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Pacte de la vie au travail : chronique d’un rendez-vous manqué

25 avril 2024 | Emploi & MobilitéSocial

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Après des mois de négociation visant à réformer structurellement les parcours professionnels des travailleurs, la représentation patronale a communiqué début avril aux syndicats de salariés un projet d’accord sur le sujet. Un document que ne signera pas la CFTC. Pour notre organisation, ce texte ne permet pas d’améliorer l’employabilité des travailleurs tout le long de leur carrière, voire introduit certaines mesures contraires à leurs intérêts.

Le vieillissement de la population et l’accélération des mutations du monde du travail – du fait des évolutions technologiques et de la transition écologique – sont appelés à modifier en profondeur les parcours professionnels des salariés. Pour les aider à intégrer harmonieusement ces changements, les partenaires sociaux travaillaient depuis fin décembre à un « nouveau pacte de la vie au travail », dont les dispositions avaient pour but de répondre à trois objectifs prioritaires :

– anticiper les évolutions des emplois et des compétences, pour mieux accompagner et orienter les salariés, tout le long de leur carrière

-renforcer la prévention de l’usure professionnelle, afin de maintenir l’employabilité des travailleurs et préserver leur santé

-mettre en place des mesures ciblées, pour améliorer le taux et le maintien en emploi des salariés séniors

Après des mois d’échanges entre les centrales syndicales et patronales, la CFTC ne peut néanmoins pas joindre sa signature au projet d’accord proposé par le patronat. Pour notre organisation, les mesures prévues par ce texte sont en effet très en deçà des objectifs et ambitions initialement affichés. Les lignes rouges imposées par certaines organisations d’employeurs – qui n’ont pas voulu prendre d’engagements significatifs en terme de reconversion des carrières – ne pouvaient de facto qu’acter l’échec de ces négociations.

Des besoins en formation et reconversion qui restent sans réponse

En premier lieu, ce projet d’accord ne prévoit aucune mesure engageant plus largement les entreprises, dans le financement de la formation des travailleurs. Toute contribution budgétaire additionnelle de l’employeur à la formation des salariés reste en effet conditionnée à d’éventuels accords d’entreprise ou de branche. En outre, ce texte introduisait une rupture automatique du contrat de travail des salariés, quand ceux-ci sont à l’initiative de leur formation. Celle-ci aurait accentué les risques qui pèsent sur ces travailleurs en voie de reconversion : actuellement, leur contrat de travail est en effet seulement suspendu, ces derniers ayant la possibilité de réintégrer leur entreprise à l’issue de leur apprentissage.

Usure professionnelle : des rappels à la loi ne peuvent pas suffire

Alors qu’il s’agissait également de l’un des versant majeurs de cette négociation, la CFTC estime que ce projet d’accord ne propose pas de mesures ou dispositifs qui permettraient d’accentuer la lutte contre l’usure professionnelle. Le document transmis par le patronat aux syndicats se contente seulement de simples rappels à la loi, en énumérant les outils de prévention en santé au travail que sont déjà tenues de déployer les entreprises. En outre, l’usure professionnelle telle qu’elle est présentée dans ce document n’inclut pas les risques psychologiques et psychosociaux, contrairement à la définition qu’en avaient fait l’ensemble des partenaires sociaux, lors d’un accord national interprofessionnel sur la branche accidents du travail, signé en mai 2023.

Pour que les salariés puissent exercer sans contraintes leur métier tout le long de leur carrière, la CFTC considère pourtant qu’il serait indispensable d’adopter une politique plus ambitieuse de prévention de l’usure professionnelle. Pour notre organisation, mieux prendre en charge les contraintes physiques, cognitives et psychologiques sur le lieu de travail permet aux salariés d’exercer plus efficacement et harmonieusement leur activité. Une prévention adéquate et ciblée de l’usure au travail doit aussi leur permettre d’éviter de subir d’éventuelles lésions à long terme, qui pourraient les désavantager sur le marché de l’emploi et impacter négativement leur santé. A cet égard, l’une des priorités de la CFTC était d’imposer aux branches professionnelles l’obligation de définir une cartographie des métiers à l’usure prononcée. Celle-ci aurait pu permettre de déterminer les parcours de reconversion et les formation adaptés aux profils des salariés concernés, afin de les orienter vers des emplois plus protecteurs de leur santé physique et mentale. Si cette cartographie des métiers est mentionnée par le projet d’accord, elle reste non-contraignante et facultative, pour les branches et entreprises concernées.

Des mesures inopérantes pour les séniors

Pour finir, la troisième et dernière grande ambition de ce « nouveau pacte de la vie au travail » était d’améliorer le taux et le maintien en emploi des séniors. A cet effet, ce projet d’accord proposait la création d’un nouveau contrat de travail ouvert aux demandeurs d’emploi d’au moins 60 ans, auquel notre organisation était fermement opposée. Ce CDI séniors (rebaptisé « contrat de valorisation de l’expérience ») aurait notamment pu exonérer de certaines cotisations les employeurs. Outre la stigmatisation que cette mesure pourrait générer à l’égard des travailleurs expérimentés, la CFTC estime que ce nouveau contrat de travail ne répond pas aux problématiques structurelles de l’emploi des 60 ans et plus : l’enjeu principal n’est ici pas de faire revenir à moindre coup les seniors au chômage sur le marché du travail, mais plutôt de les maintenir en amont en emploi, en les formant davantage, ou en aménageant mieux leur fin de carrière. Pour y parvenir, la CFTC défendait plutôt l’introduction d’un dispositif de temps partiel de fin de carrière. Son objectif ? Permettre à un travailleur sénior de travailler 80 % de son temps de travail, en percevant 90 % de sa rémunération, et en cotisant à 100 % pour sa retraite.

Néanmoins, le projet d’accord ne prévoit, là encore, aucune contribution obligatoire de l’entreprise, afin de participer au financement de cette mesure. A contrario, il mentionne plutôt la possibilité de voir le maintien total ou partiel de la rémunération du sénior financé…par lui-même, via une ponction sur sa future indemnité de départ en retraite. Le temps partiel de fin de carrière, tel qu’il a été proposé par les partenaires sociaux, n’est pas pour autant nécessairement obsolète, Bruno le Maire ayant lui-même proposé la création d’un dispositif analogue fin mars dernier. Il est donc possible que le gouvernement souhaite prochainement légiférer sur le sujet. Enfin, ce texte ne fait pas la moindre mention de la création du compte épargne-temps universel (CETU), un nouveau droit pour lequel militait la CFTC, dans le cadre de ces négociations. Ce dispositif visait à permettre à tous les salariés de transférer une partie des congés payés et des RTT qu’ils n’ont pas sollicités, pour pouvoir les utiliser ultérieurement.

Un projet d’accord trouvé avec l’U2P

Compte tenu de tous ces éléments, la CFTC ne pouvait donc pas signer ce texte d’accord. Après cet échec, l’Union des entreprises de proximité (U2P) – organisation patronale représentant les artisans, commerçants et professions libérales – a cependant pris l’initiative d’engager une nouvelle négociation avec les syndicats de salariés. Deux séances de discussions auront cette fois-ci suffi pour aboutir à deux projets d’accords, signés par notre organisation : l’un porte sur la création d’un CETU, l’autre sur le sujet des reconversions professionnelles. Si ces documents signés avec l’U2P n’ont logiquement pas le même poids qu’un texte paraphé par les huit partenaires sociaux, il n’est pas exclu que leur contenu soit partiellement repris par le gouvernement, par le biais d’un texte de loi. Faute d’accord national interprofessionnel sur ce pacte de la vie au travail, c’est en effet l’Etat qui reprendra la main, sur les sujets de fond de la négociation. 

AC

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