« Réduire le budget des missions locales, c’est risquer d’accentuer la fracture sociale »
19 mars 2025 | Social
Ce vendredi 14 mars, la CFTC et l’intersyndicale se sont rassemblées à Paris devant le Ministère du travail, pour protester contre la baisse significative des financements alloués aux missions locales, en 2025. A cette occasion, ils ont été reçus par la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet. Négociateur CFTC et représentant de nos adhérents salariés dans les missions locales, Pierre-André Knidel explique pourquoi notre organisation défend le maintien du budget de ces structures, essentielles à l’insertion socioprofessionnelle de centaines de milliers de jeunes.
Pierre-André, ce vendredi 14 mars, la CFTC a pu longuement échanger avec la Ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet. Qu’est-il ressorti de cette réunion ?
Nous avons pu exposer les conséquences que pourrait avoir cette baisse de financement des missions locales, mais nous ne sommes aujourd’hui pas dans une logique d’appui de l’Etat. C’est vraiment regrettable, parce que nous pensons que le rôle des missions locales – qui est central dans le parcours d’insertion de nombreux jeunes – doit absolument être défendu et maintenu.
Pouvez-vous, justement, nous expliquer ce qui fait la spécificité des missions locales, dans le parcours d’insertion des jeunes ?
Les missions locales s’occupent des jeunes de 16 à 25 ans. Elles s’adressent essentiellement à des personnes qui ont eu un parcours plus accidenté, notamment à des jeunes adultes ou adolescents “décrocheurs”, sortis du système scolaire, qui ont du mal à s’insérer sur le marché de l’emploi. Le rôle des missions locales, c’est de leur mettre le pied à l’étrier, en leur trouvant des solutions en termes d’emploi, de formation, d’accès aux droits sociaux élémentaires…Voire, aussi, de les aider à trouver un apprentissage, qui va ensuite leur permettre d’exercer un métier. En somme, les missions locales ont l’ambition d’aider les jeunes à trouver leur place dans la société.
Les missions locales ont par ailleurs une approche très “terrain” : on parle ici de 440 structures de 15.000 salariés, qui gèrent 6800 points d’accueil dans toute la France métropolitaine et ultramarine. Elles accompagnent chaque année plus d’1,1 million de jeunes (dont 433 000 accueillis pour la 1ère fois en 2024), dans un parcours d’insertion social, et pas seulement professionnel.
C’est-à-dire ?
Les missions locales ne se limitent pas à seulement aider les jeunes à trouver un emploi ou une formation. Elles font aussi de l’insertion sociale pure et dure. Concrètement, ça veut dire qu’elles peuvent accompagner les jeunes sur un panel très large d’activités : les aider à chercher un logement, à récupérer une carte vitale s’ils n’en ont pas, faire valoir leurs droits à la CAF, à s’inscrire sur Parcoursup s’ils ne maîtrisent pas l’outil informatique, etc…
Le budget de l’Etat voté pour 2025 prévoit donc une baisse des dotations allouées aux missions locales. A combien est-elle estimée ?
L’État – qui contribue à 70% du budget des missions locales – va baisser sa dotation financière d’environ 6%. En soi, c’est déjà significatif. Ensuite, il faut savoir que les collectivités locales – qui représentent autour de 30% des moyens des missions locales – baissent également leurs subventions de presque 20% en moyenne. Là, ça devient autrement plus problématique : les mission locales subissent ce qui ressemble à une double peine, qui ne pourra pas être sans conséquences.
A la CFTC, nous ne sommes pas contre l’idée de mieux utiliser l’argent public, mais nous pensons qu’on ne peut pas accepter de restrictions budgétaires sur la jeunesse, pour qui l’insertion socioprofessionnelle relève parfois d’un parcours long et compliqué.
Le public accompagné par les missions locales, souvent vulnérable, risque d’être encore plus fragilisé.
Exactement. Les déploiements de dispositifs comme le Parcours Contractualisé d’Accompagnement vers l’Emploi et l’Autonomie (PACEA) et le contrat d’engagement jeune (CEJ) vont en ressortir amoindris. Ils proposent tous deux un accompagnement renforcé des jeunes vers l’emploi : un suivi personnalisé, des formations et stages, une orientation vers une formation diplômante ou en apprentissage (avec le versement d’une allocation pouvant aller jusqu’à 552,29 € par mois pendant 18 mois maximum, dans le cadre du CEJ). En résumé, moins de budget, c’est moins de jeunes qui pourront être accompagnés, tout simplement.
Responsable de site adjoint en mission locale à Paris et adhérent CFTC
« A la mission locale de Paris, tout départ de personnel (démission, fin de cdd) ne sera pas remplacé, du fait de cette baisse des financements. Évidemment, ça ne peut qu’amoindrir la qualité et l’ampleur de l’accompagnement.
Le PACEA, un dispositif d’insertion qui vise précisément à aider les jeunes en difficulté, voit notamment son budget réduit de 40%. Ce sont des personnes fragilisées, qui nécessitent justement d’être plus et mieux accompagnées, qui vont malheureusement être les premières impactées »
Au-delà de ces questions budgétaires, la Loi Plein Emploi, mise en œuvre depuis janvier 2025, intègre les missions locales à un réseau unifié de l’emploi, aux côtés de France Travail, Cap Emploi et des collectivités territoriales. Comment les conseillers en mission locale vivent-ils cette intégration ?
Elle engendre pas mal de doutes, voire d’inquiétudes. D’abord, parce que cette réforme rend obligatoire l’inscription à France Travail de tous les demandeurs d’emploi, y compris les bénéficiaires du RSA. Ça a contribué à multiplier par 5 le nombre de jeunes orientés par France Travail vers les missions locales, ce qui représente environ 10% des inscrits. Donc, on se retrouve à devoir s’occuper de plus de personnes, avec moins de moyens, c’est quand même paradoxal.
Ensuite, à l’horizon 2026, l’ambition est de doter le Réseau Pour l’Emploi d’une base de données et d’outils communs et partagés, ce qui facilitera notre coopération. Mais parallèlement, on met en œuvre une forme d’uniformisation de la politique de l’emploi, qui n’est pas du tout adaptée au public des missions locales.
Pourquoi ?
Parce que créer un guichet unique de l’emploi avec des gens qui sont atypiques, ce n’est pas possible. Pour être employables, certaines jeunes ont auparavant besoin d’avoir bénéficié d’un parcours de réinsertion progressif : si tu es abîmé par la vie, il te faudra peut-être des années, avant d’avoir les codes pour intégrer le marché du travail.
La spécialité des missions locales, c’est justement l’approche globale de l’accompagnement, parce qu’elles connaissent les publics qu’elles suivent, les pratiquent depuis 40 ans. A contrario, l’orientation générale de cette réforme, c’est de prôner le “tout pour et vers l’emploi”. Mais pour les Conseillers en missions locales, c’est réfléchir à l’envers : avant d’essayer de mettre une personne en emploi, il faut lui donner les moyens, les ressources d’occuper un emploi.
A en croire des statistiques publiées par Eurostat en janvier, le chômage des jeunes est en forte progression en France : il est passé de 17,4 % à 20,5 % en un an. Les restrictions budgétaires imposées aux missions locales risquent-elles d’accentuer le problème ?
Cette hausse du chômage des jeunes nous alerte, évidemment. Elle est, au passage, encore plus importante dans la France d’outre-mer. Je pense que pouvons effectivement pointer un risque d’accentuation de la fracture sociale – on pourrait d’ailleurs bien se retrouver avec une situation incendiaire dans certains quartiers dans les mois à venir, du fait d’un sentiment d’abandon. C’est pourquoi, à la CFTC, nous ne pouvons pas nous résigner. L’Etat n’a pas accédé à nos demandes, mais nous appelons désormais à une mobilisation avec l’intersyndicale en région, afin de pousser les collectivités territoriales à maintenir autant que possible le budget qu’elles consacrent aux missions locales.
AC