Suivez-nous

Comptes de la Sécurité sociale : le déficit n’est pas une fatalité, l’austérité non plus

10 juin 2024 | SantéSocial

  • Partage

Fin mai, la CFTC a été auditionnée par la Commission des comptes de la Sécurité sociale. Cette instance, chargée d’analyser les comptes du régime, vient de clore le calcul du déficit de la Sécurité sociale pour l’année 2023, estimé à 10.8 milliards d’euros. Une trajectoire financière préoccupante, mais que la CFTC n’estime pas rédhibitoire. Notamment si l’Etat accepte de conditionnaliser les 90 milliards d’euros d’allègements de cotisations qu’il accorde annuellement aux entreprises, pour soutenir l’emploi. Décryptage avec Léonard Guillemot, représentant CFTC au Haut Conseil pour le financement de la protection sociale.

Léonard, ce 30 mai, vous avez présenté à la Commission des comptes de la Sécurité sociale l’analyse que fait la CFTC des chiffres du régime, pour l’année 2023. Pouvez-vous d’abord nous resituer le rôle et la mission de cette instance ?

Bien sûr. La commission des comptes analyse les recettes et dépenses de la Sécurité sociale. Cela lui permet d’étudier les résultats de l’année écoulée, et de se projeter sur le prochain budget annuel du régime, qui commencera à être débattu à l’automne prochain par les parlementaires. A cet égard, elle réunit toutes les parties prenantes de la Sécurité sociale, notamment des représentants de la nation (députés et sénateurs) mais aussi des représentants syndicaux. S’agissant des données présentées fin mai par la Commission, celle-ci a revu à la hausse le déficit de la Sécurité Sociale, calculé pour 2023 : estimé initialement à 8,7 milliards d’euros, il est désormais chiffré à 10,8 milliards d’euros. Le déficit anticipé pour l’année 2024 a lui aussi été rehaussé, de 10.5 à 16.6 milliards d’euros.

Cette trajectoire budgétaire est-elle préoccupante ?

Oui, même si ce déficit n’est pas insurmontable. Pour l’Etat, les comptes du régime ne peuvent pas rester dans le rouge. Rien n’est arrêté à ce stade, mais le gouvernement semble plus enclin à réduire les dépenses de la Sécurité sociale, qu’à augmenter ses recettes. A la CFTC, nous pensons effectivement qu’un redressement des comptes est indispensable. Pour résorber le déficit, nous estimons néanmoins qu’il est nécessaire de renforcer significativement les recettes qui alimentent les comptes sociaux, plutôt que de restreindre les prestations et services qu’ils permettent de financer, au profit des assurés sociaux.

Pourquoi les recettes de la Sécurité sociale sont-elles insuffisantes ?

C’est multifactoriel, mais on peut mentionner deux déterminants majeurs :

D’abord, il faut absolument souligner que l’Etat a opéré depuis plusieurs années une forme de captation des recettes de la Sécurité sociale, par un jeu de tuyauterie budgétaire. En somme, il s’est déchargé de certaines dépenses, en les transférant aux différentes branches de la Sécurité sociale (retraite, maladie…) et à son environnement budgétaire. A titre d’exemple, la Sécurité sociale doit aujourd’hui assurer la majorité des mesures du SEGUR de la santé, comme la revalorisation des salaires des infirmiers et médecins des hôpitaux. Si cette revalorisation est légitime, elle devrait pourtant relever des comptes de la fonction publique hospitalière, pas de ceux du régime. Idem pour la charge de la dette hospitalière, qui représentait 13 milliards d’euros fin 2019. Celle-ci a été transférée en 2020 à la CADES, un organisme théoriquement voué à éponger les dettes de la Sécurité sociale, et non pas à rembourser d’autres postes de dépenses.

Les exonérations de cotisations représentent 18 milliards d’euros par an de manque à gagner pour la sécurité sociale

Le second élément crucial, c’est la question des recettes, comme je l’ai préalablement évoqué. Pour la CFTC, il faut en particulier interroger les allègements de cotisations qui sont octroyés sans contrepartie aux entreprises et ont représenté environ 90 milliards d’euros en 2023.

Quelles formes peuvent prendre ces allègements de cotisations ?

Elles sont plurielles. Les employeurs bénéficient par exemple d’une réduction générale sur les cotisations patronales pour les salaires ne dépassant pas 1,6 Smic. Ces exonérations sont néanmoins compensées, afin qu’elles ne privent pas la Sécurité sociale d’une part trop importante de ressources : autrement dit, l’Etat rembourse au régime un montant équivalent à celui des exonérations accordées sur ces catégories de salaires. Cependant, d’autres exonérations sont dites « non compensées » : l’État ne prend pas à sa charge les pertes de cotisations, et donc de recettes, qu’elles induisent pour la Sécurité sociale. C’est notamment le cas des dispositifs d’épargne salariale, comme la participation et l’intéressement, qui sont exemptés de cotisations.

Globalement, les mesures destinées à soutenir l’emploi et à réduire le coût du travail pour les entreprises représentent 18 milliards d’euros par an de manque à gagner pour la Sécurité sociale, selon la Cour des comptes. C’est évidemment un montant très important.

Faudrait-il supprimer ces allègements de cotisations ?

Ces allégements de cotisations ont été théoriquement mis en œuvre pour encourager les entreprises à créer des emplois, mais leur caractère systématique peut légitimement être remis en cause. La CFTC veut notamment qu’on réinterroge ces dispositifs en leur induisant des contreparties. Il nous semble par exemple anormal que tous les secteurs d’activité soient logés à la même enseigne : certains champs de l’économie sont très rentables, quasi monopolistiques. Pourquoi auraient-ils droit aux mêmes allègements de cotisations que des entreprises dont les secteurs d’activité subissent une tension importante et une concurrence exacerbée ? Il faudrait donc seulement cibler les entreprises qui ont réellement besoin d’aide pour embaucher et maintenir en emploi leurs salariés.

On peut trouver des modes de financement justes et pérennes, pour assurer au régime des ressources suffisantes

Par ailleurs, on sait aussi que certaines industries et métiers induisent des conséquences directes sur les maladies que pourront contracter les travailleurs. Aujourd’hui, les salariés officiant dans des secteurs d’activité pathogènes ou accidentogènes seront largement plus susceptibles de devoir être pris en charge par l’assurance maladie dans le futur. Un système pour lequel leur employeur n’aura paradoxalement que peu – ou pas assez – cotisé. La CFTC propose donc que ces allègements de cotisations accordés aux entreprises soient soumis à certaines conditions : seules celles qui mettraient en place des plans d’action pour maîtriser l’impact sanitaire que leur activité peut avoir sur leurs salariés, pourraient en bénéficier. On ne peut en effet pas continuer d’exonérer des employeurs qui abîment les travailleurs, ou qui ne mettent pas en place des mesures de prévention. Enfin, nous pourrions également conditionner ces exonérations de cotisations au respect d’engagements et objectifs environnementaux prédéfinis.

Au début de cet entretien, vous expliquiez que l’Etat voulait prioritairement réduire les dépenses du régime, plutôt que d’augmenter ses recettes. L’austérité budgétaire ne semble pourtant pas être une fatalité, non ?

Absolument pas ! Comme nous l’avons vu, on peut trouver des modes de financement justes et pérennes, pour assurer au régime des ressources suffisantes. Par ailleurs, la CFTC s’oppose aux politiques d’austérité car elles sont très loin de répondre à l’ampleur des défis à venir : il faudra bien redynamiser notre natalité, qui chute non pas parce que les gens ne veulent plus d’enfants, mais bien parce que les parents manquent de solutions de garde. A cet effet, il faudra notamment réinvestir dans une politique familiale ambitieuse. L’autre enjeu majeur, c’est celui du vieillissement de la population et de la dépendance : à l’horizon 2050, ce sont 50 milliards d’euros par an qu’il faudra dégager, pour créer de places en EHPAD et rémunérer des médecins et des aides-soignants pour s’occuper des personnes âgées.

Pour finir, je pense qu’il est fondamental de rappeler une chose : la Sécurité sociale a été créé à la sortie de la seconde guerre mondiale, quand les comptes publics étaient au plus bas. Pourtant, le dispositif a fonctionné. Ça démontre bien que nous savons faire, que nous pouvons trouver des solutions, afin de financer la protection sociale collective dont les citoyens ont besoin.

AC

Remerciements à Benoit Bost, du SNADEOS CFTC, pour son expertise

 

Actualités, ressources, ne manquez rien abonnez-vous à notre newsletter

Actualités, ressources, ne manquez rien…

Abonnez-vous à la newsletter !