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Maxime Dumont : « La formation n’est pas un but mais un moyen pour arriver à l’emploi »

15 novembre 2021 | Social

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Le site Mon compte formation fête ses deux ans. L’occasion pour la CFTC, en la personne de Maxime Dumont, négociateur de l’ACNI « Avenir professionnel », de faire le bilan du dispositif numérique et revenir sur le compte personnel de formation (CPF).

formation

Pour le gouvernement, l’application et le site « Mon Compte Formation » « ont profondément modifié et facilité l’accès à la formation ». Êtes-vous d’accord avec cette déclaration ? 

Au départ, la CFTC n’avait pas parié sur ces outils numériques pour plusieurs raisons. La première est que l’ANI du 22 février 2018 sur lequel nous avons travaillé mettait la lumière sur un point spécifique du compte personnel de formation (CPF) : la liberté totale pour un individu de disposer d’une somme d’argent sur un compte virtuel, et de le laisser seul face à la formation professionnelle. Or, nous savons que la formation professionnelle ne s’acquiert pas facilement. C’est la raison pour laquelle nous étions dubitatifs lors de la création du site moncompteformation.fr et de l’application. Il faut comprendre que la formation n’est pas un but. Elle est un moyen pour arriver à une seule chose : à l’emploi et à sa pérennisation.

Nous avions estimé que l’absence de médiation représentait un risque important. Pour y palier, nous avions donc demandé à ce qu’on ait l’obligation de passer par un conseiller en évolution professionnel (CEP) gratuit, et qui mettrait les bénéficiaires en garde contre de potentiels écueils. La proposition a été refusée par le gouvernement.

Toutefois, les chiffres actuels prouvent que le dispositif est une réussite. Près de 4,6 millions de dossiers ont été acceptés. Notons également que sur 34 millions de salariés français, près de 18 millions d’entre eux ont ouvert leur compte formation. Ces chiffres sont positifs.

Ils le sont d’autant plus lorsqu’on sait que nos concitoyens sont nombreux à ne pas disposer d’outils numériques, tels qu’un smartphone, un ordinateur ou encore une tablette. En effet, une partie de la population française vit toujours en dessous du seuil de pauvreté et ne se sert pas de ces outils car il faut payer un abonnement, l’appareil, etc. D’autres, enfin, sont confrontés à l’illectronisme.

Pour ceux qui peuvent ouvrir un compte et déposer un dossier, de combien peuvent-ils bénéficier sur leur CPF pour avoir accès à une formation ?

Pour ceux ayant travaillé depuis 2014 et qui, en plus de leur CPF, ont inscrit leur droit individuel à la formation (DIF) [dispositif ancêtre du CPF, Ndlr] nous sommes, actuellement, à 4 600 €. Il s’agit là de la moyenne. Toutefois, une formation ne coûte pas 4 600 €. D’après les chiffres de France compétence, pour une formation qualifiante, certifiante et diplômante, ce qui est le rôle du CPF, il faut compter entre 6 000 € et 15 000 €. Cela veut dire que pour avoir accès à ce type de formation, un paiement, autre que celui seul du salarié, est nécessaire.

Mais attention aux écueils. Si ces nouveaux outils octroient une liberté totale à l’utilisateur, qui peut décider seul de son avenir professionnel et payer directement une formation par carte bancaire depuis son compte, il n’y a plus de temps de questionnement puisqu’il n’y a plus d’intermédiation. Des problèmes peuvent apparaître lorsqu’un bénéficiaire utilise l’argent de son CPF sans avoir réfléchi, au préalable, aux tenants et aux aboutissants de cette nouvelle réalité professionnelle et aux impacts sur son quotidien : les horaires, la distance et autres.

Le site « moncompteformation.fr » et l’application sont de bons outils, mais il nous appartient de prévenir contre d’éventuelles conséquences. Nous devons faire en sorte que les bénéficiaires cheminent allègrement vers la formation pour arriver à leur but professionnel. Or, nous n’avons pas prévu ça.

Nous sommes sur un temps politique, celui de la mandature, et non sur le temps de la formation qui, lui, est celui de toute une vie de travail.

Et qu’en est-il du financement pour les demandeurs d’emploi ?

Le coût moyen d’une formation de courte durée, mais certifiante, est de 1 300 €. Le demandeur d’emploi l’achète à Pôle emploi, qui négocie au préalable des volumes importants de formation. Cela permet à Pôle emploi de proposer aux demandeurs des formations groupées et non individuelles.

Ainsi, il peut arriver qu’un demandeur cherche une formation spécifique, mais que l’établissement ne l’ait pas achetée. Nous avons donc un nombre de volume de formations de Pôle emploi beaucoup moins important que celui des demandeurs. À ce jour, l’établissement a validé 870 000 dossiers, or il existe près de 4 millions de demandeurs d’emploi en France. Encore une fois, le financement fait défaut.

La nouvelle négociation interprofessionnelle relative à la formation a donné lieu à l’ACNI du 15 octobre 2021 calé sur les 49 propositions des partenaires sociaux. Quelle est la part de la participation de la CFTC dans l’élaboration de ces 49 propositions ?

Nous, partenaires sociaux, avons travaillé sur les 49 propositions qui ont été transmises à Madame Borne, ministre du Travail, dans le cadre de l’agenda social autonome que le Premier ministre, Jean Castex, nous avait confié. La ministre les a vu d’un bon œil et nous a demandé de les traduire. La CFTC était l’une des premières organisations syndicales à proposer la création d’un accord national interprofessionnel (ANI). Ce à quoi la ministre a répondu favorablement.

Chose intéressante, la loi impose que nous ayons une feuille de route du ministère pour « cadrer » l’ANI, mais aucune ne nous a été transmise. Politiquement, la ministre redonnait aux partenaires sociaux la possibilité de négocier des dossiers majeurs, tels que la formation professionnelle, sur lesquels elle a reconnu notre légitimité. Aujourd’hui, cette marque de confiance se traduit par un accord cadre national interprofessionnel (ACNI). Sept négociations, « chantiers », seront discutées et feront chacune l’objet d’un ANI spécifique.

Depuis plusieurs années, la CFTC s’est très largement impliquée dans la formation professionnelle. Elle en est même devenue un acteur majeur.

Parmi les sept chantiers sur lesquels les partenaires sociaux travailleront dans le cadre de l’ACNI formation professionnelle, quelle place pour le CPF ?

Il existe bien un chantier dédié au CPF. Nous avons voulu qu’il soit professionnalisant. Qu’est-ce que cela veut dire ? Le CPF donne accès à un droit individuel à se former. Toutefois, nous avons vu émerger la fraude : des propositions de formations non qualifiantes, non certifiantes et non diplômantes pour vampiriser les comptes des bénéficiaires. De plus, il peut arriver que les employeurs soumettent un salarié à une formation en engageant son compte. Nous avons donc voulu que notre accord, notre ACNI, soit porteur d’éléments plus contraignants comme la professionnalisation du CPF.

Le discours de la CFTC est simple. Dans le cas de figure où une entreprise voudrait former des salariés dans le but de répondre à, disons, un appel d’offre mais ne disposerait pas des fonds nécessaires, elle pourrait demander à ses salariés d’engager leur CPF et compléter le reste grâce aux opérateurs de compétences (Opco). Les salariés deviendraient ainsi les partenaires de l’entreprise. Pour la CFTC, il s’agit là d’une co-construction. Mais attention, une contrepartie doit exister ! À la co-construction, il faut également ajouter le co-investissement puisque le salarié devient partenaire de son entreprise.

Qu’est-ce que le co-investissement ? L’entreprise doit s’engager par contrat à rembourser la somme investie par chaque salarié. Il s’agirait d’un remboursement progressif et annuel. Avec cette configuration, toutes les parties sont gagnantes. Notons également que la somme remboursée par l’entreprise serait déductible de ses impôts. Bien sûr, au regard du lien de subordination, les salariés peuvent ne pas vouloir s’engager dans de telles négociations. Il revient donc aux délégués syndicaux d’agir, et pour cela, il faut que ces derniers soient formés à négocier de cette façon.

La tendance à la formation est en hausse, mais certains écueils persistent. Comment aller plus loin pour développer l’appétence à se former ?

Le développement de l’appétence à se former passera par une information de qualité. Des leviers existent, mais nous ne nous en servons pas.

Le premier est l’entreprise. Des conseillers Opco pourraient se déplacer en entreprise pour, d’une part, expliquer aux employeurs les ressources de la formation professionnelle, et de l’autre, informer les salariés ou les instances représentatives du personnel (IRP). Nous devons rendre les salariés acteurs de ces questions puisque le CPF leur appartient. Un autre levier est l’entretien professionnel obligatoire, qui permettrait de parler individuellement du CPF aux salariés, ainsi que du rôle du CEP. Enfin, nous devons aussi former nos délégués syndicaux à parler de la formation professionnelle. C’est un terrain peu investi car difficile, technique, mais nous, organisations syndicales, devons nous en emparer.

Photo : DR

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