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Ludovic Flacks: « Dans ce litige avec Engie, la CFTC Equans a montré son savoir-faire juridique»

12 février 2024 | Social

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Mi-novembre 2022, l’énergéticien Engie indiquait qu’il allait verser une prime de 1500 € à ses salariés, suite aux très bons résultats de l’entreprise, arrêtés à fin septembre. Une prime qui ne concernait pas les employés d’Equans, une de ses filiales, cédée au groupe Bouygues un mois plus tôt. Une injustice notoire, aux yeux de la section CFTC d’Equans. Après de nombreuses tentatives infructueuses de conciliation avec Engie, elle a entamé une procédure aux prud’hommes début janvier 2024 à l’encontre de la multinationale, afin que celle-ci s’acquitte du bonus qu’elle refuse de verser à ses anciens salariés. Une démarche qu’explique ici dans le détail Ludovic Flacks, coordinateur de la CFTC Equans.

Ludovic, en préambule, pouvez-vous nous resituer l’activité d’Equans, dont Bouygues a finalisé l’acquisition auprès d’Engie, en octobre 2022 ?

Equans était une filiale du groupe Engie – l’énergéticien français né en 2008 de la fusion entre GDF France et Suez. Avec plus de 70.000 salariés dans le monde –dont 27.000 en France – Equans représentait 44% des effectifs mondiaux d’Engie. Schématiquement, au sein d’Engie, GDF Suez produisait l’énergie et Equans était chargée de la dompter, en l’accompagnant des services nécessaires à sa bonne distribution et à son entretien. A cet effet, Equans propose une gamme très variée d’activités : l’entreprise intervient aussi bien dans la maintenance des installations électriques des municipalités que dans la construction de radars militaires, l’électrification des tramways, les systèmes de refroidissement dans la grande distribution etc…

Quel a été votre parcours professionnel et syndical, au sein d’Equans ?

Ça fait 20 ans que je suis dans le groupe Equans. J’ai été longtemps chef de service à l’informatique puis au service achats, mais, à mes 45 ans, j’ai été amené à réfléchir à ce que je voulais faire. Il y avait des réorganisations au sein de l’entreprise, et j’avais besoin de réinsuffler du sens à mon travail. C’est là que la CFTC m’a proposé de me porter candidat aux élections professionnelles. J’ai été élu, j’ai pu intégrer des idées que j’avais déjà mises en place dans mes services via le dialogue social, et j’ai trouvé ça passionnant. De fil en aiguille, je me suis retrouvé adjoint du coordinateur CFTC Engie. Suite à la vente d’Equans à Bouygues, je suis désormais coordinateur de la CFTC Equans au sein du groupe.

Justement, parlez-nous de ce processus de vente. Comment a-t-il été vécu par les salariés d’Equans ?

L’annonce de cette vente, finalement actée en octobre 2022, a beaucoup surpris les salariés : l’ancienne directrice d’Engie avait mis Equans au cœur de sa stratégie. On devait développer des offres vertes, par exemple en construisant des usines de méthane. Pourtant, du jour au lendemain, on nous a expliqué qu’Engie voulait se recentrer sur son métier de base : la production d’énergie. La CFTC avait exprimé son incompréhension à l’époque, mais il a aussi vite fallu intégrer ce changement. Notamment en participant à ce qu’Equans soit rachetée par une entreprise qui a un vrai projet industriel, et pas de simples visées financières.

La CFTC a donc rapidement soutenu le dossier de reprise de Bouygues : ils avaient une vraie vision stratégique pour Equans, qui est devenue la 6e branche métier du groupe, pas une simple sous-section de l’entreprise. Des garanties sociales ont aussi pu être signées entre la direction de Bouygues et les partenaires sociaux : les instances représentatives du personnel ont été maintenues telles quelles, le nouveau propriétaire s’est engagé à embaucher massivement des salariés sur les 5 prochaines années et Il n’y a eu aucune casse sociale, suite à la revente. Une grande réorganisation est mise en œuvre depuis la cession, mais elle se passe globalement bien, en associant notamment les partenaires sociaux.

Venons-en au cœur du sujet : cette prime de 1500 euros qu’Engie, l’ex maison mère d’Equans, se refuse à verser aux salariés de son ancienne filiale. Pourquoi la CFTC estime-t-elle que les salariés d’Equans doivent légitimement toucher cette prime ?

C’est en réalité assez simple. Equans a été vendue à Bouygues le 4 octobre 2022. Le 10 novembre, certains salariés d’Equans – dont je fais partie – ont reçu un mail leur indiquant qu’ils allaient toucher 1500 euros de prime, un bonus accordé suite aux très bons résultats de l’entreprise. Seulement, Engie nous a rapidement expliqué que les salariés d’Equans n’étaient pas concernés par cette prime. Ça nous semblait tout à fait injuste : les salariés d’Equans étaient bien là, au sein d’Engie, les 9 premiers mois de l’année. Ils avaient donc participé aux bons résultats de l‘entreprise, avant qu’Equans ne soit cédée à Bouygues. Une vente sur laquelle les salariés n’ont d’ailleurs pas eu leur mot à dire.

En conséquence, comment a réagi la représentation syndicale, et plus spécifiquement la section CFTC d’Equans ?

Certains partenaires sociaux ont demandé – sans succès- à ce que ce soit Bouygues qui reverse la prime, mais cela nous semblait infondé : c’est Engie qui avait fait le choix de distribuer cette prime, pas le nouveau propriétaire. La CFTC a donc opté pour une démarche différenciée, fidèle à la façon dont elle souhaite mener le dialogue social : d’abord, nous avons écrit à Engie, dans l’optique d’être reçus et de trouver un moyen de revenir sur cette mesure que nous jugions discriminante à l’égard des salariés d’Equans. Engie nous a simplement rétorqué que le message actant le versement de la prime n’aurait pas dû être adressé aux salariés d’Equans. Le fond du problème – l’iniquité de traitement de ses ex salariés qui avaient participé au bon résultats de l’entreprise – restait donc le même. Nous avons donc argumenté sur le plan juridique. Engie a alors essayé de s’en sortir, en nous disant qu’on pouvait identifier ce bonus comme une prime de partage de la valeur, mais ce n’était pas possible : les PPV, c’est une fois par trimestre et nous en avions déjà tous touché une. Nous avons donc continué de leur opposer des arguments légaux, mais à un moment, ils ont simplement arrêté de nous répondre.

Comment avez-vous continué à défendre les intérêts des salariés alors ?

La démarche a été progressive. Nous avons saisi l’inspection du travail, mais elle n’était pas compétente pour examiner notre cas : aucun article de loi du code du travail ne se réfère à notre situation. Celle-ci doit donc faire l’objet de l’appréciation d’un juge. Ensuite, nous avons écrit à la direction générale du travail. On est en attente d’une réponse, depuis un an… à un moment, nous avions un peu tout essayé, pour trouver un terrain d’entente avec Engie. Sans succès. Nous nous sommes dit : « On ne peut pas laisser passer cette injustice ». Nous avons donc choisi de recourir aux services d’un cabinet d’avocats. Il a fallu choisir l’option juridique qui nous semblait la plus adaptée, parce qu’on souhaitait inscrire notre démarche dans un cadre de litige entre salariés et employeur – aux prud’hommes donc – et pas aller au pénal.

Ensuite, on a lancé une communication par mail à partir de mi-juin, pour expliquer le sens de notre action aux salariés d’Equans. L’idée, c’était de proposer à chacun de verser 20 euros pour payer les frais d’avocat. Le tout dans l’optique d’obtenir le versement de la prime de 1500 euros qui, à notre sens, leur est due individuellement.

Justement, comment votre gestion de ce dossier a-t-elle été perçue par les salariés d’Equans ?

Vraiment très bien. 2800 d’entre eux – syndiqués comme non syndiqués – ont participé aux frais d’avocat et seront donc défendus dans la procédure en cours. Nous avons déposé ces 2800 dossiers au greffe du tribunal de Nanterre le 5 janvier. Ça été un énorme boulot administratif, mais ça valait le coup. On est au 21e siècle et je pense qu’il est important de prouver qu’on peut aussi être un syndicat de services. Là, on a de bout en bout attesté de la qualité de l’accompagnement que la CFTC peut offrir aux salariés.

Toutes ces démarches juridiques et administratives n’ont pas été trop difficiles à assimiler et à mettre en œuvre ?

Pas tellement, parce que nous étions justement armés pour y faire face. A partir de 2021, j’ai suivi une formation du CNAM, qui m’a permis d’obtenir un diplôme de juriste en droit social. Nous sommes plusieurs, au sein de la CFTC Equans, à avoir fait cette démarche, qui représente un gros investissement personnel : il faut quand même être sacrément motivé pour enchainer les partiels le soir pendant 3 ans, à parfois plus de 50 ans ! Donc – avant même de leur proposer de payer collectivement les frais d’avocat – nous informions régulièrement par mail les salariés d’Equans de l’évolution de nos démarches relatives à ce dossier. Cela nous a notamment permis de faire connaitre notre expertise juridique, et aussi, de nous démarquer des autres organisations syndicales.

Pour finir, où en est la procédure que vous avez initiée ?

En termes de délai, on suppose qu’il y aura une première audience de conciliation avant l’été. Elle devrait aboutir à une audience, car Engie n’a pas intérêt à opter pour cette solution : ils vont probablement plutôt temporiser, en jouant la carte de la prescription. Evidemment, nous n’avons pas de boule de cristal à la CFTC : nous ne pouvons pas savoir si notre démarche va aboutir. Mais nous pensons que les arguments que nous soulevons sont juridiquement solides et ont de bonnes chances d’être entendus.

AC

Crédit photo : Bernard Gouédard 

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