Licenciements massifs, dégradation des conditions de travail : comment protéger les salariés et l’emploi dans le secteur bancaire ?
5 mai 2025 | Emploi & MobilitéSocial
En décembre dernier, les salariés du Crédit commercial de France (CCF, ex HSBC) ont appris que leur direction comptait prochainement supprimer près de 1400 postes et fermer 84 agences. A l’heure actuelle, il s’agit du plan social le plus massif en France, en terme de pourcentage d’effectifs visés : jusqu’à 42% des salariés pourraient en effet perdre leur emploi. Un PSE brutal, mais malheureusement illustratif de la crise de l’emploi dans le secteur bancaire. Explications avec Christel Arnaud Saint Martin, présidente de la CFTC Banques et Teddy Deduit, délégué syndical CFTC au CCF.
Les salariés du CCF et leurs représentants syndicaux, en grève ce 4 février dernier
Teddy, le 4 décembre 2024, la direction du CCF (propriété de HSBC, jusqu’à sa vente en 2023 au fonds d’investissement Cerberus) a annoncé vouloir supprimer 1400 postes et fermer 84 agences. Comment les salariés ont-ils encaissé cette nouvelle ?
Teddy Deduit: Evidemment, c’est un très gros coup dur. On savait qu’un plan social était en préparation, mais on ne pensait pas qu’il serait de cette ampleur. La DREETS (NDLR : un service régionalisé affilié au ministère de l’économie, qui accompagne et régule la politique de l’emploi) nous a d’ailleurs confirmé que c’était actuellement le plus gros plan social, en terme de pourcentage d’effectifs supprimés en France.
Si ce plan social au CCF est particulièrement important, il ne s’agit pas de la première vague de suppression d’emplois, dans le secteur bancaire français ces dernières années. Comment expliquer ce phénomène ?
Christel Arnaud Saint Martin: Le secteur bancaire est en pleine mutation. Il y a beaucoup de suppression de postes et de fermetures d’agences, du fait de la digitalisation galopante du secteur. L’explosion de la banque en ligne, qui est massivement gérée par IA, a changé le rapport qu’ont les gens avec la banque de détail : les gens se déplacent beaucoup moins en agence, pour effectuer les opérations financières basiques, ou celles du quotidien. Parallèlement, les résultats financiers des banques restent très solides mais, dans les établissements bancaires, les salaires stagnent et la pression s’intensifie sur les effectifs. Les salariés en souffrent beaucoup.
Teddy Deduit: Au CCF, notre directeur général continue de nous présenter comme une banque patrimoniale, à taille humaine, mais des humains, on a l’impression qu’il n’en restera justement pas beaucoup. Ils sont en train de se séparer de plein de métiers clés : d’experts et ingénieurs financiers, de conseillers patrimoniaux, de chargés de conformité aussi, dont le rôle est de vérifier les fraudes, que la banque est bien en phase avec le règlement… On nous explique, en somme, que l’IA va nous permettre de compenser les départs, via une automatisation de nombreuses taches, mais ça nous semble très douteux : le cabinet de conseil Technologia, avec qui on travaille dans le cadre de ce PSE, estime lui qu’on manquera de 90 à 100 salariés pour que la banque puisse raisonnablement fonctionner suite à cette vague de départs massifs.
Au CCF, il n’y avait vraiment aucune solution alternative possible à ce plan de licenciement?
TD : Il faut d’abord souligner que ce PSE a été, en un sens, retardé : la CFTC et les autres syndicats avaient en effet obtenu, suite à la vente du CCF par HSBC au fond d’investissement Cerberus en 2023, la préservation des emplois pendant 12 mois, en 2024. Maintenant, s’agissant du PSE en cours, la CFTC pense qu’il aurait été tout à fait possible d’opter pour une solution moins radicale et plus progressive : par exemple, en négociant une rupture conventionnelle collective (RCC), qui aurait pu cibler moins de personnes, en déployant les outils d’IA au fur et à mesure via des phases pilote etc…
Mais ces alternatives n’ont pas été considérées : notre directeur Général a annoncé le PSE le 4 décembre 2024, en écartant toute autre solution. On voit bien que le fonds d’investissement aux manettes exige une rentabilité quoi qu’il en coute, le plus vite possible, au détriment des conditions de travail des collaborateurs…Pour dénoncer ces pratiques, la CFTC et l’intersyndicale ont notamment jugé nécessaire de lancer un appel à la grève le 4 février dernier, auquel avaient d’ailleurs répondu de nombreux salariés.
Cette dégradation du dialogue social concerne-t-elle l’ensemble du secteur bancaire ?
CASM : Globalement, oui, même s’il ne faut pas généraliser non plus. La plupart des employeurs du secteur ont tendance à nous expliquer que nous ne sommes pas en cogestion, c’est le terme à la mode… Ces plans sociaux sont donc devenus assez unilatéraux, les syndicats ne sont pas ou peu consultés, ou du moins entendus.
TD : Dans le cas du CCF, nous sommes évidemment inquiets pour les gens qui vont perdre leur emploi, mais nous avons aussi alerté, sans succès, quant aux préoccupations que nous avons pour ceux qui vont rester au sein de l’entreprise. On nous dit que l’IA va compenser les départs, mais il n’y a pas eu à ce jour de phase test, qui aurait permis de savoir si ce qui est prévu est effectivement susceptible de fonctionner. Les conséquences de ces changements n’ont pas été strictement évaluées, alors même qu’une première vague de départs est bien prévue avant la fin de l’année…
CASM : Souvent, après ces plans sociaux, on observe d’ailleurs que les entreprises ont tendance à compenser, en employant plus de CDD et/ou d’alternants. Mais ce sont des gens qu’il faut former, qui ne sont pas forcément autonomes immédiatement et ça retombe forcément sur les autres salariés, qui font souvent état d’une surcharge de travail.
Sur quels versants les syndicats peuvent-ils tout de même agir ?
CASM : Tout dépend du sujet. Dans le secteur bancaire, les syndicats ont notamment quelques marges de manœuvre pour négocier des plans de départs plutôt avantageux (mesures d’accompagnement humaines, matérielles et financières). Pour les salariés qui restent, c’est clairement la formation et la montée en compétences qui sont 2 piliers sur lesquels les syndicats peuvent agir. La négociation des accords est également un point non négligeable, qui doit permettre aux syndicats d’anticiper les évolutions du secteur, en travaillant notamment sur de véritables accords GEPP.
TD : Au CCF, on est en pleine négociation du PSE. Pour l’amortir au maximum, la CFTC va effectivement demander le déploiement de congés de reclassement externes, qui devront assurer le maintien d’une bonne partie du salaire des personnes licenciées. Dernièrement, nous avons aussi travaillé à regrouper certaines catégories professionnelles, afin de plus facilement reclasser certains salariés en interne et donc préserver certains emplois au sein de l’entreprise. Nous exigerons également que les salariés qui restent au sein du CCF puissent travailler dans les conditions de travail les plus acceptables possibles.
Depuis quelques années, la CFTC Banques alerte justement quant à la dégradation des conditions de travail des salariés du secteur.
CASM : Certaines pratiques néfastes au bien-être au travail des salariés se sont intensifiées. Certains salariés ont une réunion hebdomadaire sur les objectifs de vente à réaliser. Ensuite, un classement est établi, donc la pression au quotidien sur les travailleurs est très importante, encore plus sur ceux qui font de moins bons résultats.
TD : Il y a des classements effectués dans chaque agence, effectivement. La pression à la performance s’est globalement accentuée partout dans la banque, on nous impose des objectifs irréalisables avec des rémunérations variables discrétionnaires, qui sont sources de risques psychosociaux pour les collaborateurs. Je pense que c’est aussi pour ça que nous avons du mal à recruter, nos métiers attirent moins.
A moyen terme, peut-on tout de même espérer une stabilisation du secteur et des emplois qu’il pourvoit ?
CASM : Ce n’est pas impossible, mais on a encore du mal à anticiper ce qu’il peut se passer. Nous savons que l’IA va changer notre quotidien, qu’il y aura des montées en compétence et des reconversions dans le secteur. Mais, à l’heure actuelle, on ne sait pas trop où on va, coté employeur comme salarié, et c’est ça qui est préoccupant.
TD : Au CCF, nous n’avons malheureusement aucune visibilité sur notre avenir. Soit on se stabilise dans notre activité, soit nous sommes revendus par le fonds d’investissement qui nous détient, à court-moyen terme. En attendant, la CFTC et les syndicats vont déployer tout ce qui est en leur pouvoir pour réduire la portée du plan social : nous avons notamment été reçus le 24 avril au ministère du travail pour leur faire part de nos inquiétudes, demander à ce qu’ils appuient notre démarche. Je ne peux pas encore donner de chiffres, mais il devrait notamment y avoir moins de suppression de postes et de fermetures d’agences qu’initialement prévu.
AC