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Violences, santé, besoins budgétaires : comment préserver la mission des sapeurs-pompiers ?

11 juin 2025 | Conditions de travailFonction publiqueSocial

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De plus en plus souvent victimes de violences, les soldats du feu doivent aussi faire face à de nombreux enjeux de santé, notamment du fait d’une protection jugée insuffisante contre les polluants éternels ou encore du vieillissement progressif de leurs effectifs. Explications avec Michaël Pacanowski, président du syndicat national des sapeurs-pompiers SPASDIS- CFTC.

Michaël, commençons par évoquer la problématique du stress post-traumatique, qui touche aujourd’hui un pompier sur trois. Vous êtes intervenu au journal de 20 heures de TF1 ce 29 mai , pour médiatiser ces traumatismes psychiques. Comment en est-on arrivé à cette situation ?

C’est malheureusement assez simple : les pompiers sont confrontés régulièrement à la mort – du fait d’incendies, d’accidents de la circulation etc… Au bout d’un certain temps, ils n’arrivent parfois plus à composer avec ça. C’est un syndrome que j’ai pu observer chez plusieurs collègues : un jour, on se lève le matin et psychologiquement, il y a un blocage, on ne peut plus aller travailler. On a par ailleurs pu comptabiliser 273 suicides et tentatives de suicides de pompiers ces six dernières années. Précisons, tout de même, que le stress post traumatique n’est qu’une des composantes qui a pu pousser certains agents à de telles extrémités. Les difficultés qui se posent à notre corps de métier – et fragilisent psychiquement les pompiers – sont multiples.

Parmi ces difficultés, on peut citer la hausse des violences dont sont victimes les pompiers, que n’a cessé de dénoncer le SPASDIS-CFTC ces dernières années. Comment expliquer ces nombreuses agressions ?

Difficile à dire. L’impression que nous avons sur le terrain, c’est que la violence est de plus en plus banalisée. On se fait de plus en plus caillasser, insulter, menacer par des armes blanches etc… Ça empire d’année en année. Maintenant – et même si ça ne justifie en aucun cas les violences dont nous sommes la cible –  certaines de nos conditions de travail peuvent accentuer les risques auxquels sont soumis les agents.

Je m’explique : la spécificité du pompier en France, c’est son rôle de couteau suisse de la République : les agents peuvent combattre le feu, faire du secours à la personne, de l’assistance aux personnes âgées, stopper une fuite d’eau etc… En somme, les pompiers font tout ce que les autres ne peuvent pas ou plus faire. A titre d’illustration, le SAMU nous demande régulièrement d’intervenir, parce qu’aucun ambulancier privé n’a pu le faire au-delà d’un certain délai. Quand les sapeurs-pompiers arrivent, les gens sont donc très stressés, parfois énervés et ça peut contraindre les pompiers déployés sur le terrain à évoluer dans un contexte assez délétère.

Que propose le SPASDIS-CFTC, pour que les pompiers soient mieux protégés et accompagnés ?

D’abord, nous demandons l’anonymat du dépôt de plainte. Là encore, je vais prendre un exemple concret : en juillet 2023, un véhicule de pompiers s’est fait asperger d’essence à Mulhouse, les assaillants voulaient y mettre le feu. C’est déjà très grave, mais il se trouve aussi que les noms des six pompiers agressés – dont trois seulement avaient déposé plainte – ont ensuite été cités en comparution. Ils vivent dans le même secteur que leurs agresseurs, ne pas les anonymiser les met clairement en danger…Ensuite, le SPASDIS-CFTC demande l’acquisition et la mise à disposition de gilets pares-lames dans les ambulances, parce qu’il n’est plus possible de laisser les agents intervenir sans aucune protection. Enfin, je tiens à préciser que nous sommes le seul syndicat à avoir déposé plainte contre l’Etat en raison de son inaction à traiter ces violences et protéger les agents. La procédure est actuellement en cours.

Votre autre dossier prioritaire, c’est la santé des agents. Fin mars dernier, conformément à une proposition portée par le SPASDIS- CFTC et les autres partenaires sociaux, le Sénat a voté l’adoption d’une procédure de suivi de la santé des sapeurs-pompiers. En quoi consistera-t-elle ?

L’adoption de cette fiche santé devrait bientôt être aussi votée à l’assemblée nationale. Schématiquement, elle assurera un suivi de tous les pompiers des SDIS (NDLR : les services départementaux d’incendie et de secours), en stipulant le nombre d’heures où ils sont potentiellement au contact de polluants éternels (PFAS), de substances nocives pour la peau et le corps, de fumées et résidus nocifs augmentant les risques de cancer, etc…… S’il se trouve qu’un pompier est atteint d’une affection de longue durée – un cancer par exemple – cette fiche pourra être utilisée par un conseil médical pour attester et donc faciliter la reconnaissance de la maladie professionnelle de l’agent concerné.

Le SPASDIS- CFTC milite par ailleurs pour que les pompiers puissent faire reconnaître davantage de cancers, comme maladie professionnelle.

Oui, notamment parce que la France est très en retard à ce sujet là. A titre de comparaison, au Canada et en Belgique, les pompiers peuvent faire respectivement reconnaitre 18 et 15 types de cancers comme maladie professionnelle…en France, on en est aujourd’hui à 2. J’ai moi-même un cancer de la prostate auquel l’exercice de mon métier n’est sûrement pas étranger. À ce titre, le SPASDIS-CFTC a pu récemment alerter l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), dont l’une des commissions définit les critères de reconnaissance des maladies professionnelles.

Trois nouveaux cancers imputables à l’activité de sapeur-pompier devraient d’ailleurs bientôt être reconnus. C’est un progrès, mais c’est un processus long et complexe. Nous allons, quoi qu’il en soit, continuer de militer pour que davantage de cancers soient indexés et pris en charge. Parallèlement, il nous faut aussi déployer davantage de moyens, pour que les pompiers soient moins susceptibles de contracter ces maladies professionnelles, qui sont parfois très graves.

Comment améliorer la prévention, pour mieux lutter contre ces maladies?

D’abord, en équipant correctement tous les agents. Aujourd’hui, il y a de grandes inégalités de matériel selon les départements : dans certaines zones, les agents bénéficient par exemple de systèmes automatisés nettoyant leurs équipements. Dans d’autres, le nettoyage est fait à la brosse, manuellement. Néanmoins, si on devait faire un constat d’ordre plus général, les SDIS sont globalement confrontés à des carences d’effectifs et de moyens.

De quels manques parle-t-on ici et à quoi sont-ils dus ?

C’est multifactoriel. D’abord, il faut savoir que beaucoup de jeunes arrêtent le service au bout de 2,3 ans. On leur vend l’image du pompier comme soldat du feu mais en réalité, 85% de nos interventions consistent à faire de l’ambulatoire. On en revient aux limites de ce concept de « couteau suisse de la République », que j’avais auparavant évoqué : il crée une forme de perte de sens au travail pour certains agents.

Ce désenchantement, si je puis dire, est également visible chez les pompiers volontaires, dont la durée moyenne d’engagement est descendue autour de 12 ans. C’est préoccupant parce qu’en France, les sapeurs-pompiers volontaires représentent 80% des effectifs de la profession. Un récent rapport de l’inspection générale de l’administration estime notamment qu’un pompier volontaire ne doit pas dépasser 600 heures annuelles de garde (soit 11 heures par semaine). Mais aujourd’hui, certains volontaires peuvent effectuer jusqu’à 1600 heures de garde par an. On tire sur la corde et elle ne sera pas infiniment extensible.

Depuis 2000, le nombre total d’interventions est aussi passé de 3,5 millions à près de 5 millions par an…

Oui, notamment du fait du vieillissement de la population. Ce vieillissement concerne aussi les pompiers. Rappelons au passage que, suite à la dernière réforme des retraites, les pompiers partent désormais à la retraite à 59 ans, au lieu de 57 auparavant. Ça ne risque pas d’améliorer le sort des agents en fin de carrière, dont beaucoup sont malades et atteints de diverses pathologies physiques et psychologiques. A cet égard, le SPASDIS-CFTC propose la mise en œuvre d’un compte épargne retraite adapté aux besoins de la profession, notamment afin de permettre aux agents de partir à la retraite plus tôt.

Maintenant, le SPASDIS-CFTC est aussi conscient des contraintes budgétaires de la puissance publique. C’est pourquoi, avant de demander des hausses de salaires, nous faisons de nos priorités absolues la santé, les conditions de travail et la retraite des pompiers. On parle ici de besoins vitaux, élémentaires, qu’il faut financer pour que des passionnés puissent continuer d’assurer dans des conditions décentes un service public essentiel, qui fonctionne 365 jours par an, 24 heures sur 24. Pour ce faire, les budgets existent. Maintenant, c’est à l’Etat de mobiliser les moyens adéquats.

AC

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