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« À Auchan, il faut mettre fin à la smicardisation des salaires »

29 mars 2024 | Social

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A Auchan, les augmentations salariales proposées début janvier par le patronat sont très loin d’être en phase avec les attentes des partenaires sociaux. Première organisation syndicale au sein du distributeur, la CFTC a, avec la CFDT, la CGT et FO, appelé à des actions de débrayage qui ont concerné le 22 mars une centaine de sites à l’échelon national. Alors qu’une seconde journée de mobilisation a lieu ce vendredi 29 mars, Bruno Delaye, délégué syndical central CFTC d’Auchan Retail France, explicite plus en détail les revendications des salariés du groupe, confrontés depuis plusieurs années à une smicardisation graduelle des salaires.

Bruno, quel est le point de départ de ce mouvement social à Auchan ?

Ce mouvement est motivé par l’échec des dernières négociations annuelles (NAO) obligatoires, qui se sont tenues en janvier. A l’issue de ces discussions, le patronat a fait des propositions vraiment très éloignées des attentes des partenaires sociaux. La direction consentait à seulement 1.5% d’augmentation sur les salaires, ce qui ne correspond pas du tout à la hausse de 4,9% demandée par la CFTC, qui est la première organisation syndicale chez Auchan. L’employeur a seulement accepté de maintenir la ristourne de 10 à 15% sur les produits achetés en magasin par les salariés, un avantage que les syndicats avaient négocié 2 ans auparavant, dans un contexte déjà hautement inflationniste. Nous avions également des demandes relatives au renforcement ou à l’introduction de certaines mesures sociales sur les tickets restaurants ou l’augmentation de la part patronale sur le financement des mutuelles, mais aucune d’entre elles n’a été prise en compte par l’employeur, lors de ces dernières NAO.

Il n’y avait donc pas moyen de trouver un accord intermédiaire, à mi-chemin des demandes syndicales et des propositions patronales ?

A Auchan comme ailleurs, nous avons habituellement la volonté de co-construire avec la direction d’entreprise un certain nombre d’accords sociaux. Tout simplement parce que nous pensons qu’une logique purement antagoniste ne répond pas nécessairement aux intérêts des salariés. Mais, dans le cas présent, on nous a opposé ce qui ressemble à une fin de non-recevoir, en nous expliquant que les 1.5% d’augmentation proposés étaient non-négociables. Pire : on nous a dit qu’en l’absence d’accord, cette hausse serait revue à la baisse, de 1.5 à 1.3%, de même que la ristourne dont bénéficient les salariés, diminuée de 15% à 10%. Ça a légitimement été vécu comme une provocation, de la part des partenaires sociaux.

C’est là que se forme une intersyndicale, et des premiers appels à des actions de débrayage ?

En tant que 1ere organisation syndicale dans l’entreprise, nous avons plutôt fait le premier pas pour rassembler les partenaires sociaux, et faire front commun avec la CFDT, la CGT et FO. Du fait de la volonté de l’employeur de ne pas poursuivre les discussions, nous avons effectivement considéré que des opérations de débrayage (NDLR :  l’action par laquelle les salariés d’une entreprise quittent d’une manière concertée leur poste de travail) pouvaient être mises en œuvre le 22 et le 29 mars. On a aussi préféré cela à un blocage pur et dur, qui n’aurait pas vraiment correspondu aux valeurs de notre syndicat.

Quel bilan retirer de cette première journée de débrayage, organisée le vendredi 22 mars ?

Une centaine de sites du groupe ont décidé de se mobiliser, donc c’est clairement une réussite. Des débrayages plus ou moins longs ont été organisés, en fonction des moyens et désirs des salariés du groupe à l’échelon local. Dans certaines zones de caisse, il n’y avait plus personne pendant plusieurs heures, et on a même vu des managers assurer l’encaissement. Notre initiative a été aussi un succès de communication et a été très largement relayée médiatiquement, dans la presse nationale comme locale.

Malgré cette première mobilisation, la direction d’Auchan a indiqué que sa position demeurait inchangée, notamment en spécifiant que les salaires avaient déjà été augmentés de 6.6% l’année dernière. Quels arguments lui opposent la CFTC et les autres partenaires sociaux ?

Tout simplement qu’il est malhonnête de prendre en compte seulement les 1 ou 2 dernières années. Il y a certes eu un réajustement des salaires en 2023, mais on observe plutôt un phénomène de smicardisation au sein du groupe, ces dernières années. Les augmentations successives du salaire minimum (du fait de l’inflation) ont vraiment écrasé les grilles de rémunération des employés de premier niveau, quand l’écart type avec le SMIC, qui a longtemps fait la particularité d’Auchan, était sensiblement plus élevé il y a encore 5 ans. Par ailleurs, pendant un certain temps, les primes ont pu faire office de relative compensation, mais elles sont aujourd’hui presque inexistantes, du fait des mauvais résultats de l’entreprise.

Auchan affiche justement une perte nette de 379 millions d’euros sur l’année 2023. Le dernier bilan du groupe a-t-il pu également contribuer à tendre le dialogue social ?

C’est certain. La situation économique de l’entreprise est très préoccupante, du fait d’un manque de cohérence stratégique, dicté par la vision de l’actionnaire. Nous avons notamment mal négocié le tournant de l’hybridation de l’offre e-commerce/physique et du commerce de proximité. Par ailleurs – si les actionnaires n’ont pas eu de remontées de dividendes relatives aux résultats de l’année 2023 – ils en ont bien eu les années précédentes, alors que l’on savait déjà que la situation du groupe se complexifiait significativement. Depuis 2016, 5 directeurs généraux ont aussi été nommés, ce qui atteste d’une vision à moyen-long terme indistincte ces dernières années. Néanmoins, les salariés ne sont absolument pas responsables des errements des directions successives, dont ils subissent pourtant les conséquences. 

L’autre élément à considérer, c’est qu’Auchan a racheté en ce début d’année 98 magasins du groupe Casino. Cette intégration suscite beaucoup d’espoirs, car c’est l’occasion pour l’entreprise de reprendre des parts de marché. D’un autre point de vue – même si la logique économique est plus complexe que ça – ce rachat génère aussi chez certains un sentiment d’injustice : de nombreux salariés ont l’impression que l’actionnaire ne trouve pas d’argent pour améliorer leurs conditions de travail, alors qu’il est pourtant disposé à mobiliser de grosses sommes, pour cette augmentation de capital.

Ce vendredi 29 mars, l’intersyndicale appelle à une seconde journée de débrayage. Comment vous projetez-vous sur la suite du mouvement ?

Si l’employeur continue de refuser à négocier, la possibilité d’une grève – une arme que la CFTC n’emploie habituellement qu’en ultime recours – n’est pas à exclure totalement. Néanmoins, entre les 1.5% d’augmentation consentis par la direction et les 5% de hausse demandés par les partenaires sociaux, la CFTC et l’intersyndicale estiment qu’on peut probablement trouver un juste milieu. Nous sommes tout à fait ouverts à l’idée de reprendre les discussions, mais encore faut-il que le patronat soit disposé à revenir à la table des négociations.

AC

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