Partage de la valeur : des progrès nécessaires, qui n’occultent pas la question des salaires
17 octobre 2023 | Social
Adopté par l’Assemblée nationale, le projet de loi partage de la valeur vise notamment à introduire une mécanique de redistribution des bénéfices, au sein des entreprises de moins de 50 salariés. Ce texte s’aligne globalement sur les mesures négociées par les partenaires sociaux, signataires d’un accord national interprofessionnel sur le sujet mi-février. Si la CFTC salue certains des progrès accomplis, elle rappelle qu’une meilleure répartition des profits commence par la revalorisation des salaires, pour contrer l’érosion progressive du pouvoir d’achat.
Associer davantage les salariés aux performances des entreprises – en particulier ceux des PME – pour leur permettre d’améliorer leur pouvoir d’achat. Voilà, en substance, l’objectif du projet de loi sur le partage de la valeur. Approuvé en première lecture à l’Assemblée nationale, il suit dans les grandes lignes les orientations et régulations proposées par les partenaires sociaux, cosignataires mi-février dernier d’un accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur en entreprise.
Ce texte de loi – qui doit désormais être soumis au vote du Sénat – s’articule autour de deux mesures pivots : la première prévoit l’introduction impérative d’un dispositif de redistribution (au choix, l’intéressement, la participation ou les primes de partage de la valeur) au sein des entreprises de onze salariés et plus, quand seules les sociétés d’au moins 50 salariés sont aujourd’hui tenues de leur redistribuer une part de leurs bénéfices. La seconde instaure une obligation de négocier sur les bénéfices exceptionnels – plus communément appelés super profits – au sein des entreprises d’au moins 50 salariés.
Elargir les mécanismes de redistribution
Mis en place à titre expérimental pour cinq ans, ces dispositifs sont complétés et précisés par d’autres mesures plus ciblées. La CFTC a pu faire valoir ses demandes sur certaines de ces dispositions, pour partie reprises dans le projet de loi validé par les députés. C’est par exemple le cas du principe de non-substitution, réaffirmé explicitement dans le texte : il stipule que les sommes versées au titre du partage de la valeur ne peuvent se substituer aux salaires. A cet égard, il est aussi nécessaire de comprendre les mécanismes qui régissent ces revenus additionnels, pour cerner les avancées obtenues par les partenaires sociaux, dans l’optique d’un partage de la valeur plus équitable.
Trois options majeures de redistribution des bénéfices aux salariés existent ainsi aujourd’hui, au sein de l’entreprise. Le projet de loi stipule que les entreprises de 11 à 49 salariés devront mettre en place au moins un de ces trois dispositifs de partage de la valeur, dès lors qu’elles sont profitables, à partir du 1er janvier 2025. Le plus commun de ces mécanismes, la participation, est déjà obligatoire pour les sociétés de 50 salariés et plus. Il permet, en somme, de redistribuer aux salariés une partie des bénéfices réalisés par l’entreprise. Le second, l’intéressement, est facultatif et peut être versé sous condition d’atteinte d’un objectif pré établi (chiffre d’affaires, rentabilité etc.). Le salarié peut ensuite placer les sommes perçues dans le cadre de la participation ou de l’intéressement sur un plan d’épargne entreprise (PEE), où celles-ci seront exonérées d’impôts sur le revenu, à leur libération.
Faciliter le déblocage de l’épargne salariale
Néanmoins, les sommes placées sur ce support d’épargne sont bloquées pendant cinq ans minimum, leur déblocage anticipé n’étant autorisé qu’en cas de circonstances exceptionnelles (mariage, naissance d’un enfant, divorce…). L’une des mesures défendues par la CFTC – intégré au texte de loi– vise ainsi à élargir les conditions de déblocage anticipé de cette épargne salariale. A titre d’exemple, celle-ci sera désormais immédiatement accessible aux salariés qui doivent effectuer certaines dépenses liées à la rénovation énergétique (par exemple, pour améliorer l’isolation de leur logement). Ce déblocage anticipé concernera également les salariés ayant le statut de proche aidant, qui s’applique aux personnes consacrant du temps à l’assistance d’une autre personne se trouvant en situation de dépendance.
Enfin, à l’image de l’intéressement, la dernière option de partage de la valeur aux salariés, la prime de partage de la valeur (PPV), est facultative. Comme son nom l’indique, ce dispositif permet à l’employeur de verser au salarié une prime, dont le montant comme les modes de versement dépendent d’une décision de l’employeur ou d’un accord d’entreprise. S’il n’était jusqu’alors pas possible de placer les sommes perçues via la PPV dans un plan d’épargne d’entreprise (PEE), le texte de loi reprend une suggestion de la CFTC visant à les y intégrer. Ces sommes pourront ainsi notamment bénéficier du mécanisme d’abondement. Cette aide facultative de l’entreprise prend la forme de versements complémentaires, qui gonflent la valeur des montants que les salariés choisissent de placer sur leur PEE.
Prendre en compte les super profits
Outre ces procédés classiques de redistribution des bénéfices aux salariés, le texte de loi reprend les propositions de l’ANI visant à favoriser le partage des bénéfices exceptionnels, souvent qualifiés de « super profits ». Ces bénéfices exceptionnels (perçus par l’entreprise sans qu’elle n’ait vraiment modifié sa façon d’opérer), seront désormais soumis à une obligation de négocier, pour les sociétés de 50 salariés et plus sur la base des critères suivants : la taille de l’entreprise, le secteur d’activité, les bénéfices réalisés lors des années précédentes ou les événements exceptionnels externes à l’entreprise, intervenus avant la réalisation du bénéfice. La CFTC se félicite ainsi de voir apparaitre dans un texte législatif la notion de super profit.
Plus globalement, la CFTC se satisfait de certaines des dispositions prévues par le texte de loi, qui intègre une partie de ses préconisations. Elle regrette en revanche que d’autres mesures qu’elle défend n’aient été que partiellement reprises dans le document. C’est par exemple le cas de l’article sur l’encadrement des bénéfices exceptionnels : cette mesure ne prévoit pas de procédure en cas d’échec des négociations entre l’employeur et les représentants syndicaux, si ceux-ci ne parviennent pas à définir ce qui constitue ou pas un super profit pour l’entreprise. Par ailleurs, la CFTC insiste sur le fait que les dispositifs de partage de la valeur ne sont pas suffisants face aux pertes de pouvoir d’achat des salariés et ne sont en aucun cas des substituts au salaire. Ils ne répondent notamment pas à la nécessité d’augmenter le SMIC pour contrebalancer les effets de l’inflation, un impératif légal auquel ne se plient actuellement pas plusieurs branches professionnelles. A cet égard, la CFTC manifestera le 13 octobre au sein de l’intersyndicale, pour demander une revalorisation salariale ambitieuse, pour tous les travailleurs.
AC