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À Courtepaille, le parcours atypique de Yan Dubaele, de délégué syndical à patron

12 janvier 2024 | Social

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Salarié de Courtepaille depuis 2000 devenu délégué syndical CFTC sept ans plus tard, Yan Dubaele est passé de l’autre côté de la table des négociations en 2023 : cette année-là, suite à la reprise de Courtepaille par le groupe La Boucherie, il a pris la tête de deux restaurants franchisés du Val-d’Oise. Un nouveau rôle d’employeur où son expérience syndicale et des questions sociales font office d’atouts rares.

Yan, avant de revenir sur ce rôle de patron que vous avez endossé il y a quelques mois, pourriez-vous nous résumer votre expérience salariale, au sein de Courtepaille ?

J’ai commencé à Courtepaille en 2000, quand l’entreprise faisait encore partie du groupe ACCOR. J’ai débuté serveur et ai assez vite évolué pour devenir assistant. Quelques années plus tard, je suis passé responsable adjoint d’un restaurant. Courtepaille était une entreprise très famille, où – comme j’ai pu en faire l’expérience – il était possible de bénéficier d’une certaine mobilité professionnelle pour monter en grade. Malheureusement, au fur et à mesure des fonds d’investissement qui sont rentrés au capital, le groupe a muté : il recherchait à maximiser à tout prix sa rentabilité. En parallèle, il y avait aussi un coup de frein en terme d’activité.

Pour y faire face, le management voulait travailler sur une amélioration de la productivité des salariés : en résumé, on nous demandait d’être moins nombreux pour faire le même travail. Le rendu était inévitablement moins qualitatif. Les clients le ressentaient et, petit à petit, on est entré dans un cercle vicieux : plus on perdait de clientèle, plus on nous demandait de raboter les effectifs et moins on pouvait préserver la qualité de service. Forcément, le rapport que les salariés du groupe entretenaient avec leur métier en a pâti.

C’est ça qui vous a amené à devenir délégué syndical CFTC, en 2007 ?

En fait, j’observais ces changements au sein même du restaurant où je travaillais, au Stade de France. Le climat social s’y était notoirement dégradé, notamment à cause d’un manager qui, à mon sens, avait des méthodes de direction dignes des années 60. Je suis devenu délégué syndical, puis délégué syndical central CFTC, pour ça : aider à rétablir un certain équilibre au sein de ce restaurant, puis, plus globalement, de l’entreprise.

Comment avez-vous pu concrètement participer à rétablir cet équilibre ?

J’ai notamment pu observer de nombreux cas de licenciements abusifs, que j’ai aidé à contester. Je vous donne un exemple : il était reproché à un assistant que je connaissais d’avoir détourné 60 euros sur 3 mois. Il avait été licencié alors, qu’en réalité, c’est notre système de caisse qui était perfectible et mal adapté aux tickets restaurants. Il était adhérent CFTC, donc je l’ai assisté aux prudhommes en plaidant sa cause. Finalement, son licenciement a été requalifié sans cause réelle et sérieuse et il a eu un 1 an de salaire en dédommagement. L’entreprise a fait ensuite appel, mais la CFTC a accompagné ce salarié en prenant en charge ses frais d’avocat et il a de nouveau gagné en deuxième instance. C’est, pour moi, la matrice même de l’action syndicale : défendre les travailleurs qui sont victimes d’iniquités au sein de l’entreprise.

En mars 2023, Courtepaille est placé en situation de redressement judiciaire. Quatre mois plus tard, le groupe la Boucherie annonçait reprendre 87 des 216 restaurants du groupe, la plupart en franchise. C’est là que vous avez l’idée d’assumer la direction de deux des enseignes de l’entreprise ?

Au départ, on se disait que tout le monde allait être licencié car, avant que La Boucherie ne se prononce, il n’y avait pas de repreneur solide en vue. Je regardais les petites annonces, rien ne m’emballait, et ma femme m’a simplement demandé pourquoi je ne me mettais pas à mon compte. Je me suis dit « Et pourquoi pas ? » Après tout, je connaissais bien l’entreprise, la restauration, la marque, et j’avais des notions solides de droit social, de par mes fonctions de délégué syndical. Mon rôle de DS et de trésorier du Comité social et économique (CSE) m’a aussi aidé à rédiger une offre chiffrée, comprenant un bilan provisionnel visant à la reprise de deux restaurants en franchise, dans le Val d’Oise. L’un était bénéficiaire, l’autre pas encore, mais les deux s’équilibraient. Le groupe La Boucherie a évalué ma proposition et l’a acceptée. Ça a commencé comme ça.

Le rachat de Courtepaille par La Boucherie ne s’est malheureusement pas fait sans casse sociale, puisqu’environ un millier de salariés du groupe ont dû être licenciés. Votre reprise de ces deux restaurants a-t-elle permis de sauvegarder des emplois ?

Absolument. J’ai pu reprendre les équipes telles quelles, les salariés conservant tous leurs droits et avantages, restés identiques à ceux qu’ils avaient chez Courtepaille. J’ai aussi pu recruter de nouveaux collaborateurs, qui étaient d’anciens employés qui avaient été licenciés et ça, c’est une grande satisfaction.

En quoi votre expérience syndicale vous aide plus précisément dans vos nouvelles fonctions ?

D’un point de vue très opérationnel, ça m’a évidemment donné une connaissance du droit et du contexte social. Quand vous avez participé comme syndicaliste à des négociations en tous genres et que vous devenez ensuite vous-même employeur, vous avez probablement une meilleure vision d’ensemble. Surtout si vous venez de la CFTC : plutôt qu’une logique de confrontation systématique avec le patron qui pourrait s’avérer stérile, on privilégie à mon sens davantage la recherche d’une forme d’équilibre salarié-employeur constructive. Pour autant, ça ne vous met pas non plus à l’abri de certaines difficultés : ça se passe très bien sur un de mes restaurants, sur le second c’est plus compliqué, il faut gérer, apprendre à s’adapter à des problématiques liées à la découverte du patronat.

Ensuite, je pense que ma double expérience me permet naturellement de mieux intégrer certains savoirs-être managériaux : par exemple, en ne me limitant pas à identifier des problèmes quand il y a des difficultés, mais aussi en remerciant mon équipe quand ça se passe bien, en étant humble et reconnaissant de leur travail. Peut-être, aussi, que l’adaptation aux besoins des salariés est plus fluide et facilitée : dernièrement, j’ai été confronté au cas d’une assistante qui a des problèmes de santé et qui m’avait demandé s’il elle pouvait réduire ses horaires de travail, pour se préserver. Je trouve ça tout à fait normal, donc on a ajusté son planning à cet effet. Je pense aussi à ce salarié jeune papa, qui préférait ne plus travailler le soir, quitte à en faire davantage lors du service du midi. Là aussi, on a accepté sa requête et on s’est adapté. J’en reviens toujours à la recherche de cet équilibre salarié-patron, qui doit rester juste et équitable : comme employeur, je crois que mon vécu syndical peut aider à la favoriser.

AC

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