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Accord post-Brexit : pêche en eaux troubles ?

8 juillet 2021 | Non catégorisé

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Les pêcheurs des Hauts-de-France malmenés dans l’exercice de leur travail : c’est l’une des conséquences du Brexit. Bruno Dachicourt, responsable du secteur de la pêche pour la fédération CTC-Agri, nous explique pour quelles raisons les impacts du Brexit sont si prononcés et trace quelques lignes pour un avenir plus serein.

Vous avez interpellé, en avril dernier, le député de votre circonscription, Pierre-Henri Dumont, au sujet de l’accord de pêche post-Brexit. En quoi cette démarche vous a-t-elle paru nécessaire ?

Bruno Dachicourt : J’ai eu cette opportunité grâce à Robert Martel, responsable CFTC du Calaisis. Il est parvenu à obtenir un rendez-vous avec le député (Les Républicains, Ndlr) et m’a proposé de l’y accompagner. Ça m’intéressait particulièrement, car Pierre-Henri Dumont avait participé à un rapport de l’Assemblée nationale sur la pêche, avant le Brexit. Il connaît donc bien le dossier. Le souci, c’est que la pêche constitue un petit secteur économique au niveau européen. Pour vous donner un ordre d’idée, il est comparable au secteur de la tomate en France ! Par conséquent, la pêche est souvent la «variable d’ajustement» des politiques européennes. On cherche en priorité des consensus dans d’autres secteurs, et le nôtre se trouve être la «dernière roue du carrosse». Mais, pour la France, en particulier le littoral des Hauts-de-France, les enjeux sont autrement considérables. Sur Boulogne, ce sont 5000 emplois directs et indirects actuellement en jeu. Il faut donc sensibiliser, informer au mieux nos représentants politiques.

Pourtant, le volet «pêche» de l’accord commercial post-Brexit avait été plutôt bien accueilli…

Oui, on a poussé un «ouf» de soulagement à Noël… Soulagement de bien courte durée! Ce dont on avait peur, c’est de ne plus avoir accès aux eaux territoriales anglaises de la Manche. Or, nos peurs se sont concrétisées. Sur une centaine de navires français pêchant traditionnellement dans ces eaux, 23 seulement ont à ce jour reçu l’autorisation britannique de poursuivre leur activité. Le problème n’est pas l’accord… C’est le non-respect de cet accord par les Anglais. Peu fair-play, ils ajoutent progressivement des clauses à cet accord, de façon totalement illégale.

Si c’est illégal, pourquoi ne pas leur interdire une telle pratique ?

C’est ce que nous voulons à la CFTC ! Puisque l’accord n’est pas respecté, nous avons demandé la mise en place de mesures de rétorsion au niveau européen, mesures prévues par l’accord. Sauf qu’il faut recueillir le consentement unanime des 27 pays membres au préalable. Et que la France est la seule à être réellement impactée. Les autres pays, de l’Est notamment, ont des intérêts au Royaume-Uni et se montrent réticents. Les Britanniques jouent la montre… Le but est de leur rappeler qu’on est dans notre bon droit, qu’on ne va pas lâcher…

Ce qui explique le blocage médiatisé du port de Saint- Hélier, à Jersey, début mai ?

C’est exactement cela, pour dénoncer l’ajout illégal de nouvelles modalités. Il faut savoir que, pendant que les bateaux français bloquaient le port de Jersey, les pêcheurs de l’île vendaient leurs poissons à Grandville. Le Royaume-Uni consomme peu et exporte sa pêche à 80, voire 90%. 70% de ces exportations se retrouvent sur le marché européen, dont le marché français! Il faut vraiment revenir à une vision globale, incluant aussi la pêche hollandaise.

Les Pays-Bas pêchent aussi dans la Manche ?

Tout à fait! Ayant épuisé les ressources en mer du Nord, ils se sont repliés sur la Manche il y a quelques années. Le droit européen le leur permettait. Eux ne peuvent absolument plus prétendre accéder aux eaux anglaises aujourd’hui, puisqu’ils n’ont aucune antériorité de pêche sur la période de référence (2012-2016). Leur flottille reporte donc tout son effort de pêche dans les eaux territoriales françaises… qui sont aussi les eaux communautaires! Et vu que la flottille française se voit en majeure partie cantonnée dans ces mêmes eaux, la situation est devenue ingérable. Ce qu’on pêchait sur une année, on le pêche quasi en six mois maintenant. La ressource ne pourra pas le supporter…

Les conséquences du Brexit sont venues amplifier une situation déjà préoccupante…

Complètement! Il y a 10 ans, la CFTC revendiquait avec force un plan de gestion pour la Manche, visant à encadrer l’effort de pêche. On n’a rien obtenu au niveau européen. Et, en 10 ans, on a déjà beaucoup perdu. On continue d’en payer les frais. En ce moment, il y a des entreprises qui ferment, il y a des pertes d’emplois qu’on ne récupérera pas.

Outre l’application des mesures de rétorsion, que revendique la CFTC aujourd’hui ?

Du concret. On demande un contrôle des bateaux hollandais qui débarquent à Boulogne, comme nous y sommes nous- mêmes soumis. Il n’y a actuellement aucun contrôle pour eux : ni au débarquement, ni quand la marchandise repart en camion. Ce qu’on a à cœur, c’est d’adapter l’effort de pêche à la ressource, et non de la piller. Il en va de nos emplois comme de notre environnement.

Avec le Pacte vert européen, les politiques environnementales semblent être enfin prises en compte…

Le souci de la CFTC, c’est de veiller à inclure l’humain dans les politiques environnementales. Car ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, la directive européenne de 2018, alors appelée «zéro rejet», a dégradé les conditions de travail des hommes, pour un gain environnemental quasi nul. Quand nous pêchons, il nous arrive de remonter des poissons non commercialisables. Nous les rejetions alors en mer. L’objectif de l’Europe était le même que le nôtre : améliorer la sélectivité, à savoir réduire les rejets. Mais nous avons alerté sur la méthode retenue, qui consistait à garder ces rejets, à les traiter, les descendre en cale, les ramener au port. Un surcroît de travail immense pour des marins rémunérés « à la part ». Nous avons proposé une alternative basée sur le comptage et l’enregistrement des rejets. Nous nous sommes appuyés sur la directive 2017/1594. Celle-ci précise qu’aucune réglementation européenne ne peut dégrader ou remettre en cause des acquis sur les conditions de travail. Malgré le soutien du syndicat European Transport Federation, nous n’avons pas été entendus. Les études mises en place entre- temps prouvent, hélas, que nos alertes étaient fondées. Autre exemple plus frappant, l’installation de certains parcs éoliens offshore dans… des zones de frai, c’est-à-dire de reproduction! C’est une incohérence que la CFTC a vivement dénoncée ! Nos bateaux évitaient ces zones aux périodes essentielles du cycle de la ressource… et on y a coulé du béton ! Cela a complètement changé la morphologie de l’environnement marin. Le Pacte vert aura beaucoup d’impacts sur la filière de la pêche. Et ils seront positifs si l’humain et le social sont pleinement associés aux considérations environnementales. Ce n’est qu’en imbriquant étroitement ces trois volets dans nos réflexions que celles-ci se révéleront vraiment constructives.

Propos recueillis par Maud Vaillant 

Crédit photo : Gaëtan Mortier

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