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Remettre l’usure professionnelle au cœur du dialogue social

17 juin 2024 | ÉvènementSocial

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Comment anticiper les évolutions du monde du travail, en 2035 ? C’est la grande question qui a animé les débats des intervenants conviés aux Assises du social (ADS) ce 11 juin. Cet évènement vise à faire échanger des acteurs issus du monde de l’entreprise, des services publics et des syndicats, sur des problématiques liées aux ressources humaines. Parmi les participants, le président de la CFTC Cyril Chabanier, qui a pu prendre part à une table ronde sur l’usure physique et mentale au travail. Un sujet majeur, pour la CFTC : notre organisation milite pour un renforcement des dispositifs et investissements visant à prévenir l’usure professionnelle, aussi bien à l’échelle des entreprises qu’à celle des politiques publiques.

En préambule, les participants de la table ronde ont insisté sur la nécessité de définir la notion d’usure professionnelle. Depuis 2017, celle-ci s’est en effet substituée à celle de la pénibilité, dans le Code du Travail. Cette invisibilisation de la notion de pénibilité n’est pas accessoire. L’usure professionnelle est, en effet, le résultat de la pénibilité au et du travail. Choisir de ne parler que d’usure (en écartant ou minimisant la notion de pénibilité), c’est donc favoriser la mise en œuvre de mesures davantage orientées vers la réparation des dommages subis au travail, plutôt qu’à leur prévention.

Les risques psychosociaux sont un facteur d’usure au travail

S’agissant de la définition de l’usure professionnelle, les partenaires sociaux ont adopté celle de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT). Celle-ci désigne l’usure professionnelle comme un processus durable d’altération de la santé, qui résulte d’une exposition prolongée à des contraintes de travail pouvant être d’ordre physiques, cognitives ou psychiques. Néanmoins, les participants de la table ronde ont signalé que les deux principaux dispositifs visant à prévenir l’usure professionnelle et ses conséquences – à savoir le compte professionnel de prévention (C2P) et le Fonds d’Investissement pour la Prévention de l’Usure professionnelle (FIPU) –  semblent faire une lecture différente du phénomène d’usure au travail.

Ils n’identifient notamment pas comme facteur d’usure professionnelle les risques psychosociaux, qui sont pourtant intégrés à la définition qu’en fait l’ANACT. Ces risques spécifiques ont tendance à être individualisés par le patronat, qui les renvoie à des causes personnelles. Ils sont pourtant bien liés à l’organisation du travail et devraient donc relever de la compétence et de la responsabilité de l’employeur.

Ne pas déresponsabiliser les entreprises

Cette exemption des risques psychosociaux des dispositifs de prévention illustre par ailleurs une tendance montante, dénoncée par les partenaires sociaux lors de ces ADS : celle d’un désengagement progressif des entreprises sur certaines questions d’usure et de santé au travail. A ce titre, la disparition en 2017 des Comités d’Hygiène, de santé et de conditions de travail (CHSCT) en tant qu’instance autonome a minoré l’importance des problématiques d’usure professionnelle, dans le dialogue social. Ces CHSCT étaient en effet spécifiquement dédiés à l’évaluation et la prévention des risques professionnels, quand ces enjeux ne sont aujourd’hui plus indépendamment traités et discutés. En 2022, à peine 7% des accords d’entreprise abordaient ainsi le thème des conditions de travail.

Plus inquiétant encore : le gouvernement paraît accompagner et suivre cette tendance patronale, comme a pu l’illustrer fin mars l’annonce de l’expérimentation de la semaine de 4 jours, dans les Ministères. Cette expérimentation condense le temps de travail – soit 35 heures – en 4 jours au lieu de 5. La CFTC alerte sur les effets néfastes que ce type d’organisation du travail pourrait avoir sur les salariés : plutôt que de réduire la pénibilité au et du travail de ses salariés (pénibilité ici accentuée par une charge de travail quotidienne plus importante), l’employeur pourrait en effet être incité à se contenter de leur donner un jour supplémentaire de repos.

Remettre l’usure professionnelle au cœur du dialogue social

Dès lors, comment réinscrire l’usure professionnelle et la pénibilité au rang des enjeux et problématiques majeurs, au sein des entreprises ? Pour la CFTC, il s’agit d’abord de renforcer les dispositifs protégeant les salariés de l’usure professionnelle. Notamment le compte professionnel de prévention (C2P), qui avait été amputé de 3 des 10 risques professionnels qu’il visait auparavant à prévenir et traiter. La gestion de ces risques (les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les manutentions manuelles de charge) avait été intégrée au sein d’un autre dispositif, le FIPU. Celui-ci n’offre cependant pas aux salariés les mêmes possibilités de reconversion et de formation que le C2P.

La CFTC demande ainsi la réintégration des trois risques concernés au compte professionnel de prévention. Plutôt que d’aller dans le sens d’une déresponsabilisation des entreprises, elle milite également pour un renforcement du dialogue social sur l’usure au travail. En ce sens, il convient de sanctuariser les espaces de dialogue autour des conditions de travail, en instaurant l’obligation de constituer une commission de santé et sécurité au travail (CSST), pour les entreprises d’au moins 50 salariés.

Adapter le travail à l’homme, et pas l’inverse

Enfin, la CFTC considère que la lutte contre l’usure professionnelle doit opérer une transformation structurelle, permettant d’agir davantage dans une logique de prévention que de réparation. A cet égard, elle défend la mise en œuvre, au sein des entreprises, d’une culture de la prévention primaire : celle-ci doit viser à adapter le travail à l’humain, et non l’inverse. Ce ne sont pas les salariés qui devraient s’accommoder de postes de travail toujours plus complexes ou pénibles, mais bien les postes de travail qui devraient être mieux adaptés aux travailleurs, dans l’optique de ne causer que peu -voire pas- de pénibilité. Pour la CFTC, cette logique de retournement n’est pas inaccessible, et peut être favorisée par le progrès technologique : l’IA peut par exemple contribuer à l’automatisation de certains actes pénibles, les exosquelettes faciliter la tâche des travailleurs manipulant des charges lourdes etc…

Ce mieux vivre au travail nécessitera néanmoins des changements et des adaptations. Des investissements conséquents dans la formation et la reconversion des travailleurs seront indispensables, aussi bien à l’échelle des entreprises que des politiques publiques. Ils devraient plus spécifiquement cibler les salariés qui sont les plus exposés à des facteurs d’usure professionnelle, afin de les orienter – à un moment pivot de leur carrière – vers des emplois plus protecteurs de leur santé physique et mentale. L’amélioration de la prévention de l’usure professionnelle doit aussi s’inscrire, de fait, dans une démarche plus globalisante, qui demandera de davantage anticiper et cartographier les parcours d’emploi de tous les salariés.

AC

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