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Léonard Guillemot : « Il faut changer de paradigme, en mettant la prévention au cœur du parcours de santé »

21 mars 2024 | SantéSocial

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Confrontée à une hausse structurelle des besoins en santé, l’assurance maladie fait face à la nécessité de repenser son fonctionnement, notamment via le développement d’une offre ambitieuse de soins préventifs et plus seulement curatifs. Léonard Guillemot, chef de file sur les questions assurance maladie et représentant CFTC au Haut Conseil pour le financement de la protection sociale, détaille ici les propositions et axes d’amélioration portés par la Confédération, en vue d’assurer une couverture santé efficiente et accessible à tous.

Léonard, selon un sondage de l’institut Ipsos publié en octobre dernier, la santé est le second sujet de préoccupation des français, juste derrière le pouvoir d’achat. Dès lors, que penser de l’état du parcours de santé des patients aujourd’hui ?

Au commencement de ce parcours de santé, il y a d’abord la question de l’accès aux soins qui se pose et sur laquelle il me semble important d’insister. L’assurance maladie doit veiller à ce que cet accès reste le plus équitable et universel possible. A ce titre, la CFTC s’est par exemple récemment prononcée – au sein du conseil de la CNAM – contre le doublement des franchises médicales, qui devrait être effectif fin mars. Ces franchises correspondent à un montant fixe payé par le patient, quels que soient ses remboursements. Jusqu’ici, elles s’élevaient, par exemple, à 50 centimes par boîte de médicament et par acte paramédical ou à deux euros par transport sanitaire. Ces participations forfaitaires seront doublées, à la charge du patient.

Certains assurés sociaux – plus fragiles financièrement ou médicalement – sont cependant remboursés à 100% par l’assurance maladie, dans la limite d’un plafond de 50 euros. C’est notamment le cas des malades qui sont atteints de certaines affections de longue durée (ALD) ou de ceux qui bénéficient de la complémentaire santé solidaire (C2S), une aide aux dépenses de santé destinée aux personnes dont les revenus sont modestes. Or, si l’on double le montant des franchises médicales, ces personnes vont atteindre plus rapidement ce plafond de 50 euros qui, ensuite, les exposera à assurer une partie plus importante de leurs frais médicaux. Cette frange de la population a par ailleurs des difficultés à disposer d’une mutuelle. On peut donc légitimement se demander si, à terme, cette population fragilisée et peu accompagnée ne va pas renoncer à certains soins.

Quels dispositifs et mesures pourraient, à contrario, préserver l’accès aux soins de tous les assurés sociaux ?

On peut agir sur plusieurs variables et dispositifs. L’un des grands sujets du moment, c’est par exemple la convention médicale, que la CNAM négocie actuellement avec les partenaires sociaux représentant les médecins. Elle devrait revaloriser de 26,5 à 30 euros la consultation des généralistes. La CFTC y est favorable, car nous sommes confrontés à une carence importante de médecins traitants dans tout le pays. Il est donc essentiel de renforcer l’attractivité de ces métiers. Ces frais d’augmentation seront par ailleurs pris en charge par l’Assurance maladie. En contrepartie, celle-ci attendra des médecins la mise en œuvre de mesures effectives et suivies de prévention en santé : elle vérifiera par exemple si le parcours vaccinal des patients est bien à jour. C’est fondamental, parce qu’améliorer la prévention en santé des soins primaires évite ensuite le déploiement de soins curatifs, qui sont éminemment plus coûteux.

Parallèlement, il faut aussi limiter les dépassements d’honoraires des médecins, une pratique qui consiste à appliquer des prix supérieurs aux tarifs conventionnés. Le montant de ces dépassements est souvent fonction du lieu de résidence des patients, les honoraires pratiqués pour une consultation pouvant être significativement plus élevés d’un département à l’autre. A titre d’exemple, selon une étude publiée fin février par l’UFC-Que Choisir, le tarif moyen d’une consultation chez le gynécologue s’élèverait à 50,6 € nationalement, mais atteindrait 80,5€ à Paris (contre un tarif opposable de 30 €). Ici, la responsabilité est double : elle peut être imputée aux professionnels de santé, mais aussi aux régulateurs. Quand on laisse le dépassement d’honoraires se banaliser, de plus en plus de médecins sont tentés de le pratiquer et il y a une harmonisation des prix par le haut qui s’opère. On peut évidemment comprendre que des dépassements d’honoraires soient acceptés sur certains territoires, ou appliqués par des professionnels de santé ayant une spécialité ou une compétence précise. Néanmoins, l’assurance maladie doit mieux cadrer leur utilisation, afin que les tarifs conventionnés soient plus rigoureusement utilisés.

Au-delà des tarifs de santé, la volumétrie de l’offre de soins ne pose-t-elle pas aussi problème ?

Il est clair que la démographie médicale n’est pas bonne : même dans une ville comme Paris, 50% des médecins ont aujourd’hui plus de 62 ans. Dans les années à venir, ce sera encore plus compliqué de consulter un médecin généraliste, du moins si on ne réagit pas. D’abord, il faut mentionner qu’il y a eu un déblocage du numerus clausus décidé du temps de la présidence de François Hollande, qui donnera ses fruits dans 4,5 ans. Ensuite, pour que l’offre médicale ne se concentre pas dans les grandes villes, il faut absolument mettre en place un dispositif d’accompagnement des professionnels de santé sur les territoires qui ont besoin de médecins et d’auxiliaires paramédicaux. Pour alléger la charge des médecins, la CFTC est par ailleurs très favorable à ce que certaines professions médicales – à l’image des infirmiers en pratique avancée –  soient davantage formées pour prendre en charge des patients dont la pathologie est déjà identifiée. En somme, la gestion du soin courant pourrait davantage être prise en charge par d’autres types de professionnels de santé, afin d’optimiser la compétence médicale sur le diagnostic. Dans un même ordre d’idées, on pourrait faciliter l’embauche d’assistants médicaux, qui doivent pouvoir faire gagner du temps aux médecins en exerçant des activités annexes (examens légers, paperasserie) : en Allemagne, où les médecins ont 1 à 2 assistants médicaux en moyenne, les praticiens reçoivent 1 patient toutes les 8 minutes, contre 1 toutes les 16 minutes environ en France.

Quels enjeux majeurs se posent aujourd’hui à notre système de protection sociale ?

J’en identifierais trois, qui sont liés, à divers degrés : l’augmentation des maladies chroniques, la prévention sanitaire et enfin la santé mentale. S’agissant des maladies chroniques, elles qualifient les pathologies avec lesquelles on va vivre plusieurs années (diabète, asthme, maux de dos, insuffisances cardiaques, certains types de cancers etc…). Les maladies chroniques vont aller en augmentant, puisqu’elles vont de pair avec le vieillissement de la population. Il s’agira donc de les détecter le plus tôt possible, afin de les prendre en charge en amont et de limiter leur nocivité. La question est, comment ?

C’est là qu’émerge la centralité de notre second enjeu majeur, la prévention, qui ne représente aujourd’hui que 5% des dépenses de santé. C’est bien trop peu : la CFTC pense qu’il s’agit d’opérer un changement de paradigme, pour faire de la prévention une branche stratégique du parcours de santé, afin de diminuer drastiquement l’impact des maladies chroniques. J’avais mentionné plus tôt la volonté de l’Assurance Maladie de favoriser les pratiques de prévention en santé dans la médecine généraliste, mais cette démarche doit en réalité se globaliser à l’ensemble des acteurs du système de santé. Notamment aux mutuelles, dont les paniers de soins devront davantage être consacrés à des prises en charges préventives : on peut penser, à titre d’exemple, à une augmentation des montants remboursés pour des consultations chez un ostéopathe, afin de traiter rapidement les problèmes chroniques du dos. Pour la CFTC, la prévention en santé doit aussi davantage être prise en charge par les employeurs : le travail peut notamment engendrer des risques psychosociaux ou musculo-squelettiques. Pour ce faire, certains allègements de cotisations pourraient par exemple être conditionnés à la mise en œuvre d’objectifs adaptés de prévention en santé (organisation du travail favorable à l’épanouissement des salariés, cantine d’entreprise qui propose une alimentation saine et équilibrée etc…)

Enfin, si les maladies psychiatriques représentent le premier poste de dépenses de l’assurance maladie (23 milliards d’euros), leur prise en charge est, pour la CFTC, bien trop médicamentée. On rembourse principalement des antidépresseurs, des antis anxiolytiques, des somnifères, quand les soins de psychiatrie interviennent généralement très tard, souvent après une tentative de suicide. Il faudrait réfléchir à développer une offre de premiers secours en santé mentale, dont les soins primaires se concentreraient sur les troubles légers et modérés, notamment afin que ceux-ci ne s’aggravent pas. Les mutuelles pourraient aussi augmenter leur champ d’action dans le domaine, en remboursant davantage les consultations chez le psychologue.

Le gouvernement prévoit des dépenses d’assurance maladie en hausse de 3,2 % en 2024. Comment veiller à l’équilibre financier du système de santé, tout en améliorant l’efficacité de la prise en charge des assurés sociaux ?

L’assurance maladie va en effet être déficitaire de 7 à 10 milliards par an, sur les 4 prochaines années. Pour y remédier, on pourrait notamment réinterroger le montant de certaines recettes par rapport aux dépenses. Les entreprises bénéficient de 90 milliards d’euros d’allègement de cotisations: nous pourrions évaluer ces exonérations, déterminer celles qui sont réellement efficaces dans l’optique de lutter contre le chômage, et supprimer les autres. Ou encore – comme je l’ai évoqué auparavant – permettre seulement aux entreprises qui sont exemplaires en matière de prévention de bénéficier de certaines baisses de cotisations. Soulignons, enfin, que cette prévention en santé dépasse le simple cadre de l’assurance maladie : mieux protéger contre la violence intra familiale, le harcèlement scolaire, le mal logement ou encore les risques sanitaires environnementaux – comme la pollution de particules fines – c’est aussi prévenir et réduire par anticipation l’apparition de multiples risques physiques et psychiatriques, qui peuvent toucher tout un chacun.

AC

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