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“Je lance l’alerte : même covid-positifs, nous continuons à travailler”, Aurélie, aide-soignante et militante CFTC

10 avril 2020 | Visages du syndicalisme

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Aurélie Lefèvre est aide-soignante et représentante syndicale CFTC dans un EHPAD public des Hauts-de-Seine (92). Depuis notre dernière interview, de nombreux résidents sont décédés. Les équipements manquent cruellement et même s’ils sont malades, les soignants continuent de travailler.

Comment se portent les résidents de votre EHPAD?

En très peu de temps, leur état s’est dégradé. Nous comptons 20 décès pour 80 résidents sur mon site, et 16 décès pour 120 résidents sur l’autre site.

J’ai moi-même contracté le covid-19. Arrêtée depuis deux semaines, je reprends le travail lundi prochain [13 avril 2020, NDLR]. Mais je suis informée à distance de ce qui se passe dans mon EHPAD. Les résidents sont toujours confinés, certes. Reste que l’un d’eux est revenu dans l’établissement après une hospitalisation: il a toujours de la fièvre et tousse. 

Les résidents malades sont hospitalisés ?

C’est une exception. Les résidents restent à l’EHPAD parce que les hôpitaux n’en veulent plus. Nous avions un médecin coordinateur mais il était covid-positif. Finalement, c’est un ancien médecin qui est revenu chez nous. Grâce à lui, nous soignons les malades avec des antibiotiques, des hydratations sous perfusion et de l’oxygène en cas de détresse respiratoire.

Vous aviez notamment évoqué le retard d’une livraison de masques. Qu’en est-il aujourd’hui de vos équipements ?

C’est la peau de chagrin. Certes, nous avons des gants. Mais cette fameuse livraison de masques n’est jamais arrivée. Ce n’est que grâce aux dons que nous en disposons de quelques-uns. Faute de mieux, nous les portons 12 heures d’affilée, alors qu’ils ne devraient pas être portés plus de 4 heures. Quant aux sur-blouses, c’est la croix et la bannière pour en obtenir. Nous les accrochons au porte-manteau dans les chambres des résidents avant de sortir, pour les réutiliser ensuite. Les sur-blouses devraient être jetées après chaque usage… Enfin, notre seul produit d’entretien, c’est de l’eau ozonée. Totalement, absolument insuffisant : il nous faudrait des détergents pour désinfecter les locaux, et une équipe spéciale ménage.

Vous êtes en colère ? 

Terriblement. Voir tant de nos résidents partir est révoltant. Injuste. Cela aurait pu être évité si des mesures avaient été prises en amont. Les résidents doivent être testés aujourd’hui [8 avril 2020, NDLR]. Et tous ceux qui seront positifs seront regroupés dans une unité covid-19. Il est un peu tard pour prendre ce genre de mesure ! Pourtant, il y a peu, le maire* est venu voir la direction de l’hôpital et la situation a été déclarée “sous contrôle”.

Dans quelles conditions se poursuit le travail des soignants ?

Nous ne sommes pas pris en considération. Nous sommes passés à 12 heures de travail par jour sans aucun remerciement de notre direction. Il était question de faire appel à des bénévoles et à la réserve sanitaire… Finalement, seule une bénévole s’est présentée dimanche : une ancienne infirmière. Comme elle est âgée, une autre infirmière lui a demandé, pour la protéger, de ne pas entrer dans les chambres des résidents. Mais le directeur de l’établissement, qui n’est pas un soignant, a sermonné ma collègue avant de de donner l’ordre inverse. C’est incompréhensible pour nous, qui sommes des soignants : notre mission c’est de protéger tout le monde !

La dernière semaine avant votre arrêt, vous étiez déjà malade…

Oui. Pourtant, j’ai enchaîné 3 journées de 12 heures, pendant lesquelles j’ai vu des gens mourir. J’étais épuisée. Je me suis fait tester le jeudi et le laboratoire m’a appris le lendemain que j’étais positive au covid-19. Mon médecin m’a dit que c’était dangereux pour les résidents que je continue de travailler, et m’a arrêtée, le vendredi 27 mars. Mais sinon, même covid-positifs, nous continuons de travailler. Le directeur ne nous laisserait pas rentrer chez nous.

Le personnel est-il testé au covid-19 ?

Oui mais seulement cinq personnes à la fois. La direction est au courant des résultats. Pourtant, il y a des soignants covid-positifs asymptomatiques qui continuent de travailler. J’ai dit à ces collègues : attention, vous propagez le virus d’une chambre à l’autre ! 

Dans le même temps, le directeur de mon EHPAD affirmait à la télévision, à une heure et sur une chaîne de grande audience, que tout allait bien. Peu après, il affirmait à une infirmière que ceux qui restaient chez eux n’étaient pas professionnels. Le lendemain, il expliquait vivement à une soignante en mi-temps thérapeutique qui s’apprêtait à rentrer chez elle à la mi-journée que” c’était 12 heures pour tout le monde !” Peu lui importait les capacités de cette collègue qui n’a même pas été vue par la médecine du travail !

Pourquoi continuer de faire travailler les soignants atteints par le virus ?

Parce qu’il n’y a pas de remplacements possibles. Toute l’année, nous sommes en manque de personnel. S’il manque 8 soignants sur les 15 que nous sommes, comment fait-on ? À La Garenne-Colombes, le maire, qui est médecin urgentiste, a fait tester tout le personnel de l’EHPAD. Puis il a dit aux soignants positifs : maintenant, vous rentrez chez vous. Pour les remplacer, il a fait appel à la Croix-Rouge et au personnel municipal.

Comment soutenez-vous vos collègues ?

Je les appelle souvent. Je prends note de tout ce qu’on me dit. Et j’en rends compte à la CFTC. Mais en fait, je suis démunie. Tout ce que je peux faire, c’est écouter, soutenir, et écrire tout ce que j’entends. À la fin de cette épidémie, il faudra que les maires et les directions d’EHPAD prennent leurs responsabilités. Parce que les gens meurent seuls.

Et vous, comment vous portez-vous ?

J’ai été très fatiguée pendant une semaine. J’étais clouée au lit. Mais maintenant, je me sens mieux. Je manque un peu d’odorat. Et ma généraliste me prendra en téléconsultation si mon état se dégrade.

 

* Le conseil d’administration d’un établissement public social et médico-social relevant d’une seule commune est composé notamment de trois représentants de la commune de rattachement, dont le maire qui assure la présidence du conseil d’administration de l’établissement public communal. Le maire peut y renoncer au profit d’un élu désigné par le conseil municipal.

Propos recueillis par Laurent Barberon

 

A lire aussi, l’entretien avec le secrétaire général de la Fédération CFTC Santé Sociaux , Frédéric Fischbach, qui réclame du matériel et une reconnaissance salariale pour les soignants et les travailleurs sociaux. Et dénonce l’abandon du secteur social.

 

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