« L’urgence à Lidl, c’est la dégradation des conditions de travail »
25 février 2025 | Conditions de travailSocial
Suite à l’échec des dernières négociations annuelles menées avec la direction, cinq des six organisations syndicales de Lidl, dont la CFTC, avaient appelé à la grève le vendredi 7 février. Les salariés et leurs représentants dénoncent une détérioration continue des conditions de travail et une pression croissante à la performance, symbolisée par la volonté de l’enseigne de bientôt généraliser l’ouverture de tous ses magasins le dimanche. Explications avec Christophe Lefevre, délégué syndical central CFTC de Lidl France
Christophe, quel a été l’élément déclencheur de ce mouvement social à Lidl ?
Nous avions entamé les négociations annuelles obligatoires (NAO) début janvier, mais nous voyions que les discussions ne prenaient pas la bonne direction. Le 5 février, nous avons eu un 3e entretien avec la direction et ça s’est très mal passé au niveau du dialogue social. Pour faire court, on nous a fait comprendre que ce serait comme ça et pas autrement, qu’on ne pourrait pas trouver de consensus. Or, les mesures que veut prendre l’employeur risquent de davantage dégrader nos conditions de travail, qui se sont déjà significativement détériorées ces dernières années. A ce stade là, il nous fallait absolument agir, et nous avons donc décidé – en intersyndicale – d’appeler à la grève le vendredi 7 février. Près de 4500 salariés nous ont suivi, ce qui atteste bien de leur fatigue et de leur colère, vis-à-vis de la direction.
La mesure la plus controversée que vous a annoncée Lidl lors de ces NAO, c’est l’obligation du travail le dimanche.
La direction a en effet proposé de généraliser les contrats à 35 heures (contre 30 heures actuellement) pour les employés polyvalents, mais en rendant le travail dominical obligatoire. Sur ce point là, la CFTC est très claire : elle s’oppose à l’imposition du travail le dimanche. Par contre, nous sommes ouverts à ce que ceux qui veulent travailler le dimanche puissent le faire, moyennant une majoration de salaire et un jour de repos supplémentaire bien sûr. Pour en revenir aux NAO, il faut aussi souligner que cette décision relative au travail le dimanche accentue une forme d’iniquité, qui existait déjà entre les travailleurs eux-mêmes.
C’est-à-dire ?
Le contrat signé par les salariés de Lidl embauchés avant 2016 prévoit que le travail le dimanche se fasse sur la base du volontariat. Mais ce n’est pas le cas du contrat signé par les salariés qui sont arrivés après 2016, qui prévoit une clause sur le travail dominical obligatoire. C’est donc très injuste, pour les nombreux salariés qui sont arrivés après cette année pivot.
Mais on ne vous a présenté aucune possibilité de négocier sur le travail le dimanche ?
Non, alors même que ça fait 10 ans que la CFTC demande un accord sur le travail dominical, qui clarifierait cette question. Ça n’a pas été fait, et on se retrouve dans une situation où ça nous est imposé unilatéralement. Finalement, c’est malheureusement assez caractéristique de la détérioration du dialogue social qu’on observe au sein de Lidl, où les salariés et les syndicats sont poussés dans leurs retranchements.
Vous ne vous sentez plus du tout écouté ?
De moins en moins. Lors des CSE, la CFTC, fidèle à sa nature, veut pourtant ouvrir le débat. Mais on a l’impression de parler à un mur. L’entreprise prend souvent des décisions – notamment liées à des modifications du temps et du planning de travail – sans consulter les partenaires sociaux.
Je vous donne un autre exemple : il y a un an, les syndicats avaient obtenu la mise en place d’un système de sur-structures. Il permettait de pallier les absences pour maladie ou absentéisme des salariés, qui étaient immédiatement remplacés. Malheureusement, ça n’a tenu que 6 mois : ça ne répondait pas aux attentes de la direction.
S’agissant des salaires, que pense la CFTC de la hausse de 1,2% des rémunérations, proposé par l’employeur lors de ces NAO ?
Elle est en soit assez correcte. Quand on voit ce qu’il se passe dans la concurrence, ils ne sont pas nécessairement mieux lotis que nous. Nous savons que l’entreprise n’est pas dans une forme extraordinaire, donc nous étions ouverts à trouver un compromis salarial. Une majorité de syndicats nous ont d’ailleurs rejoint dans ce constat.
Mais, d’un point du vue plus global, la CFTC considère que l’urgence, le cœur du problème, ce sont assurément les conditions de travail. Tout particulièrement en raison des critères de performance, qui sont imposés aux salariés. C’est d’abord ça qui les use, génère une souffrance au travail qu’on ne veut plus accepter.
En quoi consistent ces critères de performance ?
Il y a à peu près 6 ans, ces critères ont été modifiés. Auparavant, notre travail était globalement évalué en fonction du chiffre d’affaires enregistré en magasin. Aujourd’hui, chaque magasin à un nombre de produits prédéterminé à vendre par heures travaillées, quelle que soit la nature du produit. A titre d’exemple, vendre une baguette ou un Monsieur Cuisine, c’est comptabilisé pareil, comme une unité de vente.
Pourtant, il s’agit de 2 produits qui ont un circuit de vente très différent : la baguette, il faut la cuire, l’emballer, la mettre en rayon, elle demande beaucoup plus de travail. Au final, on se rend compte que ces nouveaux critères ont été changés pour avoir plus de rendement et augmenter les cadences. Le bien-être au travail des salariés est tout simplement sacrifié sur l’autel de la performance.
Lidl est également réputé pour l’hyper polyvalence de ses salariés. Pourquoi les syndicats posent un regard de plus en plus critique sur ce modèle gestionnaire ?
L’entreprise existe depuis 30 ans, et cette polyvalence a toujours fait partie de son ADN: chez Lidl, un salarié peut successivement tenir la caisse, faire cuire le pain, s’occuper de la mise en rayon, décharger des camions etc…. Le problème, c’est qu’on nous en demande de plus en plus : il y a 30 ans, on n’avait pas de boulangerie, moins de produits à placer au rayon fraicheur etc…En somme, de plus en plus de taches s’ajoutent à ce qui est usuellement demandé aux travailleurs.
Lidl a perdu 2200 salariés depuis 2023. Cela ne contribue-t-il aussi pas à augmenter la charge de travail des salariés restants ?
C’est une certitude. Lidl a 1600 magasins en France, ce n’est donc pas négligeable de perdre autant de personnes : ça représente en moyenne un salarié et demi en moins par enseigne, avec une charge de travail qui, elle, reste identique.
Comment vous projetez-vous sur la suite du mouvement social ?
Suite à ce premier appel à la grève, Lidl a accepté de recevoir à nouveau les partenaires sociaux, le vendredi 14 février. Cependant, aucune réponse concrète n’a été apportée à nos revendications. Les syndicats se réuniront donc la semaine prochaine, pour déterminer de prochaines modalités d’action. Je le redis : notre priorité et notre boussole dans cette négociation, c’est d’obtenir des engagements significatifs pour améliorer les conditions de travail. Dans le cas contraire, il y a fort à parier que la mobilisation sera importante, car de nombreux salariés ne veulent plus continuer comme ça.
Tous propos recueillis par AC