Index égalité femmes-hommes : un outil à réinventer
7 février 2024 | Social
Annoncée comme une priorité du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, l’égalité femmes/hommes est encore bien loin d’être atteinte, notamment en entreprise. La secrétaire confédérale en charge de l’égalité femmes-hommes Aurélie Chasseboeuf travaille précisément à la réduction de ces disparités. Son dossier prioritaire : la réforme de l’index de l’égalité professionnelle, qui vise à mesurer les écarts de rémunération entre les sexes et à réduire les inégalités de genre. Ce sont les nombreuses évolutions que la CFTC souhaite greffer à cet indicateur, qu’elle expose et décrypte ici.
Aurélie, en préambule, peux-tu nous expliquer en quoi consiste cet index de l’égalité professionnelle (aussi nommé index égalité femmes/hommes)?
Cet index de l’égalité professionnelle a été mis en œuvre progressivement à partir de 2020, afin de lutter contre les inégalités salariales persistantes. Il est composé de 4 à 5 indicateurs (selon que les entreprises comptent plus ou moins de 250 salariés.) Ces indicateurs sont notamment censés mesurer les différences femmes-hommes vis à vis de:
- Leur écart de rémunération
- L’écart de répartition des augmentations individuelles
- L’écart de répartition des promotions (uniquement pour les entreprises de plus de 250 salariés)
- Le nombre de salariées augmentées à leur retour de congé maternité
- La parité, parmi les 10 plus hautes rémunérations
Chaque année – au plus tard le 1er mars – les entreprises d’au moins 50 salariés ont l’obligation de calculer et publier sur leur site internet le détail de l’index de l’égalité femmes/hommes. Elles doivent également communiquer ces éléments à leur comité social et économique (CSE) ainsi qu’à l’inspection du travail (DREETS). En cas de note inférieure à 75 points, les entreprises doivent ensuite publier des mesures de correction et de rattrapage, sous peine de sanctions financières.
Quatre ans après sa mise en œuvre graduelle, quel premier bilan tirer de cet index égalité femmes-hommes ?
C’est assez mitigé. Pour la CFTC, il n’est pas certain que cet outil ait représenté une réelle avancée au niveau de la réduction des écarts salariaux et de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. On peut se satisfaire de certains gains marginaux : les entreprises sont de plus en plus nombreuses à respecter la publication de l’Index. Elles y obtiennent aussi de meilleures notes : c’est donc le signe qu’elles maîtrisent de mieux en mieux l’outil et ses subtilités et qu’elles ont pris conscience de ces inégalités. Néanmoins, aujourd’hui, seulement 26% des travailleurs sont concernés par l’Index, puisqu’il ne s’applique qu’aux entreprises de plus de 50 salariés. En somme, on peut dire que cet outil ne fonctionne pas réellement, puisqu’il ne s’applique même pas à la moitié des salariés français. Pour l’améliorer, il nous reste donc de grosses marges de manœuvre.
Comment améliorer l’Index, alors ?
L’idéal, ce serait déjà qu’il concerne tous les salariés. Cet élargissement est actuellement en discussion au Haut Conseil à l’Egalite (HCE) – qui transmettra un rapport fin février au gouvernement – cette extension étant soutenue par la CFTC et les autres organisations syndicales. Les organisations patronales n’y sont pas nécessairement opposées. Néanmoins, l’Index peut être complexe à mettre en œuvre pour les entreprises qui n’ont pas de service RH, comme c’est souvent le cas dans les PME/TPE : à titre d’exemple, quand le HCE a fait des tables rondes pour accueillir des représentants du personnel, il s’est rendu compte que beaucoup d’entre eux avaient du mal à le maitriser.
L’employeur a l’obligation de présenter au CSE les données de l’Index, mais les délégués syndicaux ne savent souvent pas comment il est précisément calculé, c’est difficile de les vérifier. En somme, l’employeur s’autoévalue, ça ne lui est donc pas très difficile d’avoir beaucoup de points. A cet égard, la CFTC a demandé à ce que cet outil soit adapté aux petites entreprises, qu’il soit simplifié, moins chronophage et, surtout, qu’il puisse être accompagné efficacement dans sa mise en œuvre.
La CFTC recommande-t-elle d’autres changements pour améliorer le fonctionnement de l’Index ?
Plusieurs pistes d’amélioration sont envisagées. D’abord, sur les 100 points que compte l’Index, 15 sont liés à l’octroi d’une augmentation des salariées à l’issue de leur congé maternité, dès lors qu’il y en a eu dans l’entreprise (NDLR : conformément à la loi). Pour la CFTC, ce critère est, en soit, déjà très discutable : pourquoi attribuer des points quand une entreprise respecte simplement une obligation légale ? Pour la CFTC, c’est donc plutôt un malus qu’il faudrait mettre en place, concernant cet indicateur en particulier. Ensuite, le critère de l’Index pesant le plus lourd (40 points sur 100) jauge les écarts de rémunération femmes-hommes, les points étant attribués si ces rémunérations sont équivalentes à poste égal. Néanmoins, un seuil de tolérance de 5% imputable à cet écart reste accepté. Pour la CFTC, cette tolérance n’est ni pertinente, ni justifiée. Elle pourrait même être discriminatoire : cette marge d’erreur s’applique en effet à l’indicateur le plus important de l’Index, ce qui pourrait encourager les employeurs à ne pas s’employer à réduire cet écart de 5%.
Enfin, 20 des 100 points de l’Index sont attribués sur la base du nombre d’augmentations au sein d’une entreprise : pour obtenir 20/20, il faut qu’il n’y ait pas plus de 2% d’écart entre le pourcentage de femmes et d’hommes augmentés. Néanmoins, ce critère ne s’intéresse pas au montant des augmentations dont bénéficient les salariés, seulement au nombre de salariés hommes et salariées femmes augmentés. C’est un problème que la CFTC a pointé dans le rapport du HCE : ce critère-là doit être revu au niveau du montant et pas seulement du nombre d’augmentations.
La CFTC est-elle aussi favorable à un renforcement des sanctions, pour les entreprises qui ne respectent pas suffisamment les critères de l’Index ?
D’abord, il faut souligner que les sanctions déjà en place ne sont pas assez appliquées : pas une entreprise n’a été sanctionnée à hauteur de 1% de sa masse salariale, suite à une note insuffisante à l’Index en 2023. C’était pourtant la sanction prévue. C’est bien de dire qu’on va pénaliser les entreprises contrevenantes à la règle, mais si on ne le fait pas, à quoi bon ? En outre, plusieurs propositions de la CFTC sont actuellement débattues au sein du HCE, dans l’optique de renforcer les sanctions imputées à l’Index : entre autres exemples, on pourrait sanctionner les entreprises qui ne respectent pas l’Index à hauteur de 3% du chiffre d’affaires (au lieu de 1% de la masse salariale), mettre en œuvre ces sanctions pour les entreprises dont la note est inférieure à 75/100 pendant 2 années consécutives, publier le nom des entreprises ayant obtenu 0 à l’un des indicateurs de l’Index plus de deux années de suite sur le site de consultation Index Egapro etc…
Outre la refonte de l’Index, peux-tu nous présenter les grands sujets liés à l’égalité femmes/hommes sur lesquels la CFTC sera susceptible de formuler des positionnements et recommandations, dans les mois à venir ?
Ils sont nombreux. En tant que négociatrice de branche, je fais partie de la commission formation professionnelle, qui s’occupe de la mise en avant des métiers, pour donner envie aux gens d’intégrer les entreprises d’un secteur donné. Or, les représentations sont encore trop souvent les mêmes : un cariste, ce sera un garçon, l’hôtesse de caisse, une femme…Je pense justement que les partenaires sociaux – qui siègent au sein de cette instance – doivent travailler à mettre fin à ce qui ressemble à une assignation de genre de certains métiers. Ensuite, la CFTC va travailler – en conjonction avec les autres organisations syndicales et le gouvernement – à une réforme du congé parental. Le président de la République a récemment évoqué la création d’un congé de naissance pour remplacer le congé parental actuel, dont les modalités restent à préciser. La CFTC, elle, plaide pour un congé parental d’un an, rémunéré à 80% du salaire du bénéficiaire de la prestation.
Enfin, la CFTC surveillera en 2024 la bonne transposition de la Directive européenne sur la transparence salariale. Elle ancre dans le droit européen l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes. Certains des critères et indicateurs de cette Directive européenne sont plus exigeants que ceux de l’index égalité femmes/hommes. Cette réforme devrait donc permettre de répondre enfin aux attentes des parents. Enfin, la CFTC travaille actuellement sur une proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail. Elle y défend notamment la création d’un congé menstruel et d’un nouveau congé pour évènement familial en cas de fausse couche.
AC
Crédit photo : Fanny Maréchal