Épargne salariale: comment tirer les entreprises vers plus d’exigence sociale et environnementale?
21 novembre 2025 | Rémunération & Pouvoir d'achatSocial
Mi-novembre, la loi sur le devoir de vigilance sociale et environnementale des grandes entreprises a vu sa portée réduite par le Parlement européen. Un recul déploré par le Comité intersyndical de l’épargne salariale (CIES). Cet organisme, qui contrôle près du tiers des montants investis en France dans l’épargne salariale, vise à orienter les investissements des travailleurs vers des entreprises qui respectent un certain nombre de prérequis et d’objectifs sociaux et environnementaux. Explications avec Geoffroy de Vienne, représentant de la CFTC au sein du CIES.

Geoffroy, le CIES est une structure qui œuvre dans le sens d’une épargne plus responsable, socialement et écologiquement. A ce titre, que pensez-vous du remaniement – voté par le Parlement européen – de la loi sur le devoir de vigilance sociale et environnementale?
C’est un recul, sur ces sujets pourtant essentiels. Pour être plus précis, il y a deux volets dans cette loi : d’une part, la transparence sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, qui va désormais concerner beaucoup moins d’entreprises dans l’UE. Idem pour le second volet, qui impose une obligation aux entreprises de prévenir les risques sociaux et environnementaux liés à leurs activités, ainsi qu’à celles de leurs filiales.
C’est une décision court-termiste : on ne veut pas imposer trop de contraintes aux entreprises européennes, pour qu’elles aient moins de désavantages concurrentiels. Néanmoins, à plus long terme, c’est un mauvais calcul. Détruire l’environnement et les écosystèmes coutera très cher à tout le monde, y compris aux entreprises. Rappelons, à ce titre, que la Cour des comptes estime que le coût de la transition écologique est et sera bien inférieur à celui de l’inaction environnementale. Paradoxalement, à l’échelle de la France, je ne suis pas trop inquiet.
Pourquoi ?
Parce que la France a été précurseur sur ces enjeux. Elle a notamment voté depuis 2017 un texte de loi qui concerne les entreprises françaises de plus de 5 000 salariés et les entreprises étrangères ayant plus de 10 000 salariés en France. Ce document impose aux entreprises concernées de mettre en place un plan de vigilance sur les problématiques sociales et environnementales concernant leurs activités ainsi que celles de leurs filiales. Au CIES, nous cherchons précisément à orienter l’épargne des salariés vers les entreprises vertueuses, respectueuses des obligations fixées par ce texte.
Vous évoquiez à l’instant l’épargne salariale. De quel mécanisme s’agit-il précisément ici?
L’épargne salariale est un système collectif d’épargne. Le plus souvent, elle est le fruit d’accords collectifs négociés par les organisations syndicales, afin de permettre aux salariés qu’elles représentent d’obtenir une part des bénéfices de l’entreprise. Ces sommes peuvent ensuite être investies dans divers placements financiers, qui sont effectués par des fonds d’investissement (via différents supports, choisis préalablement par les salariés). En bout de course, la plus-value générée par ces fonds d’épargne salariale revient donc aux travailleurs : elle peut notamment leur permettre d’économiser pour des projets personnels futurs ou pour leur retraite.
Quel rôle joue le Comité intersyndical de l’épargne salariale (CIES), dans la gestion de cette épargne salariale ?
Le comité intersyndical de l’épargne salariale a été créé en 2002 par la CFTC, la CFDT, la CFE-CGC et la CGT, à partir d’un constat simple : les investisseurs ont un pouvoir sur les entreprises, donc l’épargne salariale représente elle-même un pouvoir. Les volumes et les capitaux qu’elle représente sont d’ailleurs importants : on parle ici d’un total de 130 milliards d’euros ! Le rôle du CIES n’est cependant pas de gérer directement les fonds d’épargne salariale, mais de contrôler l’exercice de leur gestion. Ce contrôle passe par la labellisation des fonds d’investissement qui sont susceptibles de placer les sommes mobilisées par l’épargne salariale.
Concrètement, comment tout cela fonctionne ?
Les syndicats encouragent tout simplement les salariés à placer leur épargne dans des fonds qui ont obtenu un label délivré par le CIES. Ces fonds labélisés s’engagent à investir l’épargne salariale qui leur est confiée dans des entreprises respectueuses d’un certain nombre d’engagements et d’objectifs écologiques, sociaux ou encore liés à la gouvernance, à la parité etc…ces objectifs sont repris dans le cahier des charges du label. L’idée, c’est donc de tirer autant que faire se peut les entreprises vers une forme d’excellence sociale, environnementale et de gouvernance.
Les salariés sont-ils sensibles à cette notion d’investissement responsable ?
Oui, complétement ! L’épargne salariale représente en tout 130 milliards d’euros, dont 40 milliards sont investis dans des produits financiers qui ont obtenu le label du CIES. Cela concerne 7.7 millions de salariés exerçant leurs métiers dans plus de 500.000 entreprises. C’est très conséquent et ça démontre bien que de nombreux travailleurs s’intéressent à la finalité de leurs placements. A la CFTC, nous considérons que les entreprises sont des acteurs qui font partie intégrante du monde social : leurs décisions ont non seulement un impact sur leurs salariés, mais aussi sur un environnement socio-économique beaucoup plus vaste. Avoir un impact sur l’entreprise via une épargne salariale responsable, c’est donc aussi agir dans le sens d’un tissu économique plus équitable et vertueux.
Le CIES impose aux fonds avec qui il travaille un cahier des charges social et environnemental. Mais comment s’assure-t-il que l’épargne salariale est bien investie dans des entreprises respectueuses de ces engagements ?
En premier lieu, il y a des lignes rouges claires dans ce cahier des charges : par exemple, si une société de gestion investit dans une entreprise de tabac, on lui retire le label. Cependant, le CIES n’en arrive là que quand le dialogue échoue. Comprenez bien que les actions menées par une entreprise ne sont jamais complétement vertueuses ou totalement nocives : la plupart du temps, certains choses sont positives ou en progrès, d’autres non.
Via leur épargne salariale, les salariés sont actionnaires, et 2 fois par an, en comité de suivi de l’activité des 9 sociétés de gestion ayant obtenu le label, le CIES contrôle ce qui est fait de leurs investissements. Une attention particulière est portée sur les votes fait par la société de gestion aux Assemblées Générales des entreprises présentes dans les fonds labellisés. Via ce vote, on peut donc avoir une influence sur des décisions liées à la rémunération des dirigeants, les questions de gouvernance, des enjeux liés à la transition écologique et énergétique, aux droits humains etc… En somme, nous cherchons avant tout à faire pression pour que les entreprises s’améliorent.
Et si le CIES trouve qu’un fonds n’est pas assez proactif pour défendre ses demandes auprès d’une entreprise ?
Le cas échéant, le CIES peut leur retirer le label. C’est une sanction lourde pour les sociétés de gestion, car ce label est un facteur de vente : les syndicats communiquent en interne auprès des salariés, pour qu’ils investissent dans les produits financiers des fonds qui sont labélisés. Là encore, rappelons que le CIES labellise aujourd’hui 40 milliards d’euros d’épargne salariale. Il est pris au sérieux par les fonds d’investissement et les entreprises: ils savent que perdre notre certification ne serait pas sans conséquences économiques, ainsi que pour leur réputation .
L’épargne salariale est aussi l’une des pierres angulaires de l’économie sociale et solidaire (ESS)…
Absolument. L’épargne salariale est même le premier pourvoyeur de capitaux des entreprises de l’ESS, dont, pour rappel, l’ambition sociale doit être une composante majeure de leur raison d’être. Ici, le rôle du CIES, c’est donc de s’assurer que les fonds consacrés au financement de l’économie sociale et solidaire sont bien redirigés vers des entreprises et initiatives qui respectent les principes et engagements qui caractérisent l’ESS.
Pour finir, le CIES a également étoffé cet été le cahier de charges qu’il transmet aux fonds d’investissement. Quelles nouvelles évolutions y ont été intégrées ?
Nous demandons notamment aux sociétés de gestion un suivi renforcé, avec l’identification des optimisations fiscales abusives et préjudiciables aux salariés et au développement durable. Nous avons aussi formellement exclu les énergies fossiles non conventionnelles et le charbon des investissements mobilisables via l’épargne salariale qui est soumise à notre contrôle. En somme, nos exigences augmentent. Ces évolutions sont aussi en phase avec la mentalité des travailleurs : si l’épargne salariale responsable connaît un succès croissant, c’est précisément parce que les salariés sont de plus en plus sensibilisés au respect de critères sociaux et environnementaux, de la part des entreprises.
Tous propos recueillis par AC
