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Patrick Ertz : « Je crois beaucoup au renforcement de l’Europe des travailleurs »

27 mai 2020 | Visages du syndicalisme

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Depuis quelques semaines, le déconfinement permet la reprise progressive de l’activité humaine. Avec prudence, Patrick Ertz, président de la fédération CFTC des Commerce, Services et Forces de Vente (CSFV), propose un premier bilan de la crise du Covid, et veut voir de nombreuses opportunités pour les jours à venir.

Dans un contexte loin d’être revenu à la normale, quel est votre premier bilan ? 

Il est beaucoup trop tôt pour chiffrer les pertes économiques et les pertes d’emplois dans nos champs professionnels. Mais on peut d’ores et déjà souligner trois enseignements. D’abord, cette crise a mis en lumière de nombreux manquements. Si je devais n’en citer qu’un, ce serait le problème d’accès aux équipements de protection : c’est nettement le plus criant ! Autre enseignement, et de taille, la nécessité de produire au plus près de la population. Enfin, pour ce qui concerne notamment les métiers couverts par notre fédération, je dirais que le dialogue social a été un peu redécouvert par les employeurs. Les organisations syndicales se sont affirmées des partenaires incontournables. Et ça, c’est une bonne chose !

La fédération CFTC CSFV couvre un large éventail de secteurs d’activité (1). Parmi eux, le commerce alimentaire, vital pour la population…

Dans l’alimentaire, pendant le confinement, on a observé que plus la superficie du commerce était petite, plus le chiffre d’affaire augmentait. Et inversement pour les grandes surfaces. Les populations ont redécouvert la vie familiale mais aussi leur quartier et leurs commerces de proximité. Si la fréquentation des petits commerces de proximité se pérennise, on tient peut-être une piste pour limiter le trafic automobile et la pollution, et créer plus d’emplois.

Parallèlement, on a observé une explosion du commerce en ligne …

En effet ! Cette tendance constitue une source d’inquiétude pour les emplois dans les commerces physiques non alimentaires. À ce sujet, la fédération CSFV CFTC demande depuis des années une TVA plus élevée pour le commerce en ligne. Car il faut le dire, parfois, dans les boutiques, le salarié fournit le conseil au client, lui montre les produits… et finalement perd la vente, qui se fait en ligne dans des entreprises concurrentes.

D’autres secteurs sont durement touchés. Percevez-vous des situations particulièrement inquiétantes ?

Oui, dans deux secteurs au moins ! D’abord l’hôtellerie-restauration, où nous avons des craintes pour l’emploi. Les salariés sont en chômage partiel depuis le début de la pandémie et pour une durée indéterminée. Il y a de nombreuses TPE fragiles, et malgré de nombreuses  inconnues, on peut affirmer que les salariés des petites structures sans présence syndicale seront les plus impactés. Je suis moins soucieux pour les chaînes de restauration car l’activité redémarre progressivement dans les cantines et restaurants d’entreprises …

Vous avez parlé de deux secteurs …

Nous sommes aussi en alerte dans le secteur du travail temporaire, le premier touché quand l’économie va mal. Dès la première semaine du confinement, l’activité y a chuté de 75% ! Heureusement, les syndicats sont parvenus à un accord avec le ministère du Travail. Les salariés intérimaires bénéficient depuis du chômage technique, au même titre que les salariés des entreprises utilisatrices. 

Êtes-vous de ceux qui demandent plus d’Europe pour anticiper, gérer et amortir de telles crises ?

Je crois beaucoup au renforcement de l’Europe des travailleurs. C’est la clé de notre avenir au travail. Pendant cette crise, dans nos secteurs professionnels, les syndicats européens ont été beaucoup plus actifs que d’habitude. Des fédérations syndicales européennes et internationales(2) ont initié de fréquents partages d’informations pratiques. Je pense que ces échanges vont se poursuivre… En tout cas je l’espère.

Quels impacts aura cet épisode sur votre activité syndicale ?

Beaucoup de questionnements d’aujourd’hui sont soulevés par la CFTC depuis longtemps : c’est le constat de chacun de nos derniers (visio)bureaux confédéraux depuis le début de la crise sanitaire  ! Remettre la personne au cœur du système, mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle, entretenir et créer du lien social… Sur ces questions primordiales pour la CFTC, nous continuerons de faire entendre nos voix et ainsi améliorer la vie des salariés dans tous ses aspects ! Autre constante : notre combat pour de meilleures conditions de travail dont ma fédération n’a de cesse de dénoncer la dégradation. Et de fait, cette crise pointe du doigt le sujet. Un sujet fondamental, pour nous, syndicalistes.

Quel constat dressez-vous sur ce sujet précis ?

Je reconnais que globalement, les employeurs n’ont pas joué avec la santé des salariés. Mais la suppression des CHSCT(3) a démontré que le gouvernement n’avait pas comme préoccupation première la défense de la santé et des conditions de travail des salariés. Nous nous devons donc de rester très vigilants. 

Pour les travailleurs, quel autre enseignement tirez-vous de ces dernières semaines ? 

La révélation du télétravail ! Surtout dans le secteur des services. Ce type d’organisation est apparu rentable et productif…. À condition de rester attentif à son dosage sur le long terme ! Dès lors, pour les salariés volontaires et pour lesquels cela est possible, pourquoi ne pas imaginer la semaine de quatre jours en présentiel et d’un cinquième en télétravail ?

 

Propos recueillis par Stéphanie Baranger

Crédit photo : CC / European Parliament

 

  1. La fédération CFTC Commerce, Services et Forces de Vente (CSFV) compte plus de 30 000 adhérents, regroupe 117 conventions collectives et couvre un grand nombre de secteurs et de métiers : de l’interim au commerce alimentaire et non-alimentaire, en passant par la sécurité privée, l’agroalimentaire, l’hôtellerie-restauration, les assurances… 
  2. L’Effat (European Federation of Food Agriculture and Tourism Trade Unions = Fédération européenne des syndicats de l’alimentation, de l’agriculture et du tourisme), l’UITA (Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes) et l’Uni Global Union (un syndicat mondial représentant les travailleurs des services)
  3. Les Ordonnances Macron du 22 septembre 2017 ont rendu obligatoire la fusion des instances représentatives du personnel en une instance unique, le comité social et économique, à partir du 1er janvier 2020. Précédemment, le CHSCT désignait le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des conditions de travail.

 

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