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Bouger pour travailler ? Oui, mais pas sans toit !

23 juin 2017 | Social

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La mobilité géographique est souvent présentée comme une solution, pour s’assurer un emploi. Mais l’on oublie souvent de mentionner qu’accepter une offre loin de chez soi suppose de trouver un nouveau logement. Une démarche lourde, et qui ne va pas toujours de soi.

Relocation by PhotoGranary

Le logement est une composante essentielle de la mobilité géographique professionnelle

EMPLOI ET LOGEMENT – La mobilité géographique est souvent présentée comme une solution, pour s’assurer un emploi. Mais l’on oublie de mentionner qu’accepter une offre loin de chez soi suppose de trouver un nouveau logement. Une démarche lourde, et qui ne va pas toujours de soi.
Jean-Claude Driant, géographe spécialiste des questions de l’habitat, professeur à l’université Paris-Est Créteil, apporte un éclairage sur la question.

Aujourd’hui, pour quelles raisons déménage-t-on, et où se rend-on ?

La grande majorité des changements de logement se fait à l’intérieur d’un même bassin d’emplois, pour des raisons qui ne sont pas liées à l’emploi mais qui sont d’ordre familial : un enfant de plus, une séparation, etc.

Ce peut être aussi l’aspiration à la propriété ou à la maison individuelle. Le motif professionnel arrive très loin derrière.

En France, 58 % des ménages sont propriétaires. Cela limite-t-il la capacité à déménager pour accepter un emploi dans une région ?

C’est une question qui fait débat. En tout cas, en France, si vous avez un crédit immobilier à rembourser et que vous voulez déménager, vous aurez des coûts de transaction élevés : frais de remboursement anticipé du crédit, droits de mutation, etc.
Donc si on veut favoriser la mobilité, il vaut mieux favoriser la location.

Dans les territoires où les usines ferment, la proportion de propriétaires sans charge de remboursement est plus importante, parce que souvent leur logement appartenait à leurs parents, voire à leurs grands-parents. La propriété est alors une forme d’ancrage dans un territoire. Elle est aussi considérée comme un élément de sécurité. Ceux qui se retrouvent sans emploi se disent « au moins j’ai ça » et ne partent pas.

Et comme de toute façon leur patrimoine ne vaut plus grand-chose, ils sont finalement « scotchés » sur leur territoire. Par conséquent, si on considère que pour avoir une bonne adéquation entre l’offre et la demande en matière d’emploi, il faut que les salariés acceptent d’être plus mobiles, de fait, oui il y a un problème avec la propriété.

On attend beaucoup des salariés qu’ils soient mobiles. Est-ce que les entreprises prennent des initiatives pour favoriser cette mobilité ?

C’est l’entreprise qui est à l’origine du logement social, à la fin du XIXe siècle. L’objectif était alors de fixer le salarié sur le territoire en le rendant propriétaire de son logement. Une filière publique du logement social émerge en 1912 mais aujourd’hui encore, 1 logement social sur 2 appartient à un organisme de droit privé.

Ainsi, si l’Etat et les communes attribuent 50 % des logements sociaux, c’est Action Logement qui prend en charge la moitié restante du parc.
Représentant les entreprises et leurs salariés, Action Logement collecte leur cotisation puis attribue des logements en conséquence. Les salariés déposent une candidature auprès de leur employeur. Le lien entre l’entreprise et le logement social existe donc toujours, mais de façon indirecte.
Et la logique n’est plus, aujourd’hui, de fixer le salarié, mais d’accompagner sa mobilité.

Les prix de l’immobilier ont-ils évolué ?

Entre 1998 et 2008, les prix des logements ont plus que doublé, partout ! Pourquoi ? Ce qui compte, ce n’est pas tant la valeur du bien qu’on achète, que le montant des mensualités à payer. Or sur cette période, les taux d’intérêt ont baissé et la durée des prêts s’est allongée. Les acheteurs ont donc pu avoir des mensualités beaucoup moins élevées. Et cela a permis d’acheter des logements plus chers. Évidemment, les vendeurs le savent…

Quelles sont les conséquences de cette augmentation ?

Comme les prix ont doublé partout, les écarts de prix entre les endroits où le logement est abordable et les endroits où il est très cher se sont considérablement accrus. Si bien qu’aujourd’hui, à salaire égal, on ne vit plus du tout de la même façon à Paris, à Nantes, à Poitiers et à Maubeuge. Ces disparités territoriales extrêmement fortes sont un élément très important de la crise du logement.

Aujourd’hui, avec 300 000 €, on peut acheter 250 m² à Saint-Étienne, et seulement 42 m² dans l’arrondissement le moins cher de Paris. Accéder à des marchés de l’emploi dynamiques a donc un coût important en termes de qualité de vie et de « reste à vivre » (ce qui nous reste quand on a payé notre logement).

Evolution des disparités territoriales : le cas Paris – Maubeuge

Evolution des disparités territoriales dues au prix des logements

 

Propos recueillis par Laurent Barberon
(entretien initialement paru dans La vie à défendre n°194, Mai-juin 2016, p. 20-21)

Crédit illustration : © PhotoGranary / fotolia

Qui est Jean-Claude Driant ?

Professeur des universités à l’École d’Urbanisme de Paris (Université Paris-Est Créteil), il y enseigne la socio-économie de l’habitat, les politiques locales de l’habitat, et le fonctionnement des marchés fonciers et immobiliers.

Il est membre de l’unité de recherche Lab’Urba, au sein de laquelle chercheurs en sciences humaines et sociales, et en sciences de l’ingénieur, travaillent ensemble sur les espaces urbains. Ses recherches portent principalement sur les articulations entre le fonctionnement des marchés locaux du logement et la mise en œuvre des politiques territoriales impliquant l’habitat.

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