“Nous travaillons quotidiennement pour les salariés des TPE”, Pierre, négociateur de branche
29 mars 2021 | Social
Pierre Jardon, conseiller confédéral en charge du dialogue social, et négociateur CFTC pour la branche professionnelle de l’agriculture, nous explique comment les droits des salariés des TPE sont négociés. Un aspect méconnu, mais essentiel, du travail syndical.
On entend souvent dire que les syndicalistes travaillent surtout pour les salariés des moyennes et grandes entreprises…
Oui, c’est ce que l’on entend, en effet, et ça s’explique par l’absence d’élus du personnel et de négociations dans les TPE, les entreprises de moins de 11 salariés. Pourtant, dans les branches professionnelles, qui représentent les intérêts d’un secteur d’activité, on travaille quotidiennement pour les salariés des TPE. Au cours de réunions de travail entre représentants des salariés et des employeurs, on y discute des enjeux sociaux et économiques, et l’on y négocie des droits. Dans la branche de l’agriculture par exemple, où je négocie au nom de la CFTC pour tous les salariés, on compte 90 % de TPE. Notre travail concerne donc directement les salariés des TPE. Tous les sujets peuvent être abordés : les conditions de travail, la mutuelle, la prévoyance, les activités sociales et culturelles. Les droits sociaux des salariés des TPE proviennent directement de ces négociations de branche.
En Bref
- Les droits sociaux des salariés des TPE (mutuelle, activités sociales et culturelles, conditions de travail, etc.) sont négociés au niveau des branches professionnelles, qui regroupent les entreprises d’un même secteur d’activité.
- Participent à la négociation des représentants des salariés et des employeurs.
- Les négociateurs CFTC s’efforcent de couvrir tous les sujets possibles au niveau de la branche, pour éviter l’inéquité entre salariés des TPE et salariés des plus grandes entreprises, et de veiller à la simplicité d’application de ces droits.
Donc, quand un représentant des salariés négocie dans une branche professionnelle, il négocie pour les salariés de toutes les entreprises rattachées à cette branche, qu’elles soient petites, moyennes ou grandes ?
Exactement. Mais il y a une différence importante. Dans les grandes et moyennes entreprises, il y a, en plus des négociations dans la branche, des négociations dans l’entreprise. Pour ces entreprises, en effet, la loi prévoit la création d’un CSE, où siègent des représentants des salariés, ainsi que des sujets de négociation, certains obligatoires, d’autres facultatifs. Dans les TPE, rien de tout cela n’est prévu. Il n’y a pas de négociations à l’échelle de l’entreprise. Les droits sociaux qui s’y appliquent sont donc ceux prévus par la négociation de branche (et le Code du travail). Les négociateurs doivent garder ce fait en tête. En effet, depuis la loi El Khomri et les ordonnances Macron, certains négociateurs de branche sont tentés de déléguer une partie des sujets de négociation aux élus dans les entreprises. Mais c’est oublier qu’il n’y aura pas de négociations complémentaires dans les TPE ! C’est pourquoi, à la CFTC en tout cas, on veille à bien aborder tous les sujets au niveau de la branche, pour que les salariés des TPE soient aussi bien couverts que les autres salariés. Il n’y a pas de raison, en effet, qu’ils soient pénalisés de ce point de vue.
Négocier dans les branches c’est donc penser aux salariés des TPE qui n’auront pas d’autres occasions de négocier. Mais quid de la mise en œuvre des droits négociés dans les TPE ?
Alors, il y a des instances paritaires, les CPRI (commissions paritaires régionales interprofessionnelles), qui peuvent informer et accompagner les salariés et les employeurs et, le cas échéant, faciliter la résolution de conflits. A noter que les branches de l’agriculture, de l’artisanat et des professions libérales ont leur propre commission. Nous avons aussi d’autres instances nationales et surtout, territoriales, dédiées à l’emploi, la formation professionnelle, aux conditions de travail… qui répondent aux besoins des TPE.
Mais, en amont, ce qui est sûr, c’est qu’au niveau de la branche, quand on négocie, on prend en considération les conditions d’application du droit dans les TPE. Dans le contexte TPE, on ne peut pas compter sur un service ressources humaines ou relations sociales. Dès lors, on sait qu’il serait contre-productif d’alourdir de manière disproportionnée la gestion administrative des droits des salariés. C’est en effet le patron lui-même qui va prendre en charge les démarches. Ou son cabinet comptable. Donc on simplifie, pour être sûr que ce soit bien appliqué. Par exemple, on a négocié une complémentaire santé et prévoyance, avec des appels de cotisations à la source, pour éviter des démarches supplémentaires qui, on le sait, ne sont pas toujours bien menées à terme, dans les temps, etc., ce qui se solde au bout du compte, par une dégradation des prestations pour les salariés. On a aussi mis en place des actions sociales et culturelles qui permettent à tous les salariés de recevoir directement leur carte avantage, via la Mutualité Sociale Agricole.
Mais, dès lors, peut-on parler d’un dialogue social dans les TPE, au sens littéral d’un dialogue entre des personnes ?
Oui, en tout cas c’est bien ce que l’on vise. Au-delà d’une recherche de simplification administrative en effet, il s’agit de recentrer les relations sociales sur l’essentiel. On fait en sorte que, sur le terrain, salariés et employeurs s’approprient les sujets de négociation qui touchent à l’humain, au management. La classification des métiers, par exemple, est encore trop souvent déléguée au cabinet comptable, alors que c’est clairement un enjeu de management, et non pas un enjeu comptable. A la fédération CFTC Agri, on a développé un outil visant à faciliter les opérations de classification des salariés. Il est mis à la disposition de tous, sur notre nouveau site internet (https://cftcagri.fr/classification). Pourquoi ? Pour éviter, justement, que ce soit délégué au cabinet comptable, et pour que ça fasse l’objet d’une discussion entre l’employeur et ses salariés. Donc notre démarche n’est pas de simplifier pour simplifier, mais de libérer du temps pour l’essentiel, de faire en sorte que les sujets importants ne soient pas externalisés, que ça fasse l’objet d’un échange constructif. A mon sens, d’ailleurs, c’est ce qui caractérise l’approche CFTC du dialogue social.