Emploi : la maîtrise de la langue, une compétence centrale mais pas unique
6 janvier 2022 | Social
Une récente étude Ipsos révèle que de nombreux employeurs se disent sensibles à la question de la maîtrise de la langue française vis-à-vis des compétences des employés. Quelles conséquences sur l’emploi ? Comment expliquer ces révélations ? La CFTC vous dit tout.
Selon une récente étude Ipsos pour le projet Voltaire sur les attentes des employeurs et la maîtrise de l’expression, 86 % des recruteurs interrogés sur près de 2 500 voient comme fondamentale la maîtrise de l’expression écrite et orale par leurs collaborateurs.
Pourtant, 76 % d’entre eux « se trouvent confrontés quotidiennement aux lacunes de leurs équipes ». La CFTC s’est penchée sur la question.
Non-maîtrise de la langue française : un frein à l’emploi
Pour les recruteurs, « les difficultés à s’exprimer et à argumenter à l’oral, à l’instar des lacunes en orthographe et en expression écrite, sont des freins à l’embauche, lors de l’intégration des nouvelles recrues et pour la promotion des salariés. » L’enquête révèle ainsi que les décideurs jugent qu’une mauvaise maîtrise de la langue française à l’oral et à l’écrit a un impact important sur la crédibilité de l’entreprise vis-à-vis de l’externe (clients, fournisseurs, etc.). Et qui dit crédibilité dit réputation : ils sont 92 % à considérer que les lacunes dégradent la réputation et l’image de l’entreprise.
Selon l’enquête, la qualité d’expression écrite et orale et une bonne orthographe font même désormais partie du top cinq des critères de recrutement devant l’expérience professionnelle requise pour le poste et la bonne adéquation au cursus de formation initiale. La maîtrise du français serait également devenue plus importante que la maîtrise de l’anglais. De quoi cette tendance est-elle le nom ? S’agit-il d’un simple problème de maîtrise technique ? La CFTC s’est d’abord entretenue avec des professeurs pour tenter de comprendre le pourquoi du comment de ces lacunes.
Non-maîtrise de la langue française : ce que disent les enseignants
Hervé Coppier, président du syndicat national de l’enseignement privé laïque CFTC (Snepl-CFTC) et enseignant-chercheur en automatique à l’Institut Polytechnique UniLaSalle Campus d’Amiens (Ex-ESIEE-Amiens), parle d’une dégradation continue de la maîtrise de la langue française. L’enquête 2018 du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), parue en 2019, pointait déjà du doigt les faiblesses du système éducatif français, notamment sur la compréhension de l’écrit.
Le chercheur va même jusqu’à lier le phénomène à l’essor du numérique. Il confie ainsi que bien que l’intelligence humaine soit constante, le numérique aurait enfermé les individus dans « leur bulle ». Une bulle caractérisée par une surexposition à des contenus, en particulier audiovisuels, qui éloigneraient les consommateurs de la pratique effective de la langue. Comme conséquences, Hervé Coppier cite les difficultés de compréhension et d’apprentissage qui en résultent.
Si la maîtrise de l’écrit semble être en perdition, l’oral n’est pas en reste.
C’est le constat que fait Annie Toudic, enseignante de zootechnie en lycée professionnel et présidente du syndicat national de l’enseignement chrétien CFTC (Snec-CFTC). Elle explique, en partie, ces lacunes par l’organisation du système scolaire français : lors de l’apprentissage dans le général, l’oral ne serait pas favorisé, ce qui mettrait en difficulté, par la suite, certains élèves, en particulier issus du professionnel.
Enquête Ipsos et emploi : ce que dit la CFTC
Par-delà l’emploi ou les activités du quotidien, notons que la maîtrise du français, de ses modèles, de ses règles et usages, est et reste primordiale.
Toutefois, si, selon le constat de l’étude Ipsos, les employeurs classent et hiérarchisent les compétences recherchées, des plus prisées aux plus rédhibitoires, la CFTC défend, elle, une vision transversale, horizontale, des compétences.
C’est aussi l’idée défendue par Caroline Rouillé, référente dispositif Clé A de la Fédération Nationale des CIBC. Pour la professionnelle, il est urgent de changer de paradigme. Pour illustrer son propos, elle cite, par exemple, le socle de connaissances et de compétences. Un dispositif qui a pour mérite de mettre en avant des compétences complémentaires, recouvrant l’ensemble des champs nécessaires pour travailler : ce qui est attendu de l’employé, comment déchiffrer son environnement professionnel, mais aussi comment lire et comment comprendre des consignes, etc.
Rappelons, par ailleurs, qu’à défaut de maîtriser la langue, certains professionnels victimes de difficultés d’apprentissage ont développé de fortes stratégies de compensation, notamment cognitives [perception, observation, raisonnement, adaptation], afin d’évoluer dans leur carrière et tout au long de leur vie.
Pour Delphine Pourquery, conseillère en évolution professionnelle, ce changement de paradigme doit aussi s’accompagner d’un renforcement des compétences transversales en fonction et au profit de la trajectoire personnelle et professionnelle des salariés et demandeurs d’emploi. Elle revendique ainsi un accompagnement au cas par cas pour des actifs souvent conscients de leurs lacunes. L’objectif : donner à voir aux employeurs l’ensemble du spectre des compétences de chaque candidat au risque de voir passer la perle rare.