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“Les communs répondent à un problème pratique”, Bernard Ibal

21 avril 2021 | Social

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Bernard Ibal, agrégé et docteur en philosophie, et ancien vice-président de la confédération, nous présente la notion de “biens communs”, ces ressources gérées par les usagers, sans la médiation d’une propriété privée ou publique. Pourquoi en entend-on parler ? A quoi peuvent-ils servir ?

Que sont les biens communs, au pluriel ?

Les biens communs sont des ressources qui n’appartiennent ni à la puissance publique, que ce soit l’Etat ou une collectivité territoriale, ni à un propriétaire de droit privé, que ce soit une entreprise ou un particulier. Ces ressources sont gérées et entretenues par ceux qui en font usage, et qui de ce point de vue forment une communauté. Ce n’est pas là une chose nouvelle. Depuis toujours l’enseignement social chrétien défend la nécessité du bien commun, dont différentes déclinaisons existent de fait : l’atmosphère est un bien commun, du moins jusqu’à preuve du contraire, les océans, au-delà des eaux territoriales, sont un bien commun.

Aujourd’hui le droit les ignore, et ne leur confère pas un statut spécifique mais cela n’a pas toujours été le cas. Le droit romain, par exemple, prévoyait le terme de “nullius” pour désigner un bien commun : le bien commun était un “nullius” au sens où nul n’en était le propriétaire. Au Moyen-Âge, certains pâturages, par exemple, étaient traités comme des communs : chacun pouvait y faire paître ses animaux librement. Puis, avec le développement économique, ces communs sont passés, pour la plupart, dans le domaine de la propriété privée, ou publique, de gré ou de force.

Pourquoi parle-t-on des communs aujourd’hui ?

Les communs font parler d’eux pour au moins deux raisons. Avec le web, et ses possibilités démultipliées de partage – ce que l’on appelle le peer-to-peer, sont apparus de nouveaux communs : Wikipédia en est un excellent exemple. Wikipédia n’appartient à personne, et ce sont ses usagers qui l’entretiennent, en y contribuant et en le mettant à jour. Par ailleurs, avec les problèmes écologiques que l’on sait, des communs comme l’air ou l’eau sont devenus des thèmes de préoccupation majeurs. Et l’on s’inquiète, à raison il me semble, du vide juridique dans lequel ils se trouvent !

Des économistes célèbres, aujourd’hui, reprennent ce concept ancien, à partir, donc, du droit romain, qui distinguait trois dimensions de la propriété : l’usus, qui est le droit d’usage, le fructus, qui est le droit de tirer profit de sa propriété, et l’abusus, qui est le droit de la détruire. Dans la perspective des communs, l’on ne retient que l’usus, c’est-à-dire, donc le droit d’usage. Une prix Nobel d’économie, Elinor Ostrom, l’a mis en pratique, sur le terrain, afin de résoudre les difficultés liées à l’exploitation d’une nappe phréatique, dans le sud de la Californie. L’exploitation privée ne fonctionnait pas, car elle engendrait des tarifs prohibitifs. L’exploitation publique ne fonctionnait pas mieux, en raison de complexités administratives. La transformation en commun de la nappe phréatique a permis d’assurer l’entretien de la nappe et son exploitation par les paysans. Vous voyez qu’on n’est pas que dans la théorie, là. C’est un concept pratique. L’économiste et jésuite français Gaël Giraud met également les communs à l’honneur, dans une perspective écologique, notamment.

C’est donc à la fois un sujet de débat parmi les chercheurs, et une perspective pratique concrète. Qu’en est-il des tutelles politiques ?

On ne parle pas des communs tous les jours dans les journaux, c’est certain. Mais l’idée fait son chemin. La sénatrice de la Charente, Nicole Bonnefoy, a fait des propositions, en décembre 2017, pour que la loi française intègre la notion de “communs”. Proposition restée sans suite à ce jour, mais tout de même. Le président de la République, en mai 2020, a proposé que le vaccin contre la Covid-19 puisse devenir un “bien public mondial”. Il suivait en cela la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen. Ce sont là des femmes et hommes politiques établis, ce ne sont pas des utopistes.

Alors, certes, comme on l’a dit, un bien commun n’est pas une propriété de la puissance publique, mais en pratique un commun peut prendre un visage plus complexe : si différents États font usage de ce bien, c’est un commun, même si des puissances publiques sont à la manœuvre. Notez que les vaccins sont depuis plusieurs années au cœur de ce débat. Kofi Annan, secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies de 1997 à 2006, avait plaidé la cause des vaccins comme biens communs. Médecins sans frontières et l’Institut Pasteur œuvrent également en ce sens.

Cette perspective ne risque-t-elle pas de décourager l’investissement dans la recherche et développement par des acteurs privés ?

Oui, c’est l’argument récurrent contre l’avènement de communs de la santé. Mais des astuces existent. Il est possible, par exemple, de différer l’entrée du vaccin dans les communs, ou de laisser le laboratoire exploiter en exclusivité la molécule dans tout autre médicament que le vaccin. Des solutions intermédiaires comme celles-ci existent. Et puis, il faut savoir que les communs n’excluent pas la reconnaissance de contributions exceptionnelles, pouvant donner lieu à des rétributions.

Il ne s’agit pas non plus de tout transformer en communs. Si l’on ne veut pas tomber dans un nouveau totalitarisme, il ne faut pas penser les communs comme devant remplacer la propriété privée et la propriété publique. Tout simplement, dans certains cas, pour des raisons relevant de la justice sociale, ou plus prosaïquement parce que c’est plus efficace, les communs s’imposent. Ils répondent à un vide juridique qui devient gênant.

Crédit photographique : Pexels

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