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Covid-19. « Même les enfants sont débordés », Laurent, directeur d’école et militant CFTC

16 avril 2020 | Visages du syndicalisme

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Laurent Turpin, 41 ans, est directeur de l’école élémentaire Pablo Picasso à Saint-Louis et président de la section Enseignement Public et Recherche de la CFTC de l’Ile de La Réunion. Au niveau national, il tente par tous les moyens d’assister les professeurs qui font appel à lui, durant cette période qui requiert beaucoup d’efforts de chacun.

Quel est votre quotidien ?

Ma situation est particulière : je suis directeur d’école et responsable syndical. En théorie, je devrais me consacrer uniquement au syndicat. Mais j’ai été contacté par mon supérieur pour redonner un coup de main à l’école durant cette période de crise. Mes journées sont très chargées en ce moment du coup. Depuis le confinement, je n’ai jamais travaillé autant. A cela s’ajoutent mes deux filles qu’il faut que j’accompagne. C’est très lourd.

Comment fonctionne l’école ?

Il a fallu dans un premier temps organiser la continuité pédagogique, et en même temps notre école a été sélectionnée pour accueillir les enfants du personnel soignant. Mais l’école Pablo Picasso fait partie du réseau d’éducation prioritaire et on a 1 seul élève sur 240 qui est dans ce cas. Il est donc accueilli ailleurs, et l’école est finalement fermée. Tout se fait à distance. A La Réunion, ça fait trois semaines qu’on est rentrés en classe. Dès le retour, ça a été compliqué en termes de capacité de réseau internet.

Le serveur de notre académie était calculé pour 800 connexions simultanées et le premier jour on a été 8000 à se connecter, donc le serveur a sauté. Il a été réparé au bout d’une semaine, et le lundi suivant [le 30 mars NDLR] le recteur a reçu les organisations syndicales en visio-conférence. Les consignes étaient déjà plus claires. Des blogs ont été mis en place dans chaque école entre parents et profs. Et les enseignants ont été autorisés à envoyer des mails aux parents, pour faire suivre des cours ou des devoirs par exemple.

Mais un gros problème se pose, car de nombreux parents n’ont pas d’imprimante, voire d’ordinateur. Nous avions réfléchi à un système palliatif : l’envoi d’un mail à La Poste qui l’imprime, puis l’envoi aux parents par courrier. Ce serait optimal… Mais ça ne fonctionne pas encore. Pour l’instant, on fait avec les moyens du bord. C’est nous qui imprimons, et on tient les photocopies à disposition des parents. Pour les enfants complètement déconnectés, des tablettes ont été prêtées par les établissements scolaires et les communes. Ça c’est bien.

Comment ça se passe avec les professeurs ?

C’est compliqué pour les professeurs. J’ai beaucoup d’appels. Pas dans mon école, où c’est très bien géré par ma remplaçante. Les appels que je reçois concernent l’ensemble du territoire. J’ai beaucoup de demandes de collègues qui n’arrivent pas à tenir leur journée entre la préparation des cours, la correspondance avec les parents, les corrections et aussi bien sûr leurs propres enfants. Au bout de deux jours de reprise des cours, j’avais des collègues qui m’appelaient à 20h ou 21h : ils n’en pouvaient plus. Si on rajoute à cela les injonctions du chef de service ou de l’inspecteur, ça explose.

Par exemple, j’ai eu un cas où le jeudi soir les enseignants ont été priés de demander aux parents de venir le lendemain, à l’école à 8 heures, pour une distribution de matériel pédagogique ! J’ai immédiatement écrit au recteur, au secrétaire général, et à l’inspecteur d’académie. A 22h, la demande a été annulée. Sans les syndicats, les collègues auraient dû se rendre à l’école, en présence physique de tous les parents, et tenir un délai impossible…

Il y a beaucoup de cours en visio-conférence ?

En pratique, il y a quand même peu de cours en visio-conférence. A chaque enseignant ses propres moyens. Il faut avoir le temps et l’équipement. Certains collègues qui sont à quelques années de la retraite n’y arrivent pas. Ils le vivent mal.

Et du côté des élèves ?

Il y a beaucoup d’élèves qui ont des difficultés. Prenons l’exemple du collège. Il y a peu de concertation entre les professeurs. Cela donne une quantité de devoirs plus importante que ce qui se faisait habituellement en classe. Même les enfants sont débordés. Côté parents il y a de tout : pour certains ce n’est pas suffisant, pour les autres c’est trop. C’est sûrement en relation avec la catégorie socio-professionnelle. Les parents qui arrivent à suivre en veulent plus, mais certains ne peuvent pas suivre. Ils n’ont pas le niveau pour aider leurs enfants. Ça risque d’augmenter la fracture sociale.

Et après la crise ?

Il va y avoir une fracture d’éducation. Après la crise, ce sera comme un retour de vacances. Il faudra évaluer les élèves et travailler pour chacun à son niveau. Ça va être compliqué. Ça va demander beaucoup de travail aux enseignants mais on sait le faire. C’est du boulot. Mais c’est notre métier.

Comment ça se passe à La Réunion en général ?

On a la chance d’être en avance sur la métropole en termes de gestion de cette crise sanitaire. On a environ 400 malades déclarés. La plupart des cas de covid-19 sont importés. Le virus ne circule pas tant que ça chez nous. Les arrivées d’avions depuis la métropole nous inquiétaient beaucoup. Il y avait 1400 personnes qui débarquaient chaque jour. Désormais il n’y a plus que 3 vols hebdomadaires et chaque personne qui arrive est obligatoirement confinée dans un centre pour 15 jours. Elle est ensuite testée systématiquement avant de pouvoir sortir. Les Réunionnais n’étaient pas contents au départ de cette décision du préfet et de l’Agence Régionale de Santé, on le lisait sur les réseaux sociaux. Mais je crois que c’est une sage décision. La courbe s’est bien infléchie ici. Pour la première fois on a eu zéro cas hier [le 14 avril NDLR]. On attend les chiffres pour aujourd’hui.

Comment réagissez vous à l’annonce de la reprise progressive de l’école le 11 mai?

On a tous envie que la situation redevienne normal, envie de retrouver nos élèves. Mais à ce jour c’est prématuré. On n’a pas assez d’élément pour sécuriser leur retour. Quel matériel a-t-on pour protéger les enfants? Les gestes barrière avec les petits c’est impossible. Sans fonctionnement plus clair, on n’est pas à l’abri d’une deuxième vague. Il faut du gel, des masques, des gants… Pour l’instant on n’a rien. Au niveau local (EPR Réunion), on a publié un communiqué pour dire que nous sommes opposés à ce retour, parce que cela met tout le monde en danger : les enfants, les parents et les enseignants.

Vous voulez ajouter quelque chose pour conclure?

Les enseignants se sont adaptés, ils ont énormément travaillé. J’aimerais les féliciter parce que c’est incroyable le boulot qu’ils ont accompli.

 

Propos recueillis par Gilles Bindi

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