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Arrêt temporaire de l’usine Stellantis de Poissy : « Il y a des inquiétudes, mais des alternatives existent »

3 octobre 2025 | Emploi & MobilitéSocial

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Le 24 septembre, le quotidien les Echos avait révélé que le groupe Stellantis (qui détient notamment Peugeot, Fiat ou encore Chrysler) allait mettre à l’arrêt pendant trois semaines son usine de Poissy, qui emploie près de 2000 salariés. Une semaine plus tard, on apprenait que les usines de Sochaux et Mulhouse du groupe se verraient appliquer une décision similaire. Une cessation temporaire d’activité qui interroge, alors même que le marché des véhicules électriques patine, notamment du fait des choix politiques et des revirements réglementaires opérés par l’Union européenne. Décryptage avec Frédéric Lemayitch, délégué syndical central CFTC Stellantis, qui officie sur le site de Poissy depuis 1992.

Fréderic, la semaine dernière, Stellantis a annoncé mettre temporairement à l’arrêt son usine de Poissy, pendant une bonne partie du mois d’octobre. Avez-vous été pris de court par cette décision ?

Pour être honnête, ça nous a moyennement surpris. On voyait bien qu’on était en train de baisser en cadence, qu’il y avait une réduction des commandes de véhicules…D’ailleurs, nous savions déjà qu’environ une semaine d’arrêt était prévue en octobre : c’est de facto devenu assez courant d’avoir de courtes périodes de chômage technique dans l’automobile… Maintenant, ce qui est inhabituel ici, c’est la durée de l’arrêt : trois semaines, ça fait quand même beaucoup.

Les salariés du site de Poissy sont-ils inquiets ?

Il n’y a pas d’inquiétude profonde vis-à-vis de cette période chômée. Notamment parce que nous avons des accords, dont la CFTC est signataire, qui protègent bien les salariés. Le dispositif d’APLD rebond nous permet par exemple un maintien de 84% du salaire net, en cas de cessation temporaire d’activité. Néanmoins, personne n’est dupe: on a un cycle de production qui plafonne à 80.000 voitures par an aujourd’hui à Poissy, contre 250 000 il y a quelques années. La transition énergétique avec le passage à l’électrique sont encore loin d’avoir redynamisé le marché français et européen de l’automobile.

Pourquoi cette transition vers l’électrique n’a pas eu le succès escompté ?

C’est multifactoriel. D’abord, le marché de l’électrique n’est pas encore mature : de nombreux consommateurs ne sont pas prêts à franchir le pas. Force est de constater que, dans les faits, la disponibilité des bornes de recharge, le prix élevé des véhicules électriques, n’incitent pas le consommateur à se tourner vers un nouveau modèle de mobilité.  Ensuite, certaines des décisions stratégiques de Stellantis ne se sont pas révélées payantes.

L’ancien PDG, Carlos Tavares, avait en effet misé sur le tout électrique via un plan de développement, Dare Forward 2030. C’est un pari qui aurait pu être gagnant : l’Union européenne avait en effet fixé des contraintes strictes concernant le CO2, l’idée étant d’électrifier massivement et rapidement notre gamme de véhicules. Cela devait notamment permettre au groupe de ne pas payer les amendes – très importantes- qui avaient été fixées par l’UE pour les constructeurs qui dépassaient les normes d’émission fixées.

Qu’est ce qui a perturbé la bonne exécution de ce plan ?

Le monde a changé, tout simplement : Trump a été élu, les USA faisant désormais peu de cas des émissions de CO2. Même l’UE a décidé de réviser les sanctions applicables aux constructeurs qui ne sont pas en phase avec les objectifs de réduction des émissions de leurs véhicules. Un soulagement pour de nombreux groupes… Certainement moins pour Stellantis, qui avait prévu d’arrêter la commercialisation de ses véhicules thermiques dès 2030: l’entreprise a donc dû revoir une partie de sa stratégie, notamment en réinvestissant plus amplement sur le thermique.

Revenons en à la baisse continue de la production de véhicules de l’usine de Poissy, que vous évoquiez précédemment. Comment se projeter sur le devenir du site?

Pour que le site ait son avenir en main, il faut qu’il arrive à diversifier ses activités, pour ne pas être seulement dépendant de la fabrication automobile. A cet égard, la CFTC et les partenaires sociaux participent avec la direction à des groupes de travail, afin de garantir sous 2-3 ans le déploiement d’une diversité d’activités complémentaires. Plusieurs solutions ont été évoquées en CSE et sont à l’étude : des projets sur l’économie circulaire, une accentuation de la montée en gamme via la production de trappes d’emboutissage, l’élaboration d’un pôle logistique complémentaire à l’activité actuellement réalisé à Vesoul … J’ajoute que développer ces activités connexes pourrait aussi permettre d’améliorer les conditions de travail des salariés, en réduisant la pénibilité des taches qui leur sont demandées.

C’est-à-dire ? 

Selon nos chiffres, près de la moitié des salariés de Poissy aura plus de 58 ans en 2028. Beaucoup travaillent à la chaine, ou sur des emploi « postés » dans les différents ateliers de l’usine. Ces activités alternatives pourraient donc leur permettre de s’extraire de ces métiers physiques. Idéalement, nous espérons aussi que tout cela sera complémentaire avec la production d’un nouveau modèle à Poissy, qu’on espère voir annoncé dans les prochains mois. Cependant, nous n’avons pas encore de certitudes à ce sujet.

A Poissy, un travail sérieux est donc mené par les partenaires sociaux, pour organiser la transition professionnelle des salariés.

Tout à fait. Mais ça ne concerne pas que le site de Poissy: par exemple, à Douvrin, l’entreprise va malheureusement cesser de produire des moteurs thermiques en 2026. Nous avons cependant pu signer des accords favorisant la reconversion professionnelle, pour que 330 salariés fassent la bascule vers la gigafactory voisine ACC, qui produit des batteries électriques. A Metz, Stellantis a aussi pu monter une co-entreprise, où de nombreux salariés ont pu se former à la production de boîtes de vitesses pour véhicules hybrides. Globalement, le dialogue social reste donc de bonne tenue dans l’entreprise, malgré un contexte économique difficile, tout particulièrement en Europe.

Une nouvelle hausse des droits de douane sur les modèles électriques chinois ne pourrait-il pas aider Stellantis à redresser la barre?

Ce n’est malheureusement pas aussi simple. Il faut savoir qu’une très grande partie de la chaine de valeur des véhicules électriques est en Chine, qui est en situation de quasi-monopole sur les métaux rares. Or, ces métaux sont indispensables à la production des batteries des véhicules électriques. Une surtaxation pourrait donc nous exposer à des mesures de rétorsion chinoises, comme on a déjà pu le voir récemment (NDLR: Le 4 avril dernier, en réaction à des hausses de droits de douanes américaines, la Chine avait annoncé des restrictions sur les exportations de sept métaux rares, dont certains sont indispensables dans le secteur automobile). Si certaines entreprises européennes comme ACC produisent leurs propres batteries, la majorité des batteries utilisées dans les véhicules électriques européens restent d’ailleurs chinoises. A mon sens, le protectionnisme n’est donc pas une solution miracle.

Si on exclut le recours au protectionnisme, comment redynamiser la production européenne de véhicules électriques ?

D’abord, il faut que la feuille de route de l’Union Européenne soit stable et définie sur le sujet: il ne faut plus qu’il y ait de rétropédalage dans les réglementations qui cadrent la réduction des émissions des véhicules. Dans le cas contraire, les constructeurs resteront prudents dans leurs investissements sur le continent. Ceci étant dit, tout n’est pas noir : il y a eu une modification de planning, un ajustement des seuils d’émission de CO2, mais je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une remise en cause de l’électrification des voitures, au niveau européen. En un sens, c’est plutôt rassurant : à Stellantis et plus largement en France, nous avons la capacité de développer la production de batteries et de moteurs électriques, peut-être plus qu’ailleurs en Europe.

Tous propos recueillis par AC

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