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« Une fois la crise passée, les gens nous oublieront », Emilie, infirmière et militante CFTC

13 mai 2020 | Social

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Émilie, 33 ans, est infirmière dans un établissement Ugecam*, au PGR (Pôle gériatrique rennais). Volontaire pour travailler en « zone Covid », celle qui n’a « jamais eu la vocation » appréhende avec sérénité cette crise sanitaire, mais regrette que les revendications du personnel soignant ne soient pas entendues.

Comment se passent vos journées d’infirmière depuis le début de la crise du Covid-19 ?

J’évolue dans la partie des soins de suite et de réadaptation. La majorité du temps, je fais, avec mes collègues, une prise en charge globale du patient, avec le travail sur la reprise d’autonomie, l’évaluation des besoins. Nos patients viennent de l’hôpital pour se remettre sur pied. En revanche, une journée par semaine, je change de service : je me suis portée volontaire pour travailler en « zone Covid » : tous les patients infectés au PGR, soit une quinzaine, sont rassemblés à un étage, peu importe l’affection originelle.

Pourquoi vous être portée volontaire pour travailler dans cette zone à risque ?

Parce que je suis infirmière et que je suis là pour aider les gens, encore plus en temps de crise. Je ne me suis jamais sentie en danger, je fais très attention, nous avons des protocoles, qui évoluent tous les jours, certes, mais qui nous protègent. Nous sommes tellement « couverts » que physiquement, il devient difficile de tenir : en plus des surblouses, nous devons porter toute la journée des masques et des lunettes. Nous devons nous changer entre chaque patient, prendre une douche en quittant le service. La chambre doit être lavée une fois par jour. Pendant quinze jours, cette tâche incombait au binôme infirmière/aide-soignante, avant qu’un agent hospitalier prenne le relais. C’est réellement usant et épuisant physiquement ; mes collègues et moi constatons des douleurs de dos, des céphalées dues au port du masque toute la journée.

Restez-vous « opérationnels » pour vous occuper des patients, dans ces conditions ?

Bien sûr, mais cette fatigue, ces protocoles empiètent forcément sur le temps des soins apportés aux patients. Ils sont en outre tous très âgés, et n’entendent en temps normal pas très bien. Avec nos masques, ils nous comprennent encore moins bien. Souvent, ces patients sont physiquement et psychologiquement mal ; ils sont perdus, et ne reconnaissent ni les lieux ni les personnes masquées qui s’occupent d’eux. C’est très dur. Et ils ne peuvent recevoir de visite de leur famille, ne sont parfois pas assez en forme pour les entendre au téléphone. Alors nous sommes le relais des familles, qui, inquiètes, appellent plusieurs fois par jour. Dans l’ensemble, je constate qu’on passe moins de temps avec les patients et plus de temps à prendre des précautions ou à gérer les proches.

Comment gérez-vous le retour auprès de vos proches, après le passage en zone Covid ?

J’ai deux enfants de 3 et 7 ans. Je suis extrêmement prudente et je n’ai jamais senti que je les mettais en danger. Si ça avait été le cas, je serais allée dormir ailleurs… Mais je serais restée volontaire, il faut bien que quelqu’un s’occupe de ces patients. Je ne travaille en zone Covid qu’une fois par semaine. Je prends deux douches ce jour-là. Et je demande à mes enfants de ne pas trop m’approcher, de ne pas faire de câlins. C’est évidemment un peu compliqué pour ma fille de 3 ans. Moi, ce que j’ai eu plus de mal à comprendre, voire ce qui m’a blessée, c’est quand j’ai cherché un mode de garde pour eux. Leur père, au chômage technique de facto parce que restaurateur, gardait les enfants ; lorsqu’il a remis en route son activité en livrant, j’ai demandé de l’aide à mes parents et beaux-parents. Ils ont refusé sous prétexte que j’étais soignante.

Comment faites-vous ?

J’ai dû faire rouvrir l’école. Pour mes deux enfants ! Et lorsque ma fille a vu sa maîtresse, elle lui a sauté dans les bras. Autant dire que faire respecter les mesures de distanciation en maternelle, comme l’indique le gouvernement, est impossible et idéaliste.

Que pensez-vous des positions gouvernementales à l’égard des soignants ? Pensez-vous que cette crise va changer quelque chose ?

Absolument rien ! Nous ne sommes pas entendus par le gouvernement, pas considérés ni reconnus. Les infirmières étaient dans la rue l’hiver dernier, je ne crois pas que ça ait changé grand-chose. OK, on a l’appui de la population en ce moment, OK, on nous applaudit tous les soirs. Mais une fois la crise passée, les gens oublieront. Et nos revendications de revalorisation salariale et d’embauche de personnel resteront lettre morte, je le crains.

*Le groupe Ugecam (Unions pour la gestion des établissements des caisses de l’Assurance maladie) compte 225 établissements de santé et médicaux sociaux en France. Ce qui en fait le premier opérateur de santé privé non lucratif. Ces personnels soignants n’ont eu aucune prime exceptionnelle à ce jour.

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