Salariés aidants : des millions d’actifs, à visibiliser et mieux accompagner
6 octobre 2023 | Social
Ce 6 octobre se tient la 14ᵉ édition de la Journée Nationale des Aidants. Un sujet que connait bien la vice-présidente de la CFTC Pascale Coton, qui avait évoqué mi-septembre le profil et les compétences propres aux salariés aidants, lors d’une réunion supervisée par l’Organisme Commun des Institutions de Rente et de Prévoyance (OCIRP). Elle résume ici les enjeux spécifiques à cette catégorie de travailleurs, dont le nombre comme l’apport social et sociétal ne feront que croître, dans les années à venir.
En premier lieu, pourriez-vous nous définir ce qui constitue un salarié aidant ?
Le terme de salarié aidant désigne les travailleurs qui cumulent un emploi salarié avec l’activité que représente l’aide d’un proche. Aujourd’hui, il est essentiel de valoriser et de visibiliser ces salariés, dont l’apport et les besoins sont parfois mal-connus. Il s’agit aussi de mieux faire connaitre les solutions que les entreprises peuvent déployer pour les accompagner.
Comment sensibiliser à l’importance des salariés aidants ?
D’abord, il faut absolument prendre conscience de leur nombre et de leur apport sociétal. Aujourd’hui, en France, près de 4 millions d’actifs accompagnent un ou plusieurs de leurs proches dépendants. Compte tenu du vieillissement de la population, leur nombre ne fera qu’augmenter à l’avenir. Il faut dès aujourd’hui généraliser et approfondir les aides qui leur sont accessibles en entreprise. Les pouvoirs publics, doivent, de leur côté, anticiper les besoins de financement qui seront graduellement nécessaires pour accompagner cette catégorie de travailleurs.
Vous évoquiez à l’instant la nécessité d’approfondir les aides qui sont accessibles aux aidants en entreprise. Comment les syndicats peuvent-ils contribuer au processus ?
D’abord, en défendant des mesures qui améliorent les conditions de travail de tous les aidants, sans exception. L’Accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 sur le télétravail va dans ce sens : il intègre notamment une proposition de la CFTC qui prévoit un régime spécifique pour les aidants en télétravail, en leur accordant un principe de faveur. Par ailleurs, il est important de rappeler que, pour la CFTC, tout travail doit générer des droits en matière de protection sociale. Elle considère que l’aide à la personne prodiguée par ces salariés aidants doit pouvoir être reconnue comme du temps familial travaillé. Cette reconnaissance est d’autant plus essentielle que deux tiers des salariés aidants sont aujourd’hui des femmes, âgées de 50 à 64 ans. Elles arrêtent de travailler plus tôt ou passent en temps partiel, et ne toucheront donc souvent pas une retraite convenable. La CFTC revendique donc que des trimestres gratuits leur soient octroyés, dans le calcul de leur retraite.
D’un point du vue plus ciblé, les syndicats peuvent aussi protéger les aidants au niveau même de l’entreprise, via des accords spécifiques. A titre d’exemple, la CFTC a dernièrement pu signer des accords qui améliorent les conditions de travail des aidants, au sein de grandes firmes comme le groupe Audiens ou le Crédit Agricole. Ils permettent de faire bénéficier les salariés aidants de divers mécanismes : les dons de jour de repos, l’aménagement ponctuel d’horaires, un recours au télétravail élargi etc…
Au sein de l’entreprise, à quelles difficultés et enjeux spécifiques sont justement confrontés les salariés aidants ?
Etre salarié aidant, c’est toute une organisation, que l’entreprise et les pouvoirs publics doivent, chacun dans leur rôle, faciliter au maximum. Les salariés aidants sont aujourd’hui confrontés à un labyrinthe procédural qui sur-complexifie leurs demandes pour des aides financières, des congés ponctuels, pour solliciter le soutien d’aides-soignants etc…65% d’entre eux estiment d’ailleurs ne pas être assez informés sur les droits et démarches pouvant être mis en place pour les accompagner. Ensuite, il faut aussi comprendre que les aidants mobilisent des compétences professionnelles liées aux métiers du soin et de l’accompagnement aux personnes. En un sens, c’est un peu un deuxième métier, où l’on doit savoir déployer des qualités humaines et relationnelles liées à l’empathie, l’écoute, le calme, la patience…C’est aussi pour cela que beaucoup de témoignages d’aidants portent sur le droit au répit. Ce dispositif mobilise des solutions ponctuelles, pour que les salariés aidants puissent se reposer : à cet effet, l’aidé peut être temporairement hébergé dans un établissement spécialisé comme un EPHAD ou une résidence autonomie (un ensemble de logements pour les personnes âgées associés à des services collectifs).
Vous évoquiez à l’instant les qualités mobilisées par les salariés aidants, dans le cadre de l’accompagnement prodigué à leurs proches. Ces compétences peuvent-elles aussi être mobilisées, dans le cadre de l’entreprise ?
Absolument. Les salariés aidants ne sont pas qu’un coût supplémentaire pour l’entreprise, loin de là. Pour la CFTC, il est nécessaire de démontrer aux entreprises que les aidants font l’acquisition d’une mosaïque de compétences sociales et organisationnelles, qu’il faut reconnaitre et valoriser : ils ont notamment un savoir-faire établi en termes de gestion du temps (qu’ils doivent savoir équilibrer entre leur travail, leurs enfants et l‘aidé), de planification, d’intelligence émotionnelle, de sens du relationnel etc…Ces compétences transversales sont une vraie richesse pour l’entreprise.
Aujourd’hui, les salariés aidants doivent-ils faire face à une discrimination à l’embauche ?
Malheureusement, oui : 48% des personnes aidantes cachent leur situation à leur employeur, justement pour ne pas être discriminées. C’est très difficile à entendre. Il faut aussi souligner qu’un grand nombre de personnes aidantes ne savent pas qu’elles le sont. Elles s’occupent de leur mère, de leur grand-mère en parallèle de leur emploi, mais elles ne réalisent pas qu’elles ont droit à des aides de l’état, à la possibilité de demander à partir plus tôt de l’entreprise etc…
Comment changer structurellement la donne alors ?
D’abord, il ne faut pas que l’entreprise attende qu’un de ses salariés devienne aidant pour s’emparer du sujet. Quand elle cosigne avec ses salariés un accord sur la qualité de vie au travail (QVT), elle doit se demander si le document prévoit des mesures concernant les travailleurs aidants. C’est aussi le rôle des syndicats de veiller à l’intégration de ces dispositions à un accord QVT. Ces mesures d’accompagnement sont nombreuses et adaptables au profil de l’entreprise : il peut s’agir d’aménagements d’horaires de travail quotidien, d’organiser des dons de congés entre salariés, de garantir un droit au télétravail…Par ailleurs, les groupes de protection sociale (mutuelles, assurances) disposent aussi de fonds sociaux pour financer des aides qui permettent d’améliorer la prise en charge des aidés. Les entreprises peuvent donc opter pour des couvertures complémentaires santé facilitant l’activité des salariés aidants. Il faut aussi faire prendre conscience aux salariés aidants de leur condition et de leur statut, qui leur confère des droits. Enfin, il faut absolument leur faciliter la possibilité d’accéder à ces mêmes droits : on pourrait par exemple songer à créer un guichet unique pour les aidants, afin qu’ils puissent plus aisément bénéficier de toutes les aides auxquelles ils sont éligibles.
AC