiqué, elle n’a pas souhaité s’y associer, du fait de désaccords parallèles relatifs au régime des intermittents du spectacle.
Comme l’exécutif a fait mine cette semaine de ne pas avoir eu connaissance de la remise en cause de la trajectoire financière qu’il impose au régime, les partenaires sociaux explicitent et réitèrent leur opposition via une déclaration commune (1/2) pic.twitter.com/cdEI2CaHU5
— Jérôme Lepeytre (@jerome_lepeytre) September 29, 2023
A cet égard, la CFTC ne s’interdit pas de formuler des propositions qui s’émanciperont de cette lettre de cadrage. L’une d’entre elles visera à permettre aux allocataires qui ont repris un travail de bénéficier d’allocations chômage, s’ils mettent fin à leur période d’essai. Aujourd’hui, les allocataires qui acceptent un contrat de travail puis décident de le rompre pendant leur période d’essai ne sont en effet pas indemnisés, leur décision étant considérée comme une démission. Pour la CFTC, il faut au contraire encourager et couvrir le risque d’accepter un emploi : de la même manière qu’un employeur rompant une période d’essai se sait couvert – puisqu’il n’aura à verser aucune indemnité de licenciement – une personne au chômage doit pouvoir accepter un contrat de travail en se sachant protégée et donc indemnisée, dans l’éventualité où elle souhaite quitter son nouvel emploi.
Réformer dans les marges
Si elle proposera des dispositifs qui s’affranchissent du cadrage gouvernemental, la CFTC sera aussi fidèle à sa nature de syndicat réformiste et constructif. Elle proposera donc également des mesures qui s’inscrivent dans les marges que l’Etat a délimitées pour cette négociation. A cet égard, elle cherchera à affiner le fonctionnement du principe de contracyclycité, afin de le rendre plus juste et équitable. Introduit en février 2023, ce mécanisme durcit les règles d’indemnisation des allocataires quand la situation du marché du travail est favorable, et les assouplit quand la situation se dégrade. Tant que le taux de chômage est inférieur à 9%, la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi est ainsi réduite de 25 % par rapport aux règles applicables antérieurement. Mais si la conjoncture économique se détériore et que le chômage augmente, les allocataires en fin de droits verront leur durée d’indemnisation revenir au niveau initial. Pour la CFTC, ce rétablissement de la durée d’indemnisation au palier précédent ne devrait cependant pas – dans un souci d’équité – concerner uniquement les allocataires en fin de droits : les demandeurs d’emploi en cours de droits doivent en effet eux aussi faire face à un marché du travail plus compliqué.
Le document de cadrage enjoint aussi les partenaires sociaux à tirer les conséquences de l’allongement de la durée d’activité induite par la réforme des retraites, sur les règles d’indemnisation des seniors. A ce titre, la CFTC souligne la nécessité de reconfigurer le dispositif de maintien de droits, qui s’adresse actuellement (sous certaines conditions) aux allocataires de 62 ans et plus, qui n’ont pas assez cotisé pour prendre leur retraite. Il permet à ces séniors d’être indemnisés jusqu’à leur départ en retraite à 67 ans, âge où l’on obtient d’office une retraite à taux plein. Du fait du report de l’âge légal de la retraite, cette mesure devra désormais être rééchelonnée, en étant progressivement décalée de deux ans. Si l’accès au dispositif sera mécaniquement plus tardif, ce report devrait permettre d’assurer la pérennité de cette mesure qui protège les séniors, une catégorie de travailleurs plus à même d’être exposés au chômage de longue durée.
La menace d’une réforme par décret
Par ailleurs, la CFTC défendra d’autres dispositifs s’inscrivant dans les limites de la négociation imposées par le gouvernement. Elle proposera ainsi que la durée minimale d’emploi pour ouvrir un droit au chômage soit réduite de 6 à 4 mois pour les travailleurs saisonniers et les jeunes de moins de 25 ans (qui sont plus susceptibles de travailler à mi-temps ou pendant les périodes de vacances et n’ont pas le droit au RSA).
Si elle restera quoi qu’il arrive force de proposition, la CFTC souligne enfin que les contraintes imposées aux partenaires sociaux pour ces négociations sont telles qu’il leur sera très difficile de trouver un terrain d’entente, en vue de garantir le maintien d’un régime d’indemnisation des chômeurs équitable et protecteur. Si ces pourparlers échouaient, le gouvernement aurait – comme en 2019 – la possibilité de réformer les règles du régime par décret, ce qui pourrait, à terme, encore plus fragiliser les demandeurs d’emploi.
AC