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Agriculture, industrie, numérique…Comment construire une vraie souveraineté française et européenne ?

27 février 2024 | Social

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La réindustrialisation de la France, sa dépendance technologique aux géants du numérique américains ainsi que l’actuelle crise agricole – qui interroge son autonomie alimentaire – ont remis au premier rang du débat public la notion de souveraineté nationale. Une notion que le Conseil d’Etat a d’ailleurs retenue comme sujet de son étude annuelle, en 2024. Ce document aura vocation à faire la synthèse de l’état du droit sur le sujet en cause, mais aussi à formuler des propositions au Gouvernement. A cet égard, le président de la CFTC Cyril Chabanier a été reçu mi-février par le Conseil d’Etat pour présenter la vision que la Confédération se fait de la souveraineté. Un juste équilibre entre indépendance et interdépendance des économies française et européenne, sur lequel il revient ici.

Comment la CFTC définit-elle la notion de souveraineté nationale, ainsi que son articulation dans le cadre du commerce international ?

Pour la CFTC, la notion de souveraineté renvoie à la capacité qu’a l’Etat de subvenir aux besoins essentiels de sa population. Parmi ces besoins prioritaires, on peut citer l’alimentation, l’eau, la santé et l’énergie. Pour ce faire, l’Etat doit donc privilégier autant que possible la production domestique de ces biens et services. Néanmoins, quand il ne dispose pas des matières premières requises sur le territoire national, il est légitime de les importer et, par conséquent, de s’inscrire dans le jeu des échanges commerciaux mondialisés. Une politique publique digne de ce nom doit donc identifier, puis favoriser par ses choix budgétaires, les voies et moyens d’un juste équilibre entre indépendance et interdépendance de l’économie française et/ou de l’économie européenne. Pour la CFTC, la notion de souveraineté n’est donc pas contradictoire avec le principe du libre échange, du moins si les échanges concernés ne se voient pas sujets à des règles et pratiques concurrentielles faussées. Le cas échéant, il appartient au législateur de lutter contre cette distorsion de concurrence, dans le sens d’un rééquilibrage équitable entre les acteurs.

Récemment, on a justement beaucoup évoqué des distorsions de concurrence au sein de l’Union Européenne, qui désavantagent l’agriculture française.

D’abord, il faut rappeler que cette distorsion s’applique en premier lieu aux échanges qui ne sont pas strictement circonscrits aux frontières de l’Europe. A titre d’illustration, l’utilisation du glyphosate est possible pour les lentilles canadiennes importées dans l’UE, mais très restreinte pour les lentilles produites en France. Cette situation contribue en partie à affaiblir nos capacités de production locale. La CFTC soutient dès lors la nécessité d’inclure des clauses miroirs dans les accords commerciaux, afin d’imposer aux produits importés les mêmes exigences qu’aux produits européens.

Ensuite, il faut effectivement souligner que la concurrence déloyale peut aussi être intra européenne. La crise agricole a par exemple dévoilé une tendance à la surtransposition en France de normes européennes. Une surtransposition à laquelle ne s’adonnent pas tous nos voisins au sein de l’UE. Il s’agit donc de corriger au plus vite ces distorsions. Une fois qu’elles seront corrigées, une notion de taille ou d’échelle critique doit enfin décider du niveau retenu pour viser l’indépendance. Dans certains versants de l’économie, cette autonomie stratégique peut être majoritairement réalisée à l’échelle nationale. Néanmoins – dans d’autres cas de figure – elle peut aussi être atteinte à l’échelon européen, si une harmonisation à l’échelle continentale est jugée plus efficace et appropriée : c’est, entre autres exemples, le cas de la lutte contre le réchauffement climatique, de la gestion des menaces sanitaires, de la co-construction d’une souveraineté numérique et d’un éco système partagé d’intelligence artificielle etc… En somme, la CFTC pense qu’il faut viser à l’articulation optimale de ces deux niveaux de souveraineté.

Quel regard porter sur les politiques de réindustrialisation menées par la France et l’Union européenne ? Sont-elles suffisamment ambitieuses ?

Il y a effectivement une volonté de réindustrialisation de l’appareil productif. Néanmoins, les politiques de réindustrialisation menées par la France et l’Union européenne sont freinées par deux phénomènes : d’une part, par la concurrence parfois déloyale qui demeure au cœur même de l’Europe. D’autre part, par les difficultés européennes à instaurer des mécanismes de protection dont sont capables les autres grands acteurs de la mondialisation des échanges. Je pense notamment aux Etats Unis et à la Chine. La CFTC préconise donc, à l’échelle française puis européenne, un protectionnisme ciblé.

Ensuite, on a pu constater ces dernières années une préférence française pour la production à bas coûts, facilitée par des politiques publiques d’aides aux entreprises, sans contrepartie. Ces exonérations de cotisation ont incité ces dernières à embaucher à un faible niveau de rémunération – souvent voisin du SMIC – et de qualification. Pour la CFTC, cette politique décourage l’investissement, l’innovation, la formation et la gestion prévisionnelle des besoins en emplois et en compétences (GPEC). Elle tire la production, les entreprises et leurs emplois vers le bas, en visant à concurrencer des produits étrangers de bas ou de milieu de gamme. Mais ceux-ci sont bien souvent plus compétitifs, la concurrence devant composer avec un modèle social plus « allégé » et un coût du travail moindre. Notre retard en matière numérique résulte en partie aussi de cette préférence devenue quasi culturelle pour la production à bas coûts.

Comment combler ce retard industriel et numérique, pour conforter notre indépendance et notre souveraineté ?

Il faut développer une vision prospective à long terme, qui fait actuellement défaut à la France. Nous avons besoin de grands patrons, capitaines d’industries, désireux d’entraîner leurs équipes sur des grands projets, pourvoyeurs d’emplois et de prestige. Ces derniers ne sont parfois que de passage, et n’ont pas d’ambition sur le long terme. Les salariés et leurs représentants ne peuvent pas être les seuls derniers défenseurs du temps long dans l’entreprise. La CFTC pense que ce temps long doit s’articuler autour d’une vision stratégique de montée en gamme de notre appareil productif, axée sur la formation des salariés : pour viser à proposer des produits de meilleure qualité, il faut des formations qui donnent de meilleures qualifications aux travailleurs. Elles permettraient à terme aux salariés d’accéder à une rémunération plus avantageuse qui, à son tour, leur donnerait la possibilité de consommer des produits de meilleure qualité. Pour la CFTC, ce cercle vertueux de la montée en gamme doit participer à renforcer la spécificité, la compétitivité, et, par capillarité, la souveraineté économique de l’industrie française.

AC

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